Le sujet qui passionne le plus les lectrices et lecteurs de ce blog, ce sont les questions de genre : sexisme, féminisme, misogynie, etc. La preuve : les billets les plus visités sont Jacques Brel est-il misogyne ?et Georges Brassens est-il misogyne ? passés dans la série sur les chansons sexistes ou féministes. Les habituées du blog peuvent aller les relire, je les enrichis de temps en temps puisqu’ils sont souvent visités. Série dans laquelle j’ai oublié de passer l’une des chansons les plus intéressantes sur le sujet, car sujette à débat. On peut en faire une lecture féministe ou au contraire machiste : Si j’étais un homme, paroles et musique de Diane Tell (qui fait son entrée au 1604e billet de ce blog !). Je vous épargne les explications de texte, je trouve que la chanson parle d’elle-même.
Alors, célébration de la femme objet, ou au contraire révolte devant le constat amère que « quand on femme, ces choses-là ne se font pas » ? Cette ambiguïté prête le flanc à toutes sorte de parodies. D’abord par Marie Reno et Laura Domenge.
Stéphane Rousseau inverse le dispositif dans Si j’étais une femme.
Interview de Diane Tell par André Manoukian, qui souligne notamment les qualités musicales éminentes de cette chanson à la grille d’accords et aux modulations spécialement retorses. C’est effectivement assez rare dans le répertoire des tubes de variétés d’entendre une chanson avec des harmonie aussi riches, et d’autant plus réussie qu’on n’a pas l’impression d’entendre une chanson « compliquée ».
Bravo à Diego qui a résolu l’énigme. Le vers ou Georges Brassens chante à la fois « dir-euh » et « dir » est : Il me laisse dire « Merde », je lui laisse dir’ « Amen ». Dans Les trompettes de la renommée.
À propos du français et de l’anglais, auxquels le Jardin a consacré sa dernière série, je vous propose aujourd’hui le groupe Delpech Mode. Oui vous avez bien lu. Ce groupe combine les paroles de Michel Delpech aux musiques de Depeche Mode, il suffisait d’y penser (et qu’en est-il de l’inverse ?). Enjoy the Loir-et-Cher.
Je propose aujourd’hui une énigme. Il y en avait souvent au début du blog, mais il est assez difficile de trouver des idées, surtout qui ne sont pas évidentes à résoudre avec internet. Dans la série « Peut-on chanter en français », à propos de laborieux décomptes de syllabes, on s’est demandé si Brassens compte le mot « dire » (verbe dire à l’infinitif) pour une ou deux syllabes. Parfois Brassens chante « dir’ » et parfois « dir-euh ». Dans quel vers de quelle chanson entend-on les deux versions ?
Je ne vais pas divulgâcher la solution dès aujourd’hui, alors je vous passe Les ricochets.
En réunissant des chansons sur le thème des mathématiques, j’ai été frappé par le nombre d’allusions sexuelles qu’on y trouve. Par exemple, ce passage de C’est bien ma veine d’Arnold Turboust :
Une équation sexuée à l’évidence, Aussi logique que E=MC2 Mise en scène par un gars prénommé Murphy Serait la cause de tous mes tourments.
Je ne cherchais pas spécialement ces allusions explicites ou implicites dans le répertoire mal défini des chansons mathématiques. Mais le charme ultime de la recherche est bien sûr de trouver ce qu’on ne cherche pas. Après quelques ruminations, je propose dans ce billet des explications à cette convergence inattendue.
Il y a tout d’abord le pouvoir du contraste, une astuce classique dans la chanson comique ou légère. On rapproche deux opposés, comme le charme et des petits calculs, ce qui capte l’attention de l’auditeur. Écoutez bien Ah ! Les p’tites Femmes de Paris, chanson du film Viva Maria !, par Brigitte Bardot et Jeanne Moreau.
Chez Mademoiselle K, dans Pas des carrés, l’opposition aux mathématiques est une métaphore d’un conflit conjugal.
C’est pas des carrés pas des losanges Pas des conneries Tu m’manques tu m’manques
Le sol est pas plat je suis pas aux anges C’est pas c’qu’on m’avait dit Tu m’manques tu m’manques
J’suis pas si tarée pas si carrée J’déteste les mathématiques Toujours autant toujours pourtant Note et retiens combien de fois J’me suis déduis de toi De tout c’que t’aimeras pas
L’opposition de deux univers supposément incompatibles est parfois poussée plus loin dans un dispositif qu’on a déjà vu dans les chansons-blagues un peu lourdes sur les bouchers (le boucher amoureux, la femme du boucher, etc). Le Jardin y a consacré toute une série. Ici donc, on « matte la prof de maths », à la réputation pourtant peu sexy en général, dans La prof de maths du Grand Orchestre du Splendid.
Je parlais plus haut des bouchers. Et bien, j’ai même trouvé une chanson qui mange aux deux râteliers : poncifs sur les maths et sur les bouchers. C’est Acne vulgaris, d’Ingrid Caven. Ça raconte l’histoire d’une prof de maths (et de latin) couverte d’acné qui connait enfin l’amour « à plus de cinquante berges ». Mais circonstance aggravante, c’est avec un boucher, quelle horreur. Elle finit donc par se suicider. Les paroles originales (que je n’ai pas pu consulter) ont été écrites en allemand par Rainer Werner Fassbinder. On doit l’adaptation en français à Pierre Philippe qui commençait là sa carrière de parolier. Voir la série que l’émission Tour de chant sur France Musique lui a consacré.
