La fréquentation de mon blog a quelque peu baissé ces dernières semaines… sans doute parce qu’avant ça, elle avait augmenté. Ou alors c’est la pénurie de bonnes chansons. Parce que les quatre derniers thèmes, c’était l’hymne national américain, une énigme, les bouchers et Jean-Sébastien Bach. Passionnant tout ça, mais les chansons n’étaient pas toujours au top.
Alors, j’ai fouillé dans mes notes préparatoires, et j’ai trouvé un thème plein de chansons toutes plus belles les unes que les autres. C’est l’amour des villes. Amour auquel j’ai vite accolé la mélancolie, car la plupart des chansons sur les villes ont comme une patine de tristesse. En tout cas, « nous déambulerons dans les rues de Paris » comme le chantait Barbara, et de bien d’autres villes, tristes ou joyeuses. Mais pour n’afficher aucune préférence, on commence par une ville abstraite et sans nom.
La ville morte, par Monique Morelli, une chanson de Pierre Mac Orlan selon l’expression consacrée.
Ça y est, voilà le dernier billet de la série consacrée à Bach. Je voulais conclure, mu par un besoin obscur de comprendre les usages de Bach dans la culture populaire. Ils sont à la fois vastes et dispersés, si bien qu’il est difficile de s’y retrouver : preuve supplémentaire du génie polymorphe de Bach, de sa créativité et de sa perfection prodigieuse. Bach est un géant … le seul compositeur à avoir son émission hebdomadaire sur France Musique, Le Bach du dimanche, tous les dimanches à 7h, rien que son répertoire, planté pour une durée indéterminée dans la fixité de la grille des programmes, comme s’il était inépuisable.
J’ai été surpris de tout ce que j’ai trouvé en creusant dans différentes directions. L’air Jesus que ma joie demeure inspire un attelage bigarré : Les compagnons de la chanson, Frida Boccara, Dave ou les Beach Boys, et il traîne par-ci par-là, dans un sketch des Inconnus, un autre de Jean Yanne, et même un épisode de Columbo que j’ai regardé par hasard la semaine dernière (impossible de trouver une vidéo). Comme le biologiste qui trouve cinquante nouvelles formes de vie dans la goutte d’eau d’un étang, et puis en croise encore une ou deux autres par hasard sur le chemin du retour, je soupçonne qu’il suffirait de creuser pour trouver encore et encore.
En chanson, on entend quelques mélodies de Bach et parfois son nom. Au-delà de la chanson, on le retrouve dans la pop, le jazz, le rock progressif et le heavy metal. On le trouve, ou peut-être croit-on le trouver partout, des Tontons flingueurs jusque dans des théorèmes de logiciens autrichiens ou dans les pages blanches des carnets secrets de la chanteuse Camille.
Mais voilà, je ressens un curieux malaise : j’adore la chanson, le rock ou le jazz, ainsi que Bach. Mais presque toutes les chansons de la série sont moyennes ou médiocres à mon goût. On essaye de plaquer des paroles de variétés sur une musique de Bach, vraie ou fausse, mais le plus souvent, on voit un peu la couture entre les deux. On essaye de faire swinguer Bach, mais on en retient plus la présence de Bach qu’on en ressent le charme du swing. Bref, la musique de ces dernières décennies a plutôt besoin de Bach que de sa musique, et son usage me semble moins une inspiration qu’une proclamation.
