Aujourd’hui JeHaN nous chante Les petits amoureux, sur un texte de Bernard Dimey. Je vous laisse découvrir cette chanson des plus étranges sans rien divulgacher.
On célèbre un grand écrivain aujourd’hui. Partez pour une belle promenade de trente minutes. Le bestiaire de Paris. Musique de Francis Lai, avec les voix de Mouloudji, Magali Noël et bien sûr Bernard Dimey.
S’il vous reste deux minutes, essayez Paris mon camarade.
Tiens, j’aurais pu mettre ce qui suit dans la série sur les bouchers. Admirez l’attention au rythme, c’est vraiment de la poésie de parolier.
Le borgne était capable, et sans cérémonie, D’éventrer un chrétien pour trois ou quatre francs Un tueur a le droit de gagner bien sa vie Et d’arroser le coup le soir, au tapis franc
Coupe-gorge voisin des berges de la Seine, Où le chef enseignait à couper le jarret, Taverne sous la terre au creux du cours La Reine, Où la canaille aimait à rendre ses arrêts.
Le surin disparu, la balafre est vulgaire. Et le vin de Suresne a perdu son bouquet Même en l’Ile Saint-Louis, on ne saigne plus guère Monsieur de La Bretonne a déserté le quai.
Pour ce dernier billet sur le vin et l’alcool, je vous ai réservé le meilleur poème et la meilleure chanson. Le poison de Charles Baudelaire.
Le vin sait revêtir le plus sordide bouge D’un luxe miraculeux, Et fait surgir plus d’un portique fabuleux Dans l’or de sa vapeur rouge, Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.
L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, Projette l’illimité, Approfondit le temps, creuse la volupté, Et de plaisirs noirs et mornes Remplit l’âme au-delà de sa capacité.
Tout cela ne vaut pas le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers ; — Mes songes viennent en foule Pour se désaltérer à ces gouffres amers.
Tout cela ne vaut pas le terrible prodige De ta salive qui mord, Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord, Et, charriant le vertige, La roule défaillante aux rives de la mort !
Dans vos yeux J’ai vu s’amasser l’ivresse Et d’une longue caresse J’ai clos vos grands cils soyeux. Mais cette ivresse fut brève Et s’envola comme un rêve De vos yeux.
Si tu me payes un verre, JeHaN et Claude Nougaro, sur un texte du grand Bernard Dimey.
Jacques Brel nous a gratifiés de trois chansons avinées. Une pathétique, une comique, et une chanson à boire. À savoir respectivement L’ivrogne, Parfaitement à jeun et Ça sent la bière. Je vous passe L’ivrogne.
Sinon, je me demande qui était le premier artiste alcoolique. Non pas un qui, par coïncidence, serait à la fois artiste et alcoolique. Je veux dire un dont le génie procède de la déchéance et réciproquement. Je vote pour Gérard de Nerval, dont la descendance est prodigieuse, du Cercle des hydropathes au « sex drug and rock’n roll » en passant par Verlaine, Dimey et Gainsbourg. Vous noterez que l’avènement de l’artiste maudit, alcoolique ou drogué, est concomitante de celle du romantisme, qui exaltait les paysages parsemés de ruines. Concomitant aussi du début de la révolution industrielle. L’augmentation des rendements permet de diffuser plus largement le vin, que l’on peut boire pur et non plus coupé d’eau. L’alcool : l’une des drogues les plus dures selon de nombreuses études médicales, et qui permet de supporter le monde nouveau. Le travail, plaie des classes qui boivent comme disait Oscar Wilde.
Petit piqueton de Mareuil, Plus clairet qu’un vin d’Argenteuil, Que ta saveur est souveraine ! Les Romains ne t’ont pas compris Lorsqu’habitant l’ancien Paris Ils te préféraient le Surène.
Ta liqueur rose, ô joli vin ! Semble faite du sang divin De quelque nymphe bocagère ; Tu perles au bord désiré D’un verre à côtes, coloré Par les teintes de la fougère.
Tu me guéris pendant l’été De la soif qu’un vin plus vanté M’avait laissé depuis la veille ; Ton goût suret, mais doux aussi, Happant mon palais épaissi, Me rafraîchit quand je m’éveille.
Eh quoi ! si gai dès le matin, Je foule d’un pied incertain Le sentier où verdit ton pampre !… – Et je n’ai pas de Richelet Pour finir ce docte couplet… Et trouver une rime en ampre.
La chanson, art majeur ou art mineur VIII. Chanson et peinture 6/17
Le « peintre » est l’un des multiples mythes qui peuplent la chanson, l’un de ses personnages conventionnels qui dispensent l’auteur d’explications, à l’instar du « gitan » ou de la « putain » auxquels on a déjà consacré des séries (ici et là). Un peintre à Montmartre, tout le monde comprend : artiste maudit qui hante les bistrots, génie bavard qui peint des croûtes, meurt de faim (mais pas de soif) et qui sera plus tard millionnaire, rassasié d’académie, désabusé, regrettera bien le temps d’avant où il ne mangeait qu’un jour sur deux, etc.
La taverne d’Attilio, par Félix Marten, sur des paroles de Bernard Dimey.
La bohême, par le Trio Esperança.
Pour en savoir plus sur ce qu’est vraiment la « bohème », je vous recommande la lecture d’un texte de Jean-Didier Wagneur, ici. Vous apprendrez que ce mythe est précisément daté : il remonte à un ouvrage d’Henry Murger, Scènes de la Bohème, paru en 1842 et dont l’adaptation au théâtre remporta un grand succès. Puccini en tirera un opéra joué très souvent jusqu’aujourd’hui. Au départ, la bohème était surtout littéraire, puis elle a glissé vers la peinture. J’en reviens à une vieille marotte, selon laquelle dans le grand écosystème des mythes, idée toutes faites, etc, la chanson est en bout de circuit, plus « robinet » que « source », voir la série sur les expressions toutes faites en chanson, ici.
En bon auteur de chanson, Yvan Dautin puise au poncif sans s’y vautrer. Les mains dans les poches sous les yeux. Notez que le titre combine deux expressions toute faites, petit jeu auquel un certain Georges Brassens excellait, voir ici.
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui Bernard Dimey, né en 1931.
Jacques Marchais nous chante Sortilèges sur une musique de Francis Lai.
Je recommande fortement d’explorer toute l’œuvre de Bernard Dimey. On y consacrera une série. En attendant, allez voir JeHaN en concert si vous le pouvez, il fait magnifiquement vivre le répertoire de ce grand auteur de chansons.
Bravo à Nadia (internaute de Meylan), ainsi qu’à Pierre et Michèle (internautes du pays d’Othe il me semble) qui ont à leur tour résolu l’énigme. Pour les autres, le cinquième volet de l’énigme : Mon truc en plumes, paroles du grand Bernard Dimey, par sa créatrice, Zizi Jeanmaire.
Et l’indice d’aujourd’hui, c’est À Jeun, de Jacques Brel, qu’on a déjà passé, ici.