Les succès de la musique contemporaine

Les succès de la musique contemporaine

Chers lectrices et lecteurs,

Il y a quelques jours j’ai affirmé un peu vite que ce qu’on appelle la musique contemporaine n’a pas connu beaucoup de succès commerciaux, ce qui a suscité une réaction éclairée de M. Partageux, abonné de longue date du blog et lui-même blogueur (son blog). Il m’a de ce pas préparé une playlist Succès de la musique contemporaine ! En ces temps de confinement, certain d’entre vous auront peut-être le temps d’écouter ces longues heures de belle musique, ou au moins d’y musarder pour mettre un nom sur des bouts de musique entendus ici ou là. Bonne écoute, et merci M. Partageux, votre pseudo est des plus adéquat.

Steve Reich (USA) Music for 18 musiciens. J’ai fait une bafouille au sujet de cette exécution de l’œuvre, ici :

De Steve Reich encore voici City Life. Mais j’aurais pu mettre aussi Different Trains comme d’autres œuvres qui ont bien assuré les vieux jours du compositeur.

Veljo Tormis (Estonie), Maudit soit le fer. La bafouille est déjà écrite alors pourquoi se fatiguer, voir ici ?

Philip Glass (USA), The photographer. J’aurais aussi pu prendre la trilogie des Qatsi, trois magnifiques films sans paroles et sans narration de Godfrey Reggio, pour lesquels Philip Glass a composé des musiques originales qui se sont vendues à faire crever de jalousie les hit parades. Glass comme Reich ont sucé les cailloux dans leurs jeunes années. Ils ont notamment travaillé ensemble comme… déménageurs !

Arvo Pärt (Estonie), Stabat Mater. Arvo Pärt a accumulé les succès de vente et fait la fortune de son éditeur phonographique ECM (spécialisé dans le jazz d’avant-garde) avec Fratres, Tabula rasa, Cantus in memoriam Benjamin Britten, Arbos et bien d’autres…

Arvo Pärt, Passio. Qui aurait parié que la Passion selon Saint Jean, dans le texte intégral en latin, deviendrait un énorme succès discographique ?

John Tavener (Grande-Bretagne) The Protecting Veil avec Stephen Isserlis, le violoncelliste fétiche de Tavener.

John Tavener, Fragments of a Prayer. Où je raconte que Tavener n’a récolté des droits d’auteur plantureux qu’après l’âge de 45 ans, ici :

Max Richter (Allemagne), On the Nature of Daylight (Entropy).

Kronos Quartet (Californie), Mai Nozipo, extrait de l’album Pieces of Africa, où le célèbre quatuor à cordes joue sept ou huit compositeurs de ce continent. Le Kronos a enregistré plus de 600 œuvres mais les déchets artistiques, et il y en a, se font oublier des éditeurs par les œuvres qui font des ventes énormes…

Gavin Bryars (Grande-Bretagne), The Sinking of Titanic, un petit ensemble classique-contemporain qui improvise ad libitum sur un canevas écrit répétitif et qui injecte dedans les bruits marins d’une banque sonore goupillée pour la circonstance. Le tout enregistré dans un château d’eau à Bourges. Raconte donc à un producteur que le disque va faire un malheur et que Le naufrage du Titanic sera joué pendant des années dans les lieux les plus invraisemblables !

Pierre Henry (France), Messe pour le temps présent. Un carton en… 1967 et les années suivantes. France Inter en utilisera des extraits en virgules sonores et indicatifs pendant une décennie.

Merci monsieur Partageux. Vous en voulez encore ? Retournez voir l’analyse musicologique des 4 minutes 33 de silence de John Cage proposée par votre serviteur, ici.

Tous les thèmes

 

 

Y a moins court, mais c’est plus long

Les chansons courtes, 9/13
1234567891011121313bis

On parle de chanson courte, de chanson ultra courte, mais les chansons longues alors ? Je ne me suis pas trop penché sur la question, j’ai peur qu’une série sur les chansons trop longues ne plombe l’audience… Je vous ai trouvé une pièce de musique contemporaine qui dure 639 ans, Organ²/ASLSP de John Cage, voir ici. Je vous la passerai une autre fois.

C’est trop nul la chanson longue. Je vous passe plutôt Ah si j’étais riche par Les elles. Ça dure 26 secondes.