Une digression comme point de comparaison : les usages en variété des musiques de Bach font pâle figure à côté de la fusion parfaite entre la musique romantique et la chanson de variété opérée par Gainsbourg, qui a su mettre sur ce coup des arrangeurs talentueux comme Alain Goraguer. On en reparlera bientôt. D’ailleurs, la seule chanson vraiment réussie de la série sur une musique de Bach, je trouve que c’est Sur un prélude de Bach, et justement on trouve aux commandes Jean-Claude Vannier, arrangeur de variété, un temps compagnon de Gainsbourg, et puis qui a beaucoup réfléchi à tout ce qu’il faisait. On a vu que sa chanson n’est pas exempte de contre-sens, comme s’il fallait un peu mentir pour bien faire fusionner Bach et chanson. On reparlera de Jean-Claude Vannier plus tard…
Alors pourquoi citer Bach à tort et à travers ? Pourquoi veut-on Bach, pourquoi a-t-on besoin de Bach ? Je risque une hypothèse : Bach, c’est l’Occident, ou l’Europe. Le seul compositeur dont le mythe puisse lui être comparé est bien sûr Mozart. Mais dans nos représentations, je dirais que Mozart est plutôt perçu comme universel, une sorte de don fait à l’humanité toute entière, l’intercesseur d’une musique divine ou naturelle. Tandis que la musique de Bach est le fruit du travail acharné d’un homme seul, une combinaison originale de science et de religion, un peu comme notre civilisation. Il nous plait à tous que Bach soit du jazz, ou que le jazz soit du Bach, chacun selon sa pente.
Pour finir, le générique de Répliques, l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture : Les variations Goldgerg. Le générique proprement dit commence vers 3:00, au moment ou s’épanouit un contrepoint énergique à deux voix qui symbolise le dialogue contradictoire, thème de l’émission. Par Glenn Gould, une musique de Jean-Sébastien Bach bien sûr.
On a un peu parlé du pianiste Glenn Gould dans cette série. Ses interprétations de Bach ont vraiment marqué, mais il a aussi composé dans la manière du maître. Par exemple cette chanson pleine d’humour qui évoque Bach. So you want To write a fugue?
Paroles de sagesse à méditer :
So just ignore the rules and try, And the fun of it will get you, And the joy of it will fetch you, It’s a pleasure that is bound to satisfy. So why not have a try? You’ll decide that John Sebastian, Must have been a very personable guy.
But never be clever for the sake of being clever, For a canon in inversion is a dangerous diversion And a bit of augmentation is a serious temptation While a stretto diminution is an obvious solution Never be clever for the sake of being clever For the sake of showing off.
Pour mieux faire connaissance, Glenn Gould off the record.
Sinon, vous saviez que Mozart était un mauvais compositeur ? Sans ça, il aurait eu le droit à sa série comme Bach.
Un extrait du film Amadeus. Mozart joue à la manière de Bach. C’est fantaisiste historiquement, mais c’est intéressant sur la perception des deux plus grands génies de la musique classique.
On explore aujourd’hui un peu plus le célèbre Prélude en do majeur, premier morceau du Clavier bien tempéré, déjà vu dans le billet précédent. Pour commencer, le pianiste Lang Lang nous explique quelques enjeux liés à son interprétation.
Encore Lang Lang. Son idée de respiration, je parie que ça a dû parler à Michel Jonasz qu’on aperçoit sur la vidéo …
On l’a déjà vu dans le billet précédent, le premier prélude de Bach a été beaucoup décliné. Il aurait inspiré Fuir le bonheur, de Serge Gainsbourg. Par Jane Birkin. Il y a bien une parenté, mais c’est quand même bien trafiqué.
Alexandre Astier, qui a consacré tout un spectacle à Bach, en a proposé une version au rythme un peu tordu. Amateurs de solfège, c’est du 15/16. Pour ceux qui ne comprennent pas ce que ça veut dire, retenez que c’est bancal mais que c’est fait exprès.
On entend le prélude dans Repent Walpurgis de Procol Harum, vers 3:00 sur la vidéo. Ça fait quand même un peu il y a un cheveu dans la soupe.
La version de Jacques Loussier. Je n’ai pas trouvé de version d’Edouard Ferlet, ça aurait été intéressant ce comparer leurs approches…
L’Ave Maria de Gounod est basé sur ce prélude, et d’après le site cover.info qui m’a bien aidé à préparer cette série, on en trouve 130 reprises : pop, chanson, variété, etc.
Par Tino Rossi, c’est pas mal du tout.
Par Bing Crosby.
