La querelle des bouffons

Peut-on chanter en français – 4

Le grand rival du français est aujourd’hui l’anglais, mais autrefois c’était l’italien. Vers 1750, une controverse sur les mérites comparés des opéras italien et français a agité tout Paris. C’est la fameuse Querelle des bouffons, voir ici, à l’occasion de laquelle Jean-Jacques Rousseau a écrit sa Lettre sur la musique française de 1753 dont voici un extrait.

Le caractère traînant de la langue, le peu de flexibilité de nos voix, et le ton lamentable qui règne perpétuellement dans notre opéra, mettent presque tous les monologues français sur un mouvement lent, et comme la mesure ne s’y fait sentir ni dans le chant, ni dans la basse, ni dans l’accompagnement, rien n’est si traînant, si lâche, si languissant que ces beaux monologues que tout le monde admire en bâillant ; ils voudraient toucher le coeur et ne font qu’affliger les oreilles.

Je n’ai pas vraiment de chanson pour aujourd’hui, alors puisqu’on parle d’affliger les oreilles avec du français, je vous propose un florilège du pire des adaptations en français de tube américains ou anglais. Enfin selon mon goût, je m’excuse auprès des fans.

Je commence par Le sous-marin vert, par les compagnons de la chanson, adaptation de Yellow submarine des Beatles, original qui ne vaut pas tellement mieux entre nous. On notera la délicatesse de touche du percussionniste. Sinon, je crois que « yellow », ça veut dire « jaune » et pas « vert ». À regarder jusqu’à la fin, pour le solo de guitare évoquant un appel de détresse, seul usage du code Morse en chanson à ma connaissance, et puis le naufrage final.

Le célèbre générique de Rocky III, Eye of the tiger, yeah, c’est américain ça. Et ça sonne un peu drôle en français, surtout grâce à ce parolier dont je vais taire le nom par charité, parce que quel raffinement dans l’abomination. Il faudrait qu’il suive un atelier d’écriture chanson (par exemple, « croient », ça compte pour un seul pied, c’est pas comme « croâââ », cri de la grenouille, qui compte bien pour deux). Par Sylvie Vartan.

Vous connaissez sûrement le truc chaud. Et oui, Hot stuff de Donna Summer, tout empli d’énergie sexuelle, et qui dans la langue de Molière parvient par je ne sais quelle distillation à un équilibre parfait entre vulgarité et platitude. Prends-moi par Michèle Richard.

Ah oui, et puis tout le monde a besoin de quelqu’un, comme nous l’enseignent les Blues Brothers et avant eux Salomon Burke. Mais qui a besoin de Hey Valérie des Forbans ? Bravo au parolier : « Hey Valérie, mets ton bonnet ».

Déjà passé dans la série sur les jeux en chanson, l’adaptation de Pinball wizard des Who, Le sorcier du flipper, est tout ce qu’il y a de plus flippant, merci Richard Anthony.

Après tout ça, je me dis qu’il vaut mieux assumer la nullité de sa langue et faire des vraies parodies. Sim, qui fait son entrée au 1563e billet de blog, et Patrick Topaloff nous grisent avec Où est ma chemise grise ?

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Le bégaiement

Handicap et chanson 15/34

On aborde aujourd’hui le seul handicap utilisé en chanson pour ses qualités musicales : le bégaiement. On commence par le Stuttering blues (le blues bégayant), de John Lee Hooker.

Il parait que ça a inspiré My generation, des Who, déjà vus dans la série et à qui je décerne le prix de meilleurs artistes ayant chanté le handicap sous toutes ses formes.


Voir aussi cet épisode de Tom et Jerry avec la chanson Crambone, chantée par Uncle Pecos.

Le procédé bégayant est aussi utilisé dans Changes de David Bowie.

Il parait que la chanson Scatman a été inspirée à son auteur Scatman John par son bégaiement, ce qui est difficile à croire devant une telle prouesse de diction.

En français le procédé est moins utilisé. Il faut dire que nous sommes un peu maniaques de la métrique : même dans la variété la moins poétique, le nombre de pieds par vers est souvent respecté, et pas besoin de bégayer pour remplir les cases manquantes. Essayez quand même La tactique du gendarme de Bourvil. Notez la chorégraphie qui sans être spectaculaire demande certaines qualités de dissociation.

