Le jeu générique

Jeu et chanson 2/15

Assez joué aux échecs. Réfléchissons un peu au jeu en chanson. Car l’exploration des grands mythes de la chanson est une vieille marotte de ce blog. Quelques exemples pour les nouveaux.

  • Le plus grand mythe de toute la chanson française : Paris. Le sujet est trop vaste pour une série et il n’a pas encore été abordé dans le blog. Ça ferait un bon thème pour toute une année quand j’aurai le courage de m’y attaquer.
  • Le mythe le plus consensuel : le Gitan. Tout le monde est d’accord, il est beau, mais à la différence du légionnaire, il ne sent pas le sable chaud. Il est libre, et chose à peine croyable : il joue de la guitare encore mieux que Thomas Dutronc alors que sa maman ne lui a pas payé de cours. Il ne vole pas de poules. Voir ici.
  • Le mythe le moins consensuel : la putain. À une époque, tout grand chanteur se devait de chanter les putains. Mais sont-elles esclaves ou filles de joie ? N’espérez aucune réponse claire, la loi du genre chanson-sur-les-putains est de faire valoir un versant aussi admirable qu’original de la virilité de l’auteur. Aussi chaque chanson se doit-elle de contredire la précédente. Voir ici.
  • Le mythe le plus incantatoire : Paul Verlaine. Ce poète est le probablement celui dont le nom apparait le souvent dans des paroles de chansons. Le simple nom du poète aux vers solubles dans l’air aurait le pouvoir d’alléger les rimes les plus balourdes. Voir ici.
  • Le mythe le plus franchouillard : la java. Aussi fort que le camembert, sans l’odeur désagréable bien sûr. Si votre chanson n’est pas assez française à votre goût, ne l’appelez pas « machin-bidule », mais « java de machin-bidule », et le tour est joué. La série sur le sujet est en préparation.
  • Le mythe le moins franchouillard : le blues. Miroir du précédent, il représente tout ce qu’on désire dans l’Étranger. Le mot est performatif, inutile que votre chanson ait un rapport quelconque avec le blues, il suffit de dire « blues », ou mieux « du blues ». Sa musique est saine comme le bon sauvage, et avantage non négligeable : du moment que c’est du blues, il est permis de se lamenter sur soi-même (on est bien obligé, c’est un des principes du blues). Voir ici.
  • Les mythes secondaires : Jean-Sébastien Bach, les scientifiques, l’imparfait du subjonctif, etc etc. Une série sur les bouchers est actuellement en préparation, il y a un nombre incroyable de chansons qui parlent de bouchers.

Les jeux fournissent aussi quelques mini-mythes. On a vu le jeu d’échecs : jeu supérieur, profond et violent, jeu d’élite, jeu du roi, roi des jeux et inspiration pour les rappeurs. Avant d’explorer d’autres jeux, nous étudions aujourd’hui un paradoxe, une curieuse inversion dans le passage du particulier au général : on verra dans cette série que presque chaque jeu pris individuellement a plutôt une image positive en chanson, alors que le jeu globalement, le jeu générique, non spécifié, a une image plutôt négative. Le tout serait en l’espèce opposé à la somme de ses parties… Voyons cela à travers plusieurs exemples.

La mauvaise réputation du jeu générique vient surtout des cruels jeux de l’amour. François Feldman et Joniece Jamison, Joue pas.

Un deuxième exemple. Plasticines, La règle du jeu.

La « règle du jeu » peut aussi symboliser l’arbitraire. Jeu de loi, par la Chanson du Dimanche.

La règle du jeu est donc implacable, à l’instar de la police, de la loi ou de l’ordre qui n’ont pas bonne réputation en chanson. Mais le jeu en sa futilité est tout aussi négatif : on joue avec nos vie, qui ne sont pas grand chose. Par exemple dans le refrain du prophétique Osmose 99 de Parabellum, qui nous prouve que même des Français peuvent inventer un bon gros riff.
T’as joué t’as gagné t’as tiré un as de pique
Tu y as cru t’as perdu tout ca c’est d’la politique

Le jeu à la généricité la plus innocente, le joujou, n’est là que pour révéler la part de sadisme de l’enfant… La révolte des joujoux par Guy Berry.