Même Stevie Wonder s’y est collé.
On passe au kitch. Qui a eu l’idée de mettre la ligne de basse de Stand by me ? Et de mettre Johnny sur le coup ?
Et puis le spécialiste de Bach en variété. Dave, Marie mon rêve.
Pour finir, les meilleurs. Präludium und Fuge Nr. 1 C-Dur BWV 846. The Swingle Singers. À écouter ici.
Aujourd’hui, Maurane chante Sur un prélude de Bach. La musique est une adaptation par Jean-Claude Vannier du célèbre Prélude en do majeur du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach.
Je trouve ça plutôt réussi, mais il y quelques contresens curieux. Les paroles font référence au pianiste Glenn Gould. Il était connu pour son jeu assez peu lié. Bien adapté à la mise en lumière de l’architecture contrapuntique des compositions de Bach au demeurant. Écoutez plutôt son interprétation du prélude en do majeur. Les notes sont très détachées, c’est presque sautillant par moment. Rien à voir avec ce qu’on entend à l’arrière plan de la chanson de Vannier.
Pour comparer, écoutez l’interprétation de Sviatoslav Richter. Je trouve qu’il y a plus de sentiment, ça correspond bien mieux à l’ambiance de la chanson de Vannier / Maurane.
Mais pourquoi Vanier vient nous bassiner avec Glenn Gould pour évoquer une ambiance disons romantique et à l’opposé de ses interprétations ? Et alors que le piano à l’arrière plan ne joue pas du tout à la manière de Gould ? Je risque quelques hypothèses. D’abord, Gould est célèbre, il est beaucoup passé à la télé, même le public qui n’écoute pas de classique peut connaître : « ah bah oui, Glenn Gould joue Bach », même moi je connais, alors c’est dire. Et puis essayez de caser « Sviatoslav Richter » dans des paroles… « Glenn Gould » ça sonne mieux, ça claque, les consonnes percutent, c’est trop bien. Alors va pour Glenn Gould, Richter va pas faire un procès de toute façon.
Glenn Gould et Sviatoslav Richter avaient donc des approches assez opposées. J’ai trouvé quelques commentaires de Gould là-dessus, très intéressant.
Catherine Le Forestier nous chante La petit fugue, souvenir de famille avec son frère Maxime qu’on entend à la deuxième voix.
On lit par ci et par là que la musique est inspirée de Prélude et Fugue n.11 en Fa Majeur, BWV 856. Pas tout à fait évident, mais pourquoi pas.
Je trouve le recours à Bach intéressant dans cette chanson. Ce compositeur difficile et parfois considéré comme froid ou austère fait ressortir par contraste toute la chaleur de la vie familiale des Le Forestier.
Il y a bien longtemps, le Jardin a consacré une série aux contraintes formelles exotiques en chanson, ce qu’on appelle l’ouchanpo, par analogie à l’oulipo qui explore cet aspect de la littérature. Voir ici. Je vous ressers le billet de cette série consacré à Bach.
Prenez une petite ligne mélodique. Jouez là une fois à l’endroit, une fois à l’envers, et puis une troisième fois, en même temps à l’endroit et à l’envers. Quelle cacophonie… sauf si la ligne a été savamment concoctée par Jean-Sébastien Bach. C’est le principe de son Canons à cancrizans, un passage de L’Offrande musicale (« cancrizan » veut dire à la manière du crabe, dont on ne sait pas s’il avance ou s’il recule). Notez que le thème est très proche de celui du Ricercare passé dans le précédent billet.
Exercice pour un atelier d’écriture de chansons : mettre des paroles là dessus (en palindrome si possible). La vidéo n’est pas mal faite, sauf que je ne vois aucun rapport entre le canon de Bach et le ruban de Mœbius.
On reprend aujourd’hui un billet de la série qu’on a consacrée au geeks en chanson. Car Jean-Sébastien Bach est le compositeur préféré des geeks ! Allez découvrir sur YouTube le nombre impressionnant de vidéos de musiques de Bach sur des images plus ou moins scientifiques.
