Sea, Sex and Sun

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 6/11
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Sur le sujet sulfureux de cette série, on s’attendrait à voir le super-provocateur Serge Gainsbourg briser les derniers tabous de la civilisation. Il considère pourtant avec autorité que 17 ans, c’est « la limite ».  Sea, Sex and Sun, le générique du film Les Bronzés.

 

Chez Flaubert, c’est aussi sea, sex and sun d’une certaine manière. Il a abandonné sa Normandie pour Carthage. Aujourd’hui, je vous présente la belle Salammbô, qu’on retrouvera dans le prochain post.

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Sa chevelure, poudrée d’un sable violet, et réunie en forme de tour selon la mode des vierges chananéennes, la faisait paraître plus grande. Des tresses de perles attachées à ses tempes descendaient jusqu’aux coins de sa bouche, rose comme une grenade entr’ouverte. Il y avait sur sa poitrine un assemblage de pierres lumineuses, imitant par leur bigarrure les écailles d’une murène. Ses bras, garnis de diamants, sortaient nus de sa tunique sans manches, étoilée de fleurs rouges sur un fond tout noir. Elle portait entre les chevilles une chaînette d’or pour régler sa marche, et son grand manteau de pourpre sombre, taillé dans une étoffe inconnue, traînait derrière elle, faisant à chacun de ses pas comme une large vague qui la suivait.

Les prêtres, de temps à autre, pinçaient sur leurs lyres des accords presque étouffés ; et dans les intervalles de la musique, on entendait le petit bruit de la chaînette d’or avec le claquement régulier de ses sandales en papyrus.

Personne encore ne la connaissait. On savait seulement qu’elle vivait retirée dans des pratiques pieuses. Des soldats l’avaient aperçue la nuit, sur le haut de son palais, à genoux devant les étoiles, entre les tourbillons des cassolettes allumées. C’était la lune qui l’avait rendue si pâle, et quelque chose des dieux l’enveloppait comme une vapeur subtile. Ses prunelles semblaient regarder tout au loin au delà des espaces terrestres. Elle marchait en inclinant la tête, et tenait à sa main droite une petite lyre d’ébène.

Gustave Flaubert, Salammbô.

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Marie Laforêt repousse les limites

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 5/11
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Aujourd’hui, tout est dans le titre : L’amour comme à 16 ans, de Marie Laforêt.

Du côté de chez Flaubert, on passe à Un cœur simple. La servante Félicité est restée vieille fille, mais peu s’en fallu qu’elle ne se mariât…

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Un soir du mois d’août (elle avait alors dix-huit ans), ils l’entraînèrent à l’assemblée de Colleville. Tout de suite, elle fut étourdie, stupéfaite par le tapage des ménétriers, les lumières dans les arbres, la bigarrure des costumes, les dentelles, les croix d’or, cette masse de monde sautant à la fois. Elle se tenait à l’écart modestement, quand un jeune homme d’apparence cossue et qui fumait sa pipe les deux coudes sur le timon d’un banneau, vint l’inviter à la danse. Il lui paya du cidre, du café, de la galette, un foulard, et, s’imaginant qu’elle le devinait, offrit de la reconduire. Au bord d’un champ d’avoine, il la renversa brutalement. Elle eut peur et se mit à crier. Il s’éloigna.

Un autre soir, sur la route de Beaumont, elle voulut dépasser un grand chariot de foin qui avançait lentement, et en frôlant les roues elle reconnut Théodore.

Il l’aborda d’un air tranquille, disant qu’il fallait tout pardonner, puisque c’était « la faute de la boisson ».

Elle ne sut que répondre et avait envie de s’enfuir.

Aussitôt il parla des récoltes et des notables de la commune, car son père avait abandonné Colleville pour la ferme des Écots, de sorte que maintenant ils se trouvaient voisins.

— Ah ! dit-elle.

Il ajouta qu’on désirait l’établir. Du reste il n’était pas pressé, et attendait une femme à son goût. Elle baissa la tête. Alors il lui demanda si elle pensait au mariage. Elle reprit, en souriant, que c’était mal de se moquer.