Reprise intéressante par Enzo Enzo.

Je pense que la réputation négative du jeu générique est typiquement française. Chez nos amis anglo-saxons, sa réputation est meilleure. Il faut dire qu’ils aiment la compétition et le capitalisme ces Amerloques et English. « Its a free world… play the game » nous chante Queen dans Play the game.

Et Starsky et Hutch, vous avez remarqué que quand il y a une fille entre les deux ils acceptent les règles du jeu ? Non mais quels bons bougres ceux-là. Le générique est interprété par Lionel Leroy.

1 – Les échecs
2 – Le jeu générique
3 – Monopoly
3bis – Chanteuses au nom de jeu
4 – Le flipper
5 – Marelle et pile ou face
6 – Le flambeur
6bis – Cache-cache
7 – La partie de bridge
8 – Le jeu de go
9 – La pétanque
9bis – Cache-cache party et go
10 – Question pour un champion
11 – La belote
12 – Le casino
13 – Les jeux vidéos
13bis – Les jeux vidéos (bis)
14 – Poker
15 – Le joujou du pauvre

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13 à la douzaine

Neuf devinettes (pas que sur Brassens) 3/10

Devinette du jour : quelle est la chanson de Brassens dont les couplets sont écrits en vers de 13 pieds ? J’ai fouillé tout l’internet pour voir si l’information était disponible quelque part, j’ai juste trouvé ça, alors bon courage :

versde13pieds
Réponse à la devinette d’hier. On demandait quel single, classé numéro un en Angleterre contient dans ses paroles le titre classé numéro un juste après lui ? Cette question n’a pas trop inspiré les lecteurs… Il s’agit d’un des plus gros hits de tous les temps :  Bohemian Rhapsody de Queen, qui contient dans ses paroles « Mamma mia », titre du single de ABBA classé numéro un juste après Bohemian Rhapsody. C’était en janvier 1976.

Cette Rhapsody est tellement rabâchée, c’est fatiguant, je vous la propose a capella par Freddie Mercury himself.

Mamma mia!, par Meryl Streep dans la comédie musicale du même nom.

1 – Devinettes
2 – Les premiers seront les premiers
3 – 13 à la douzaine
4 – Renaud dans le rap
5 – Brassens nous parle de chansons
6 – Johnny dans une faille spatiotemporelle
7 – Les toponymes de Georges
8 – Le plus cité
9 – Recollage
10 – Vers d’anthologie

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La pornographie

La chanson sexuellement explicite 12/18
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La chanson ne s’est pas tellement essayée à la pornographie. Il faut dire que le porno, c’est plus fait pour être vu qu’entendu, pour ce qu’on m’en a dit bien sûr. Selon Wikipedia,  la pornographie est une « représentation complaisante — à caractère sexuel — de sujets, de détails obscènes, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique, cette représentation explicite d’actes sexuels finalisés ayant pour but de susciter de l’excitation sexuelle ».

Si l’on s’en tient à cette stricte définition, la première tentative de chanson porno, peut-être la dernière, on la doit sans doute à Gainsbourg, je vous renvoie au billet précédent. Toutefois, au milieu des années Top 50 sont apparues des chansons érotiques aussi sinistres qu’un porno soft sur M6 à 22h55. Regardez le clip ci-dessous, c’est curieux comme laideur. Et la tête qu’ils tirent les deux tourtereaux, ça n’a pas l’air drôle tous les jours pour eux, surtout quand ils s’aiment. Quand tu m’aimes, par Herbert Léonard.

La parolière, c’est Vline Buggy, qui est surtout connue pour avoir écrit beaucoup de chansons de Claude François. Une spécialiste de la chanson à décor, des ambiances : Le pénitencier, Céline ou Le petit âne gris d’Hugues Auffray, c’est elle. Pour cette ambiance là, elle s’est un peu plantée, mais ce n’était pas le plus facile. Moins connu, toujours pour Herbert Léonard, Et toi, sexuellement parlant. Cette fois, la musique est d’un certain Julien Lepers, gloire à lui. Déniché par le site horreursmusicales.com…

Spécialement pour ce billet, je vous ai dégoté une star du porno qui s’est essayée à la chanson : Ilona Staller, plus connue sous son pseudonyme : la Cicciolina. Je suppose que l’exemple n’est pas isolé, mais je me suis refusé à trop enquêter sur ce sujet par égard pour ma e-réputation. J’attends les suggestions de mes lecteurs. La Cicciolina, actrice, politicienne, et donc chanteuse. Baby love.