Dans La Vénus mathématique de Guy Béart, l’opposition entre mathématiques et un érotisme vaguement graveleux est filée tout au long de la chanson. Bon, moi ça me touche un cosinus sans faire bouger l’autre, mais avis aux amateurs qui voudraient décortiquer ce salmigondi mi-paillard mi-mathématique. Notez que Guy Béart s’y connaissait un peu en maths puisqu’il était ingénieur de la prestigieuse école des Ponts et chaussées.
Marie Mathématique est plus subtile. Elle est carrément la petite sœur de l’icône érotique Barbarella. La jeunesse de l’héroïne (son âge est déjà une hyperbole permise par un paradoxe mathématique puisqu’elle aura « 16 ans dans mille ans ») empêche de trop expliciter les allusions érotiques. L’aspect mathématique n’est pas très développé non plus et reste voilé de mystère. Tout au plus, les motifs géométriques de la « robe de frisson » sont suivis de quelques images suggestives vers la fin de la vidéo. Gainsbourg est à la composition et au chant, les paroles sont d’André Ruellan et les rires de France Gall.
Marie Mathématique nous amène tout droit à une autre modalité de l’usage érotique des mathématiques en chanson : le mystère, ou même l’ésotérisme. Dans un registre où il est de meilleur goût de suggérer que d’expliciter, le vocabulaire abstrait et sonore des mathématiques, voire le mot « mathématiques » lui-même, est évidemment une ressource. Hubert-Félix Thiéfaine appelle par exemple Mathématiques souterraines une chanson plus sexuelle que scientifique, sans que l’on sache bien ce que les mathématiques viennent y faire.
Hubert-Félix Thiéfaine est aussi le plus numérologue des chanteurs. Il entrelace des allusions sexuelles avec les nombres mystérieux dont il parsème ses paroles. Par exemple dans Chambre 2023 (et des poussières) :
J’étais Caïn junior le fils de Belzébuth Chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates Et m’arrêtant souvent chez les succubes en rut J’y buvais le venin dans le creux de leur chatte Et les ptérodactyles me jouaient du trombone Au quatorzième sous-sol quarante-deuxième couloir Où les anges déchus sous un ciel de carbone Aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs
Le temps d’une chanson, Thiéfaine quitte les mathématiques pour la physique, avec les quarks et quasars, aux deux extrêmes de l’univers. Le quark est la plus petite des particules élémentaires et le quasar l’un des objets les plus énergétiques et lointains du cosmos ! Que ce grand écart conduise à devenir « cunnibilingue » est tout de même une ellipse… Amants destroy :
Travail de nuit, petit matin Jouissance, violence entre ses seins Visage éclaboussé de nacre Amour, bagatelle et massacre
Sur les fusibles du hasard Entre les quarks et les quasars Elle détruira son teddy boy Cunnibilingue et lousy toy
Dans la chanson au titre suggestif, Ad orgasmum æternum, Thiéfaine invoque l’abstraction de l’inconnue X des mathématiques. À moins que ça ne soit le X du classement X au cinéma ?
Dans cité X, y a une barmaid Qui lave mon linge entre deux raids Si un jour elle apprend mon tilt Au bout d’un flip tourné trop vite Je veux pas qu’on lui renvoie mes scores Ni ma loterie ni mon passeport
Gainsbourg lui aussi utilise l’inconnue X et des listes de nombres dans L’hôtel particulier, l’un des titres du célèbre album Melody Nelson. Je note qu’il date de 1971 et la loi sur le classement X de 1975. En France du moins, car au Royaume-Unis, le « X-certificate » a remplacé le « H-certificate » en 1951. Le clip est de Jean-Christophe Averty (je ne peux pas l’incruster car Youtube a posé une limite d’âge, cliquer ici si vous êtes majeur).
Au cinquante-six, sept, huit, peu importe De la rue X, si vous frappez À la porte D’abord un coup, puis trois autres On vous laisse entrer Seul et parfois même accompagné
Après Thiéfaine, l’auteur de chanson qui entrelace le plus sexe et mathématiques est certainement Léo Ferré. Lui aussi tire parti de l’ésotérisme des maths, source inépuisable de sonorités et d’allusions plus ou moins heureuses. Il entre un peu plus dans la signification des concepts, lui qui écrivait : « Je me propose dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. » Dans Des mots, il y a tout un vocabulaire mathématique ou issu des sciences physiques. Par exemple :
MC2, MC2 aime-moi donc, ta parallèle Avec la mienne, si tu veux, s’entrianglera sous mes ailes Humant un peu par le dessous, je deviendrai ton olfacmouette Mon bec plongeant dans ton égout quand Dieu se vide de la tête
Dans La mémoire et la mer :
Quand j’allais géométrisant Mon âme au creux de ta blessure Dans le désordre de ton cul Poissé dans les draps d’aube fine
Dans cette dialectique de l’inexorable et du voluptueux, les mathématiques avec leurs vérités définitives sont bien sûr dans la région de l’inexorable et de la virilité. Mais dans La preuve par trois, Zazie géométrise de manière plus féminine, en traçant à même les corps une sorte de carte du tendre :
Si je reprends tout depuis le début Pour résoudre le problème De cette équation à 2 inconnus Suffit de savoir qu’ils s’aiment Si j’ajoute à ça que le point G Se trouve à l’intersection De 2 corps en position allongée Tu auras la solution
Les mathématiques sont aussi parfois neutres, lorsqu’elles illustrent simplement une réalité objective dans laquelle se déploient des histoires plus humaines. Pas besoin alors d’espaces abstraits ou de concepts abscons, de bonnes vieilles parallèles font très bien l’affaire. Les amants parallèles de Vincent Delerm.
Voici le temps venu d’une série de paralipomènes, de « choses oubliées » : un retour sur quelques séries pour lesquelles j’ai trouvé de nouvelles chansons. Je commence par le thème de l’automne 2021 : les mathématiques.