— Mais non, je vous jure !

Et du bras gauche il lui entoura la taille. Elle marchait soutenue par son étreinte ; ils se ralentirent. Le vent était mou, les étoiles brillaient, l’énorme charretée de foin oscillait devant eux ; et les quatre chevaux, en traînant leurs pas, soulevaient de la poussière. Puis, sans commandement, ils tournèrent à droite. Il l’embrassa encore une fois. Elle disparut dans l’ombre.

Théodore, la semaine suivante, en obtint des rendez-vous.

Ils se rencontraient au fond des cours, derrière un mur, sous un arbre isolé. Elle n’était pas innocente à la manière des demoiselles, — les animaux l’avaient instruite ; — mais la raison et l’instinct de l’honneur l’empêchèrent de faillir. Cette résistance exaspéra l’amour de Théodore, si bien que pour le satisfaire (ou naïvement peut-être) il proposa de l’épouser. Elle hésitait à le croire. Il fit de grands serments.

Bientôt il avoua quelque chose de fâcheux : ses parents, l’année dernière, lui avaient acheté un homme ; mais d’un jour à l’autre on pouvait le reprendre ; l’idée de servir l’effrayait. Cette couardise fut pour Félicité une preuve de tendresse ; la sienne en redoubla. Elle s’échappait la nuit, et parvenue au rendez-vous, Théodore la torturait avec ses inquiétudes et ses instances.

Enfin, il annonça qu’il irait lui-même à la Préfecture prendre des informations, et les apporterait dimanche prochain, entre onze heures et minuit.

Le moment arrivé, elle courut vers l’amoureux.

À sa place, elle trouva un de ses amis.

Il lui apprit qu’elle ne devait plus le revoir. Pour se garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques.

Gustave Flaubert, Un cœur simple.

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Détournement de majeur

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 4/11
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N’allez pas croire que la jeunesse du partenaire soit une obsession purement masculine… Dalida, Il venait d’avoir 18 ans. Avant que vous écoutiez la chanson, je vous spoile un peu : on va continuer à explorer des âges de plus en plus jeunes, 17 ans (déjà vu), 16 ans, 15 ans, et même moins (dans des chansons tout à fait autorisées par la police je précise). Mais je n’ai pu trouver aucune chanson dont les protagonistes auraient 19 ans… Je pense qu’un truc cloche avec le nombre 19. Mais si vous en trouvez une, merci de la signaler.

 

Et du côté de Flaubert, une petite description de la nuit de noce d’Emma Bovary, née Rouault.

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La mariée avait supplié son père qu’on lui épargnât les plaisanteries d’usage. Cependant, un mareyeur de leurs cousins (qui même avait apporté, comme présent de noces, une paire de soles) commençait à souffler de l’eau avec sa bouche par le trou de la serrure, quand le père Rouault arriva juste à temps pour l’en empêcher, et lui expliqua que la position grave de son gendre ne permettait pas de telles inconvenances. Le cousin, toutefois, céda difficilement à ces raisons. En dedans de lui-même, il accusa le père Rouault d’être fier, et il alla se joindre dans un coin à quatre ou cinq autres des invités qui, ayant eu, par hasard, plusieurs fois de suite à table les bas morceaux des viandes, trouvaient aussi qu’on les avait mal reçus, chuchotaient sur le compte de leur hôte et souhaitaient sa ruine à mots couverts.

Mme Bovary mère n’avait pas desserré les dents de la journée. On ne l’avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l’ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu’au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d’une considération plus grande encore.

Charles n’était point de complexion facétieuse, il n’avait pas brillé pendant la noce. Il répondit médiocrement aux pointes, calembours, mots à double entente, compliments et gaillardises que l’on se fit un devoir de lui décocher dès le potage.