Vous avez vu ? Étonnant comme la mauvaise qualité des vidéos sur YouTube renouvelle le flou hamiltonien. Pour ceux qui ne connaissent pas, le concept nous vient de David Hamilton, photographe érotique qui a aussi réalisé des films. Un critique facétieux de Télérama écrivait à leur propos : « Dans la salle, les spectateurs crient ‘mise au point’ ».

La Cicciolina a épousé l’artiste kitsch Jeff Koons, et ils ont réalisé ensemble une exposition pornographique d’art contemporain : Made in Heaven. Il parait que le scandale a été unanime chez les critiques d’art, comme quoi ça restait possible en 1990. Puisqu’on est sur un blog de chanson et tout public, je retiens que l’exposition emprunte son titre à une chanson posthume de Freddie Mercury. Made in heaven, par Queen.

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I will derive

La chanson geek 2/5
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Le geek a souvent étudié les sciences, ou est en train de les étudier, à moins qu’il ne s’apprête à bientôt les étudier… Dans le monde anglo-saxon où l’université tient une place éminente, les études scientifiques donnent lieu à toutes sortes de chansons de geeks. Par exemple I will derive.

Certaines chansons se proposent de décrire entièrement un algorithme. Ici, l’algorithme du simplexe, inventé par George Dantzig en 1947. Cet algorithme a une portée assez générale et permet d’optimiser de nombreux processus industriels ou organisationnels. Il fut utilisé pour la première fois par les militaires américains lors du pont aérien durant le blocus de Berlin. De nos jours, il donne lieu à de laborieuses séances de TD (tutorial en anglais). Linear Algebra Tutorial – Simplex Method par Pooyan.

 

Noter que ce genre de chanson n’exclut pas le glamour. Derive me may be ?

Vous vous rappelez peut-être la version quantique de la Bohemian Rhapsody de Queen passée dans la série sur la science en chanson (ici) ? Je vous en propose aujourd’hui une version calculatoire, Calculus Rhapsody (NB pour ceux qui ont étudié les maths, « calculus » en anglais désigne ce qu’on appellerait plutôt « analyse » dans les études en France).

Je n’ai rien trouvé de très intéressant en français. C’est dommage, il y avait autrefois un hymne des taupins, impossible d’en trouver la moindre version sur youtube. Si quelqu’un peut m’aider à le retrouver, ça se termine par « chic à la taupe et aux taupins ». Vous pouvez toujours revoir la Marche des polytechniciens, ici.

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Richard Feynman

Les scientifiques dans la chanson 10/12
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Ça y est, c’est le 10è post de la série sur les scientifiques dans la chanson, c’est la plus longue série de ce blog. Un petit mot d’explication : c’est l’été. Ou bien vous êtes en vacances et vous ne lisez pas, ou bien vous êtes en vacances, et vous avez du temps pour lire. Dans les deux cas, cet alourdissement ne nuira pas : je n’hésite pas à être un plus verbeux que d’habitude. Aujourd’hui, ça vole très haut.

Dans le dernier post, on a évoqué plusieurs chanteurs français « scientifiques ». Mais aucun d’eux n’était réellement un scientifique professionnel. Ils ont étudié les sciences et se sont consacrés à d’autres choses ensuite. On peut supposer qu’un homme aussi créatif et intelligent que Boris Vian serait devenu un grand scientifique s’il l’avait voulu, mais cela ne restera qu’une hypothèse. Et allez savoir si Bernard Menez ne recèle pas dans le secret de son âme les qualités d’un grand mathématicien…