Tous les thèmes

 

 

Le silence, c’est de l’argent

Le silence en chanson 8bis/8
11bis22bis34566bis788bis

Un dernier petit truc sur le silence en chanson, signalé par GA dans un commentaire. Le groupe Vulfpeck a été encore plus loin que Alphonse Allais et John Cage en publiant un album entier constitué de pistes silencieuses : Sleepify. Ils l’ont alors uploadé sur une plateforme offrant des royalties à chaque écoute, et ont demandé à leurs amis de l’écouter en boucle la nuit. Ça leur a rapporté 20000 dollars à ce qu’il parait. Voir ici. Bravo GA, tu gagnes le concours, même après la date limite !

Bon, je ne sais plus du tout quoi vous passer comme chanson… The Sound of Silence, Simon and Garfunkel.

 

Tous les thèmes

Le silence pendant Mozart, il est très bien aussi

Le silence en chanson 6/8
11bis22bis34566bis788bis

L’une des citations les plus rabâchées à propos de la musique est probablement : « Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. » C’est de Sacha Guitry. Le propos est discutable : Mozart a beaucoup souffert pour apprendre le contrepoint, s’inspirant sans relâche des maîtres du genre (voir par exemple ici). On pourrait donc dire que dans certains cas, le silence qui suit Mozart est peut-être de Bach ? Ou alors de John Cage ? D’Alphonse Allais ?

Qu’en est-il du silence pendant Mozart ? Écoutons l’ouverture de Don Giovanni. L’opéra débute par deux accords scandés par tout l’orchestre, chacun suivi d’un silence, qui apparaît dans sa vertigineuse verticalité sur la partition, une vraie merveille.

 

Il est intéressant de voir comment les chefs d’orchestre traitent ces deux silences. D’abord Theodor Currentzis. Je trouve que ça « presse » un peu. C’est le choix assumé et souverain du chef, qui confère un petit rien de fébrile à ce départ.

 

À comparer avec James Levine. Les silences plus longs et plus habités. J’aime bien son petit geste pour faire taire l’orchestre.

 

En bonus, une longue vidéo sur l’enregistrement de Don Giovanni par Theodor Currentzis et l’orchestre de l’Opéra de Perm. On parlait de contrepoint au début du post, il y en a un que j’aime beaucoup vers 1:25 : les trois voix graves de Don Giovanni, de Leporello et du Commandeur s’entremêlent.

Tous les thèmes

4’33 » : un plagiat

Le silence en chanson 4/8
11bis22bis34566bis788bis

Le post précédent n’était pas un bug. C’était un post vide, une sorte de carré blanc sur fond blanc à la Kasimir Malevitch, mais pour blog. Car pourquoi l’art du blog n’aurait-il pas son avant-garde ultra-minimaliste ?

En musique, le compositeur John Cage a eu une sorte de bonne idée, ou plutôt a cru l’avoir, en composant son célèbre 4’33 », parfois appelé 4 minutes 33 secondes de silence. C’est un morceau de musique entièrement silencieux. Je le dis tout net, l’écriture est très maladroite. Le manuscrit original (de 1952) est perdu, mais le premier interprète de la pièce, le pianiste David Tudor,  l’a reconstitué de mémoire. Assez curieusement, le chiffrage est 4/4.  Un tel carcan laisse bien trop peu de liberté d’interprétation aux musiciens. Les indications « tacet » (« on se tait » en latin), répétées pour chacun des trois mouvements dans des versions ultérieures de la partition, sont redondantes, ce qui pousse au sur-jeu. En l’espèce, c’est presque un excès d’ornementation.

Bref, cette pièce sur-écrite est finalement d’assez mauvais goût, bien loin de ce style épuré qu’on serait en droit d’attendre d’une œuvre silencieuse. Confier sa création à un pianiste était un parti-pris discutable : l’œuvre est-elle un manifeste prônant un retour à l’harmonie naturelle comme l’indique l’absence complète de dissonance ? Peut-être, mais pourquoi alors cette écriture toute horizontale ? L’ostinato serait donc plutôt une tentative de prouver la prééminence du rythme. Sans doute, mais la cellule rythmique répétée à l’identique ressemble plutôt à un cadre destiné à recevoir un développement mélodique… Le choix du piano, instrument à la fois harmonique, rythmique et mélodique ajoute donc à la confusion, là où des indications précises d’orchestration clarifieraient les intentions. Finalement, cette page de musique est à la fois sur-écrite et confuse, exploit unique dans toute l’histoire de la musique.