Le lendemain, en revanche, il semblait un autre homme. C’est lui plutôt que l’on eût pris pour la vierge de la veille, tandis que la mariée ne laissait rien découvrir où l’on pût deviner quelque chose. Les plus malins ne savaient que répondre, et ils la considéraient, quand elle passait près d’eux, avec des tensions d’esprit démesurées. Mais Charles ne dissimulait rien. Il l’appelait ma femme, la tutoyait, s’informait d’elle à chacun, la cherchait partout, et souvent il l’entraînait dans les cours, où on l’apercevait de loin, entre les arbres, qui lui passait le bras sous la taille et continuait à marcher à demi penché sur elle, en lui chiffonnant avec sa tête la guimpe de son corsage.

Gustave Flaubert, Madame Bovary.

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Michèle

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 3/11
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La chanson d’aujourd’hui est habituellement chantée par Gérard Lenorman : Michèle. Paroles et musique de Didier Barbelivien, gros pourvoyeur de tubes, on le reverra sûrement. Je vous mets une jolie interprétation d’un certain Doceando qui poste pleins de vidéos assez propres de chansons sur youtube. Et au fait, si on écoute bien, dans cette chanson, c’est 17 ans.

Tiens, ça fait longtemps que je ne vous ai pas donné des devoirs. Alors voilà, en été, on prend beaucoup la voiture. Branchez-vous sur radio Nostalgie, et repérez toutes les fois où on donne l’âge de la fille dans une chanson d’amour. Et postez vos trouvailles dans les commentaires of course.

On continue notre petit contrepoint avec l’ami Flaubert : la suite de la triste histoire de Rosannette. De manière très inhabituelle chez Flaubert, des descriptions sont confiées à un personnage qui devient le narrateur le temps d’un long paragraphe. Comme si pris d’une pudeur ou d’une gêne, le narrateur s’effaçait un moment…
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Rosanette s’arrêta, et, avec un regard plein d’impudeur et d’amertume :

— « C’était fait ! »

Puis, répondant au geste de Frédéric :

— « Comme il était marié (il aurait craint de se compromettre dans sa maison), on m’emmena dans un cabinet de restaurateur, et on m’avait dit que je serais heureuse, que je recevrais un beau cadeau.

« Dès la porte, la première chose qui m’a frappée, c’était un candélabre de vermeil, sur une table où il y avait deux couverts. Une glace au plafond les reflétait, et les tentures des murailles en soie bleue faisaient ressembler tout l’appartement à une alcôve. Une surprise m’a saisie. Tu comprends, un pauvre être qui n’a jamais rien vu ! Malgré mon éblouissement, j’avais peur. Je désirais m’en aller. Je suis restée pourtant.

« Le seul siège qu’il y eût était un divan contre la table. Il a cédé sous moi avec mollesse ; la bouche du calorifère dans le tapis m’envoyait une haleine chaude, et je restai là sans rien prendre. Le garçon qui se tenait debout m’a engagée à manger. Il m’a versé tout de suite un grand verre de vin ; la tête me tournait, j’ai voulu ouvrir la fenêtre, il m’a dit : — « Non, mademoiselle, c’est défendu. » Et il m’a quittée. La table était couverte d’un tas de choses que je ne connaissais pas. Rien ne m’a semblé bon. Alors je me suis rabattue sur un pot de confitures, et j’attendais toujours. Je ne sais quoi l’empêchait de venir. Il était très tard, minuit au moins, je n’en pouvais plus de fatigue ; en repoussant un des oreillers pour mieux m’étendre, je rencontre sous ma main une sorte d’album, un cahier —, c’étaient des images obscènes… Je dormais dessus, quand il est entré. » Elle baissa la tête, et demeura pensive.

Les feuilles autour d’eux susurraient, dans un fouillis d’herbes une grande digitale se balançait, la lumière coulait comme une onde sur le gazon ; et le silence était coupé à intervalles rapides par le broutement de la vache qu’on ne voyait plus.

Rosanette considérait un point par terre, à trois pas d’elle, fixement, les narines battantes, absorbée. Frédéric lui prit la main.

