Érotisme des mathématiques

Paralipomènes de maths 2

En réunissant des chansons sur le thème des mathématiques, j’ai été frappé par le nombre d’allusions sexuelles qu’on y trouve. Par exemple, ce passage de C’est bien ma veine d’Arnold Turboust :

Une équation sexuée à l’évidence,
Aussi logique que E=MC2
Mise en scène par un gars prénommé Murphy
Serait la cause de tous mes tourments
.


Je ne cherchais pas spécialement ces allusions explicites ou implicites dans le répertoire mal défini des chansons mathématiques. Mais le charme ultime de la recherche est bien sûr de trouver ce qu’on ne cherche pas. Après quelques ruminations, je propose dans ce billet des explications à cette convergence inattendue.

Il y a tout d’abord le pouvoir du contraste, une astuce classique dans la chanson comique ou légère. On rapproche deux opposés, comme le charme et des petits calculs, ce qui capte l’attention de l’auditeur. Écoutez bien Ah ! Les p’tites Femmes de Paris, chanson du film Viva Maria !, par Brigitte Bardot et Jeanne Moreau.


Chez Mademoiselle K, dans Pas des carrés, l’opposition aux mathématiques est une métaphore d’un conflit conjugal.

C’est pas des carrés pas des losanges
Pas des conneries
Tu m’manques tu m’manques

Le sol est pas plat je suis pas aux anges
C’est pas c’qu’on m’avait dit
Tu m’manques tu m’manques

J’suis pas si tarée pas si carrée
J’déteste les mathématiques
Toujours autant toujours pourtant
Note et retiens combien de fois
J’me suis déduis de toi
De tout c’que t’aimeras pas


L’opposition de deux univers supposément incompatibles est parfois poussée plus loin dans un dispositif qu’on a déjà vu dans les chansons-blagues un peu lourdes sur les bouchers (le boucher amoureux, la femme du boucher, etc). Le Jardin y a consacré toute une série. Ici donc, on « matte la prof de maths », à la réputation pourtant peu sexy en général, dans La prof de maths du Grand Orchestre du Splendid.


Je parlais plus haut des bouchers. Et bien, j’ai même trouvé une chanson qui mange aux deux râteliers : poncifs sur les maths et sur les bouchers. C’est Acne vulgaris, d’Ingrid Caven. Ça raconte l’histoire d’une prof de maths (et de latin) couverte d’acné qui connait enfin l’amour « à plus de cinquante berges ». Mais circonstance aggravante, c’est avec un boucher, quelle horreur. Elle finit donc par se suicider. Les paroles originales (que je n’ai pas pu consulter) ont été écrites en allemand par Rainer Werner Fassbinder. On doit l’adaptation en français à Pierre Philippe qui commençait là sa carrière de parolier. Voir la série que l’émission Tour de chant sur France Musique lui a consacré.

Dans La Vénus mathématique de Guy Béart, l’opposition entre mathématiques et un érotisme vaguement graveleux est filée tout au long de la chanson. Bon, moi ça me touche un cosinus sans faire bouger l’autre, mais avis aux amateurs qui voudraient décortiquer ce salmigondi mi-paillard mi-mathématique. Notez que Guy Béart s’y connaissait un peu en maths puisqu’il était ingénieur de la prestigieuse école des Ponts et chaussées.


Marie Mathématique est plus subtile. Elle est carrément la petite sœur de l’icône érotique Barbarella. La jeunesse de l’héroïne (son âge est déjà une hyperbole permise par un paradoxe mathématique puisqu’elle aura « 16 ans dans mille ans ») empêche de trop expliciter les allusions érotiques. L’aspect mathématique n’est pas très développé non plus et reste voilé de mystère. Tout au plus, les motifs géométriques de la « robe de frisson » sont suivis de quelques images suggestives vers la fin de la vidéo. Gainsbourg est à la composition et au chant, les paroles sont d’André Ruellan et les rires de France Gall.


Marie Mathématique nous amène tout droit à une autre modalité de l’usage érotique des mathématiques en chanson : le mystère, ou même l’ésotérisme. Dans un registre où il est de meilleur goût de suggérer que d’expliciter, le vocabulaire abstrait et sonore des mathématiques, voire le mot « mathématiques » lui-même, est évidemment une ressource. Hubert-Félix Thiéfaine appelle par exemple Mathématiques souterraines une chanson plus sexuelle que scientifique, sans que l’on sache bien ce que les mathématiques viennent y faire.


Hubert-Félix Thiéfaine est aussi le plus numérologue des chanteurs. Il entrelace des allusions sexuelles avec les nombres mystérieux dont il parsème ses paroles. Par exemple dans Chambre 2023 (et des poussières) :

J’étais Caïn junior le fils de Belzébuth
Chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates
Et m’arrêtant souvent chez les succubes en rut
J’y buvais le venin dans le creux de leur chatte
Et les ptérodactyles me jouaient du trombone
Au quatorzième sous-sol quarante-deuxième couloir
Où les anges déchus sous un ciel de carbone
Aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs


Le temps d’une chanson, Thiéfaine quitte les mathématiques pour la physique, avec les quarks et quasars, aux deux extrêmes de l’univers. Le quark est la plus petite des particules élémentaires et le quasar l’un des objets les plus énergétiques et lointains du cosmos ! Que ce grand écart conduise à devenir « cunnibilingue » est tout de même une ellipse… Amants destroy :

Travail de nuit, petit matin
Jouissance, violence entre ses seins
Visage éclaboussé de nacre
Amour, bagatelle et massacre

Sur les fusibles du hasard
Entre les quarks et les quasars
Elle détruira son teddy boy
Cunnibilingue et lousy toy


Dans la chanson au titre suggestif, Ad orgasmum æternum, Thiéfaine invoque l’abstraction de l’inconnue X des mathématiques. À moins que ça ne soit le X du classement X au cinéma ?