Outre la complexité combinatoire de sa musique, la popularité de Bach chez les geeks provient d’un best-seller paru en France en 1985, Gödel, Escher, Bach : les Brins d’une Guirlande Éternelle de Douglas Hofstadter. Ce livre rapproche les structures autoréfentielles apparaissant dans la preuve du théorème de Gödel, la musique de Bach et les dessins de M.C. Escher. Sont oubliées les boites de Vache qui rit, qui contiennent le dessin d’une boite de Vache qui rit, et ainsi de suite à l’infini (c’est ça l’autoréférence, que nos amis littéraires appellent pompeusement mise en abyme, expression honnie du geek et du consommateur de Vache qui rit).
Le théorème de Gödel affirme que pour tout système formel de preuves suffisamment riche, il existe un énoncé vrai et pourtant non prouvable. La démonstration repose sur une manière astucieuse d’écrire dans le système considéré un énoncé un peu similaire à « cet énoncé est faux », qui, si on arrive à le prouver fait s’écrouler tout le système (parce qui si il est vrai, alors il est faux, donc il est vrai, etc). En bonne logique, la prouvabilité de l’énoncé menant à une contradiction, la seule possibilité est que l’énoncé n’est pas prouvable.
Cette phrase qui parle d’elle-même (autoréférentielle donc) est comparée à une musique de Bach où des suites de modulations nous font quitter la tonalité de départ pour finalement y revenir, ce qui crée une sorte de boucle infini. Le procédé est assez anecdotique, mais il est utilisé dans le Canon perpétuel, un passage de l’Offrande Musicale, œuvre magistrale écrite à la fin de la vie de Bach, une sorte de testament. La comparaison est un peu exagérée peut-être, son plus grand mérite étant probablement d’avoir fait connaître Bach à un public qui ne s’y serait pas intéressé sans ça. Je me demande combien de geeks ont écouté l’Offrande Musicale à cause du livre de Hofstadter (j’en fais partie). Du reste, nombreux sont les chercheurs en informatique fondamentale qui ont été marqués par ce livre en leur prime jeunesse.
On écoute Canon perpetuus.
Voilà ce qu’en pense la chanteuse Camille.
Je vous propose aujourd’hui le Ricercare à 6 voix. Il s’agit d’un sommet dans l’art du contrepoint : six lignes mélodiques indépendantes démarrent les unes après les autres et vivent en parfaite harmonie. Il paraît que composer de telles pièces est un véritable casse-tête combinatoire, ce qui convient bien aux geeks n’est-ce pas. La partition n’indique pas d’orchestration. J’ai choisi ce que je préfère, le clavecin seul, instrument sec, peu timbré et qui laisse bien les voix indépendantes, ce qui permet de les suivre sans se laisser perturber par le sentiment et toutes ces bêtises, comme un bon geek quoi. Vous noterez les images scientifiques sur la vidéo (la grande galaxie d’Andromède, le fameux champ profond de Hubble et deux galaxies non identifiées). Robert Hill, Ricercare à 6 voix.
Si vous voulez vous entrainer à suivre les six voix, je recommande cette vidéo.
Et puis la version des Swingle singers, plus émouvante.
On aborde aujourd’hui le Bach subliminal, le Bach prétendu là. On lit un peu partout que Paul Simon s’est inspiré d’une mélodie de Bach pour composer American tune. Par Simon et Garfunkel lors du célèbre concert à Central Park.
Effectivement, il y a une parenté avec un passage de La passion selon Saint-Matthieu. Paul Simon le dit lui-même (je ne retrouve plus où…). C’est vrai que c’est plutôt la classe de s’inspirer de Bach, alors pourquoi s’en cacher.
En fait, la situation est assez complexe parce que Bach lui-même recyclait des mélodies, et puis a été à son tour recyclé dans d’autre compositions classiques. Démêler tout ça dépasse le cadre de mon travail d’amateur. Allez voir sur wikipedia, ici.