— « Comme tu as souffert, pauvre chérie ! »

— « Oui », dit-elle « plus que tu ne crois… Jusqu’à vouloir en finir ; on m’a repêchée. »

— « Comment ? »

— « Ah ! n’y pensons plus !… Je t’aime, je suis heureuse ! embrasse-moi. »

Et elle ôta, une à une, les brindilles de chardons accrochées dans le bas de sa robe.

Frédéric songeait surtout à ce qu’elle n’avait pas dit. Par quels degrés avait-elle pu sortir de la misère ? À quel amant devait-elle son éducation Que s’était-il passé dans sa vie jusqu’au jour où il était venu chez elle pour la première fois ? Son dernier aveu interdisait les questions.

Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale.

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Supplique

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 2bis/11
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Mathilde, internaute de Paris 10è, me signale une chanson de Georges Brassens qui m’avait échappée alors qu’elle rentre parfaitement dans le thème : Supplique pour être enterré sur la plage de Sète. Je crois que c’est la plus longue de ses chansons, quatorze couplets !

Et c’est là que jadis,
À quinze ans révolus,

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Il était une fois nous deux

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 2/11
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On continue à explorer ces chansons mentionnant explicitement l’âge des premières turpitudes. Comme annoncé, il y en a un nombre impressionnant, datant surtout des années 1960 à 1970. Cette époque était traversée par deux courants : la libération sexuelle et le triomphe de la classe moyenne de la fin des trente glorieuses. Selon d’anciennes catégories, on pourrait dire que tout un chacun pouvait accéder à la bourgeoisie et au libertinage. Cette rencontre aboutit à ce curieux décompte d’une société cherchant ses limites, chiffres à l’appui…  Dans ce post, Joe Dassin invente dans un hôtel borgne une forme mielleuse de machisme soft et paternaliste. Pour lui, c’est « 18 ans à peine », ce qui doit faire en gros 17 ans si mes comptes sont exacts. À moins que ça ne soit 18 ans et quelques jours ?  Il était une fois nous deux.

Vous l’avez compris, ce sera très variétoche ce thème. Si jamais vous en aviez assez, je vous ai préparé quelque chose de plus littéraire. J’ai recherché les descriptions de « premières fois » dans tous les romans de Flaubert, cas intéressant d’écrivain bourgeois haïssant les bourgeois. Et j’ai eu la surprise de voir que lui aussi mentionnait assez souvent l’âge des protagonistes en cette circonstance.  Je vous égrène tout ça au fil de la série, lisez bien ça vaut la peine. On commence par Rosanette, la cocotte de Frédéric Moreau dans L’éducation sentimentale. 

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Elle soupira, et se mit à parler de son enfance. Ses parents étaient des canuts de la Croix-Rousse. Elle servait son père comme apprentie. Le pauvre bonhomme avait beau s’exténuer, sa femme l’invectivait et vendait tout pour aller boire. Rosanette voyait leur chambre, avec les métiers rangés en longueur contre les fenêtres, le pot-bouille sur le poêle, le lit peint en acajou, une armoire en face, et la soupente obscure où elle avait couché jusqu’à quinze ans. Enfin un monsieur était venu, un homme gras, la figure couleur de buis, des façons de dévot, habillé de noir. Sa mère et lui eurent ensemble une conversation, si bien que, trois jours après… Rosanette s’arrêta, et, avec un regard plein d’impudeur et d’amertume :

— « C’était fait ! »

Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale.

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Le métèque

Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle 1/11
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Encore une longue série d’été du Jardin aux Chansons qui Bifurquent, dernière et plus basse tentative pour faire monter l’audience. Vous vous rappelez la série sur l’usage du mot « société » en chanson (ici), un truc typique de la chanson du début des années 1970 ? On en explore une autre caractéristique, une sorte de débat souterrain qui traverse un nombre surprenant de chansons de l’époque : l’âge qui convient aux rapports sexuels, en particulier aux premiers.

On commence en douceur, avec Le Métèque, de Georges Moustaki. On n’est plus à l’époque de Ronsard, il faut donner des chiffres, ici 20 ans.

 

Tiens, et puis puisque j’ai parlé de Ronsard, lisez plutôt :

Mignonne, allons voir si la rose
À Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.

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