Cela ne m’a guère facilité la tâche quand j’ai essayé de jouer 4’33 » dans une réduction pour guitare que j’ai dû écrire moi-même, un comble pour une œuvre aussi célèbre : encore une preuve du mépris de la grande musique pour nous autres gratteux. Mes compétences parcimonieuses ne me laissaient qu’une seule autre option : la chanter, ou plutôt la solfégier, mais je n’ai trouvé aucune indication de tessiture (ou, à défaut, d’ambitus, ce qui m’aurait guidé pour la transposer).

Je laisse tomber la musique savante, c’est trop technique. Je ne vous passe pas le morceau : les interprétations disponibles sur le net laissent à désirer, il y a souvent des longueurs et c’est laborieux à force de sophistication. Et surtout, 4’33 » n’est qu’un plagiat.

Car je préfère de très loin la toute première œuvre musicale entièrement silencieuse, la Marche funèbre composée pour les funérailles d’un grand homme sourd, composée par Alphonse Allais en 1897. La partition est vraiment vide, il n’y a même pas de silence. C’est agréable à jouer, c’est délié, sans prétention, on se sent bien plus libre en termes d’interprétation, moins écrasé par toute l’érudition du compositeur. Bref, malgré le titre un peu pompeux, c’est bien une chanson. Allez, je vous la passe, « ces grandes douleurs étant muettes » comme disait Alphonse Allais.

En me documentant, j’ai en plus découvert qu’Alphonse Allais avait inventé le café lyophilisé, seule drogue que je consomme au quotidien, quel grand homme ! Sinon, le concours est toujours ouvert : quel est le plus long silence pendant une chanson (Alphonse Allais, ça ne compte pas, c’est toute la chanson qui est pendant le silence).

Tous les thèmes

Le silence du chanteur de jazz

Le silence en chanson 1/8
11bis22bis34566bis788bis

On s’intéresse à partir d’aujourd’hui au silence dans la chanson. Le thème se prête particulièrement au bavardage, mais n’insistons pas sur ce paradoxe, ça en rajouterait encore (du bavardage).

Avant de démarrer la série, je lance un grand concours : trouvez-moi le plus long silence dans une chanson. Attention, John Cage ne compte pas (ceux qui ne connaissent pas ce compositeur le découvriront très bientôt dans cette série). Je veux une vraie chanson, avec un vrai silence dedans : pas de silence qui suit Mozart et qui est encore du Mozart (on en parlera aussi dans la série, c’est tout à fait valable, mais ce n’est pas de la chanson). J’ai un exemple de silence de presque trois secondes, je le passerai à la fin de la série. Qui dit mieux ?  J’attends vos propositions avec impatience.

Commençons notre étude du silence par une scène du Chanteur de Jazz, tout premier film « parlant et chantant » de l’histoire du cinéma. En fait, le film est principalement muet, seules quelques scènes sont parlantes et chantantes. Il raconte la relation conflictuelle de Jakie Rabinowitz avec son père, chantre dans une synagogue de New York.  Ce dernier souhaiterait que son fils vive dans la tradition juive et devienne chantre à son tour. Surtout pas chanteur de jazz en tout cas. Je vous passe une scène où un silence des plus éloquents interrompt notre chanteur : Al Jolson, dans Blue skies (merci à un internaute anonyme pour l’info).

Ce silence soudain induit une belle dramatisation et fait basculer la scène « parlante et chantante » dans une esthétique typiquement muette. L’intertitre (hélas coupé à la fin de la vidéo) « Papa, you have no words for your son » peut se comprendre à plusieurs niveaux : le père n’a effectivement pas de mots, puisque le film est redevenu muet… à moins que le film ne redevienne muet faute de mots.

À écouter sur le silence au cinéma (et en particulier cette scène du Chanteur de Jazz) : sur le site de France Culture, Quand le cinéma donne la parole au silence, dans l’émission Les Chemins de la philosophie d’Adèle Van Reeth, avec José Moure. Ici.

Tous les thèmes