Sinon, d’après mes recherches sur internet, il y a plusieurs chanteurs bègues occasionnels ou ex-bègues comme Hubert-Félix Thiéfaine, Carlos, Sylvie Vartan ou Julien Doré. Le chanteur Arno a une élocution un peu difficile, mais je ne dirais pas que c’est un franc bégaiement. Mais tout ça n’apparait pas dans leurs chansons, tant il est bien connu que les bègues ne bégaient pas quand ils chantent.

Allez, une dernière.

1 – Quasimodo
2 – Belle
3 – L’homme qui rit
4 – Monsieur William
5 – One of us
6 – Tommy
7 – La femme tronc
8 – Les petits amoureux
8bis – Hélicon
9 – La noce des infirmes
10 – L’invalide à la pine de bois
11 – À quoi pense le réalisateur ?
12 – Une courte de Corbier
13 – Kekseksa Papa ?
14 – La mauvaise réputation
15 – Le bégaiement
16 – La jambe de bois
17 – Camille
18 – Corinne
19 – L’handicapé
20 – Il veut faire un film
21 – Tu n’en reviendras pas
22 – Complainte d’un infirme
23 – Quoi ma gueule
24 – Salut à toi l’handicapé
25 – La petite rivière
25bis – Le luneux
26 – L’enfant soleil
27 – Je te donne
28 – Ça ne tient pas debout
29 – Elle dort
30 – Ceux que l’on met au monde
31 – L’enfant différent
32 – Grand corps malade
33 – Le cachet
33bis – Salut à toutes
34 – Yes I can

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L’amour est-il comme une cigarette ?

La cigarette 18/26

Sylvie Vartan nous le chante : L’amour c’est comme une cigarette.

Vous êtes vraiment sûr que c’est comme une cigarette l’amour ? Extrait de Barry Lindon.

1 – La cigarette, c’est dans la tête
1bis – La gitane
2 – Du gris
3 – Il fume pour oublier
3bis – Don’t smoke
4 – La cigarette après l’amour
5 – Sanseverino fume
5bis – Confinement
6 – Cigarettes sur cigarettes
7 – Cigare à moteur
8 – Fumer le cigare
9 – Café, tabac
10 – La cigarette qui me brûle les doigts
11 – Addiction
12 – Brigitte fontaine fume
13 – Suzanne Gabriello
14 – Je suis une cigarette
15 – La complainte du tabac
16 – Je ne veux pas travailler
17 – La fête du tabac
18 – L’amour est-il comme une cigarette ?
19 – La cigarette d’Higelin
20 – Duo
21 – Dieu est un fumeur de havane
22 – Bien après minuit
23 – Sardou les enfume
24 – Cigarettes, whisky et p’tites pépées
25 – Bye Bye Clope
26 – Si j’étais une cigarette

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Une géographie de prospectus

Pierre Delanoë, parolier géopolitique 3/8
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Comment Pierre Delanoë faisait-il pour brasser les continents et l’histoire séculaire des empires dans ses innocentes chansonnettes ? Il était bien sûr très cultivé, mais il n’hésitait pas à faire feu de tout bois pour alimenter son fourbi et construire ses décors de carton-pâte. Par exemple, en plein brainstorming avec Michel Sardou et le compositeur Jacques Revaux, ce dernier fait une fausse manœuvre avec un nouveau clavier électronique et produit un horrible son de cornemuse. Delanoë, saisi d’une intuition, le convainc de garder le réglage pour écrire une chanson sur l’Écosse. N’y connaissant rien, il descend chercher un prospectus dans une agence de voyage. Il ne trouve rien sur l’Écosse, mais à la place une brochure sur un coin perdu en Irlande, le Connemara. Ça fera l’affaire. Est-ce que le public a jamais demandé qu’on lui chante l’Écosse d’ailleurs ? Sardou ne croit pas du tout à la chanson : six minutes de cornemuse et un mariage folklorique en Irlande sur fond de guerre d’indépendance, qui ça peut intéresser ? Les lacs du Connemara,

Delanoë pouvait donc faire une chanson à succès avec un peu n’importe quoi, même une rivière en Bulgarie. À propos de La Maritza, il raconte :

C’était une commande pour Sylvie Vartan [née en Bulgarie, ndb]. Bulgarie. Sofia. Tiens ! une rivière, la Maritza, c’est marrant. Pour le refrain, Jean Renard s’est inspiré d’une musique du folklore balkanique. L’éditeur de Joseph Kosma, compositeur des Feuilles mortes, a considéré qu’il y avait plagiat.  Interview donnée à l’Express.

Vous venez de lire le 600è billet du Jardin aux chansons qui bifurquent (et il m’a fallu tout ce temps pour mettre une chanson de Sylvie Vartan …).

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