Le renouveau de la chanson engagée

Les chansons de Mai 7/9
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Je profite de ce billet pour évoquer une autre révolution dont on fête l’année prochaine le 170è anniversaire. À vos calculatrices : il s’agit de 1848, qui partage quelques points communs avec 1968, notamment le mélange d’intellectualisme et d’ouvriérisme, ou cette fin décevante pour les révolutionnaires : des électeurs s’en allant « voter par million pour l’ordre et la sécurité » comme disait Renaud dans Hexagone. Elle avait son chanteur engagé, Pierre-Jean de Béranger, déjà assez âgé, et objet d’un véritable culte à l’époque.

Je vous présente un extrait de L’éducation sentimentale de Gustave Flaubert (qui haïssait tout ensemble Béranger et les révolutions, on en reparlera dans de prochaines séries). Le héros du livre, le très médiocre et bourgeois Frédéric Moreau, tente en pleine révolution d’intervenir au Club de l’Intelligence afin de « se lancer ». Il y est introduit par son ami Dussardier, « le bon commis », un ouvrier révolutionnaire. Il découvre alors que le Club est dirigé par un autre de ses amis, Sénécal, un idéologue socialiste à l’esprit étroit (il n’y a qu’à voir sa profession : répétiteur de mathématiques).

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Au bureau du président, Sénécal parut.

Cette surprise, avait pensé le bon commis, plairait à Frédéric. Elle le contraria.

La foule témoignait à son président une grande déférence. Il était de ceux qui, le 25 février, avaient voulu l’organisation immédiate du travail ; le lendemain, au Prado, il s’était prononcé pour qu’on attaquât l’Hôtel de Ville ; et, comme chaque personnage se réglait alors sur un modèle, l’un copiant Saint-Just, l’autre Danton, l’autre Marat, lui, il tâchait de ressembler à Blanqui, lequel imitait Robespierre. Ses gants noirs et ses cheveux en brosse lui donnaient un aspect rigide, extrêmement convenable.

Il ouvrit la séance par la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, acte de foi habituel. Puis une voix vigoureuse entonna les Souvenirs du Peuple de Béranger.

D’autres voix s’élevèrent. :
– Non ! non ! pas ça !
– La Casquette ! se mirent à hurler, au fond, les patriotes.

Et ils chantèrent en chœur la poésie du jour :
Chapeau bas devant ma casquette,
À genoux devant l’ouvrier !

Sur un mot du président, l’auditoire se tut. Un des secrétaires procéda au dépouillement des lettres.
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Ce n’est pas une grande surprise : en 1848, on faisait déjà la révolution en chanson !
Revenons à Mai 68, qui a entraîné un certain renouveau de la chanson engagée auquel on consacre deux billets. Écoutons d’abord, Les Barricadiers, un groupe typique de Mai 68 avec la Chanson du C.M.D.O. (Conseil pour le Maintien Des Occupations).

On notera le décalage troublant entre les paroles et la réalité de Mai 68 : « des canons par centaines, des fusils par milliers » chantent les Barricadiers, alors qu’aucun coup de feu n’a été tiré en Mai 68, me semble-t-il. C’est le versant délirant de Mai 68, révolution fantasmée par ses propres protagonistes, ou « spectacle » de révolution si on veut rester dans la logorrhée de l’époque. Cet usage du mot « spectacle » est dû au philosophe Guy Debord, qui a aussi commis quelques paroles de chansons, un bien étrange fatras. Ici, Les journées de mai, sur la musique de El paso del Ebro (ou ¡Ay, Carmela!), un chant très connu des républicains espagnols, et qui remonte en fait aux guerres napoléoniennes, parcours étonnant d’une chanson de révolutions en révolutions…  Par Vanessa Hachlmoum (pseudonyme de Jacqueline Danno, déjà entendue dans la série).

 

La chanson engagée issue de Mai 68 comporte aussi des tentatives originales, en prise directe avec les usines, les ouvriers, les luttes syndicales, les immigrés, etc. Par exemple, Nous sommes le pouvoir ensemble, de Colette Magny dans un style aujourd’hui un peu daté. La chanson proprement dite commence vers 3:20.

Ou Répression, avec une interview intéressante de Colette Magny à partir de 5:00 environ, puis de nouveau une chanson à la fin.

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