Aujourd’hui, on s’intéresse à un véritable scientifique, de très haut niveau, qui était musicien amateur. Les exemples sont très très nombreux chez ces anciens bons élèves, beaux esprits, surdoués, portés sur l’abstraction, durs à la besogne, souvent élevés dans de bonnes familles et ayant étudié la musique au conservatoire (allez donc voir par exemple le parcours de l’impressionnant Karol Beffa, qui après des études brillantes a finalement opté pour la musique, ici). Le cas que j’ai choisi pour cette série est d’une autre nature : Richard Feynman, prix Nobel de physique 1965 et joueur de bongo réputé (sa page wikipedia le qualifie prudemment de joueur « enthousiaste » pour ne pas se prononcer sur son niveau de jeu). Il a appris le bongo sur le tard, ça n’est pas vraiment de la chanson, mais disons de la musique populaire et sans prétention. Je trouve que ça jette un éclairage intéressant sur son parcours et son style, disons très détendu, libre et pour tout dire « américain ».

Richard Feynman est probablement le meilleur exemple de ces chercheurs en physique quantique de la troisième génération. La première génération, celle de Max Planck et Albert Einstein, a posé les principes de cette science nouvelle, sans trop y croire, comme un formalisme mathématique décrivant une réalité qui ne serait comprise que plus tard, d’une autre manière. La deuxième génération, celles des Niels Bohr, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, ou Paul Dirac, a compris que la théorie quantique décrivait vraiment le monde physique, et constituait de ce fait une nouvelle étape, totalement imprévue, de la révolution copernicienne : après que la Terre fut éjectée hors du centre du monde, puis que Darwin eut éjecté l’homme du centre de la Création, les notions naïves de temps, d’espace et de matière se trouvaient éjectées au delà de toute possibilité de compréhension intuitive humaine. Cela n’allait pas sans difficultés philosophiques, une bonne lecture pour vous en faire une idée : ici.

La troisième génération, celle de Feynman donc, a accepté l’héritage des pères fondateurs, et a continué a bâtir le fantastique édifice sans la moindre angoisse philosophique, sans se retourner pour des génuflexions embarrassées à Kant, Bergson, ou je ne sais qui. Richard Feynman est particulièrement  significatif de ce point de vue : ses livres de vulgarisation sont extraordinaires de clarté et de fraicheur, et ses cours publiés, qu’on trouve encore aujourd’hui, écrits dans un style très direct et totalement dépourvu de pédanterie, ont une réputation excellente. Sa biographie n’a rien de rocambolesque. Il est un pur produit de l’Amérique : fils d’émigrés juifs d’Europe de l’Est installés à New-York, étudiant brillant, puis universitaire autant passionné par la recherche que l’enseignement (il a même refusé un poste de la plus prestigieuse institution scientifique du monde, l’Institute for Advanced Studies de Princeton, au motif qu’il n’y avait pas de charge d’enseignement). Un parcours très américain donc (et à titre de comparaison entre la France et les USA, je vous conseille de lire La nature de la physique, de Feynman, et de le comparer à Le hasard et la nécessité de Jacques Monod, qui par coïncidence a reçu le prix Nobel de Physiologie et de Médecine la même année où Feynman recevait son prix de physique).

Tout la vie de Feynman semble marquée par l’hédonisme : dans son autobiographie,  Vous voulez rire, Monsieur Feynman !, il raconte ses choix scientifiques, guidés par le plaisir de la découverte ou l’étonnement. Et puis des aspects plus curieux, comme sa participation au projet Manhattan (et oui, à un moment, le voilà vraiment « fabriquant de bombes atomiques »), dont il fut peut-être le plus jeune contributeur. Le gros de son travail a consisté en l’élaboration de codes secrets pour communiquer avec sa femme en échappant à la surveillance tatillonne du contre-espionnage. L’explication détaillée de ses techniques pour draguer les hôtesses de l’air de la TWA en escale à son hôtel ne manque pas non plus de saveur.  Et bien sûr sa passion pour le bongo, voilà une petite vidéo de lui en train d’en jouer.

Ne nous quittons pas sans une vraie chanson. Ci-dessous, Bohemian Gravity!, de A Capella Science, une version scientifique de la Bohemian Rhapsody de Queen (très beau travail, merci à Nathalie et Bastien, internautes de Lyon 7è de me l’avoir signalée).  À 1min. 6s., vous verrez même au tableau ce qu’on appelle un diagramme de Feynman, vous savez tout sur lui maintenant (mais ce que je préfère, c’est la petite marionnette d’Einstein) !

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