Flaubert

La chanson, art majeur ou art mineur IV. Archéologie d’une question 9/16
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On vu dans le billet consacré à Béranger à quel point Flaubert l’exécrait. Mais est-ce que Flaubert avait quelque chose d’autre à dire sur la chanson ? Je n’ai pas trouvé grand-chose. Sinon qu’Emma Bovary meurt en chanson. J’ai lu ça dans un article d’Annie Ernaux, dans Variétés : littérature et chanson, sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest. N°601 de la NRF.

Extrait de Madame Bovary.

Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :

Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.

Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.

– L’aveugle s’écria-t-elle.

Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.

Selon Annie Ernaux, cette intrusion d’une petite chansonnette ajoute au côté « simple et sublime » de sa mort. On peut aussi y voir un « curieux symbolisme » : une chanson simplette, chantée par un infirme hideux, requiem grotesque à une âme empêchée de s’élever, jusqu’à la fin. Et Annie Ernaux de se demander quelle chanson « serait la plus terrible à entendre » sur son dernier lit. Elle cite Histoire d’un amour, de Dalida, Mon Dieu d’Édith Piaf, Un jour tu verras de Mouloudji, et C’est extra de Ferré. Et la Bamba triste alors ?

Dans Une chanson de Rétif et sa réécriture par Flaubert, Revue d’Histoire littéraire de la France, 91e Année, No. 2 (Mar. – Apr., 1991), pp. 239-242 Anthony Williams retrace l’histoire de La chanson de l’aveugle. Elle est de Restif de La Bretonne, et personne ne sait comment Flaubert la connaissait. Il l’a un peu modifiée, les corrections ont été retrouvées dans ses notes. Personne ne sait pourquoi. En général, Flaubert était très critique avec la poésie : il y a des pages entières de corrections des vers de Louise Collet dans sa correspondance, il ne les trouvait pas assez « roides » selon son expression.

Pour trouver une chanson que Flaubert a peut-être chantée, il faut hélas se rabattre sur Béranger, retour à la case départ.

À Louis Bouilhet, le 13 mars 1850, à bord de notre cange, à 12 lieues au delà de Syène.

P.S. – Si tu veux savoir l’état de nos boules, nous sommes couleur de pipe culottée. Nous engraissons, la barbe nous pousse. Sassetti est habillé à l’égyptienne. Maxime, l’autre jour, m’a chanté du Béranger pendant deux heures et nous avons passé la soirée jusqu’à minuit à maudire ce drôle.
Hein ! comme la chanson des « Gueux » est peu faite pour les socialistes et doit les satisfaire médiocrement !

La chanson des gueux, par Germaine Montéro

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