Dans cité X, y a une barmaid
Qui lave mon linge entre deux raids
Si un jour elle apprend mon tilt
Au bout d’un flip tourné trop vite
Je veux pas qu’on lui renvoie mes scores
Ni ma loterie ni mon passeport

Gainsbourg lui aussi utilise l’inconnue X et des listes de nombres dans L’hôtel particulier, l’un des titres du célèbre album Melody Nelson. Je note qu’il date de 1971 et la loi sur le classement X de 1975. En France du moins, car au Royaume-Unis, le « X-certificate » a remplacé le « H-certificate » en 1951. Le clip est de Jean-Christophe Averty (je ne peux pas l’incruster car Youtube a posé une limite d’âge, cliquer ici si vous êtes majeur).

Au cinquante-six, sept, huit, peu importe
De la rue X, si vous frappez
À la porte
D’abord un coup, puis trois autres
On vous laisse entrer
Seul et parfois même accompagné

Après Thiéfaine, l’auteur de chanson qui entrelace le plus sexe et mathématiques est certainement Léo Ferré. Lui aussi tire parti de l’ésotérisme des maths, source inépuisable de sonorités et d’allusions plus ou moins heureuses. Il entre un peu plus dans la signification des concepts, lui qui écrivait : « Je me propose dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. » Dans Des mots, il y a tout un vocabulaire mathématique ou issu des sciences physiques. Par exemple :

MC2, MC2 aime-moi donc, ta parallèle
Avec la mienne, si tu veux, s’entrianglera sous mes ailes
Humant un peu par le dessous, je deviendrai ton olfacmouette
Mon bec plongeant dans ton égout quand Dieu se vide de la tête

Dans La mémoire et la mer :

Quand j’allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans les draps d’aube fine


Dans cette dialectique de l’inexorable et du voluptueux, les mathématiques avec leurs vérités définitives sont bien sûr dans la région de l’inexorable et de la virilité. Mais dans La preuve par trois, Zazie géométrise de manière plus féminine, en traçant à même les corps une sorte de carte du tendre :

Si je reprends tout depuis le début
Pour résoudre le problème
De cette équation à 2 inconnus
Suffit de savoir qu’ils s’aiment
Si j’ajoute à ça que le point G
Se trouve à l’intersection
De 2 corps en position allongée
Tu auras la solution

Les mathématiques sont aussi parfois neutres, lorsqu’elles illustrent simplement une réalité objective dans laquelle se déploient des histoires plus humaines. Pas besoin alors d’espaces abstraits ou de concepts abscons, de bonnes vieilles parallèles font très bien l’affaire. Les amants parallèles de Vincent Delerm.

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Si j’avais un piano

Mathématiques et chansons 6

Au sixième billet de cette série, on peut faire un premier point sur les différents usages des mathématiques en chanson. Grâce à l’école obligatoire, c’est d’abord un fond culturel commun (Les amants parallèles de Delerm). C’est aussi une possibilité, une couleur originale dans la palette du parolier, ainsi Booba chez qui le « neuf-deux » devient le « 100 – 8 ». Ce peut être une structure abstraite qui sous-tend les paroles ou la musique d’une chanson, comme Seul de Jacques Brel. Ensuite, on rencontre parfois le personnage du mathématicien. Il est en général négatif : dénué de sentiments, froid et calculateur chez le père Cocagnac, une variante fade du savant fou qu’on retrouvera dans d’autres chansons. On a vu au contraire que chanté par Gainsbourg, la mathématique n’est pas dénuée de vertus érotiques. On verra dans la série d’autres avatars de ce curieux phénomène, qui reste pour ce que j’en sais cantonné à la chanson.

Je voudrais aborder dans ce billet l’aspect qui me tient le plus à cœur : lorsque le raisonnement mathématique lui-même s’invite dans une chanson. Imaginez par exemple, que partant d’une hypothèse A, après de long et tortueux raisonnements, vous arriviez à en démontrer une conséquence, qui n’est autre que A elle-même. Vous avez été victime d’un raisonnement, peut-être implacable, mais dont la vaine circularité ne mène qu’à son point de départ. La chanson comique s’inspire parfois de telles parodies de démonstration. Si j’avais un piano, de Charles Aznavour.


1 – Marie Mathématique
2 – Parallèles
3 – Booba, mathématicien du 100-8
4 – Tu fais trop de mathématiques
5 – Seul
6 – Si j’avais un piano
7 – Pourquoi la fatma l’a mis le feu ?
8 – Évariste
9 – Avec moins de clarté que de ferveur
9bis – Le chien du pope
10 – C’est quand qu’on va au pont-aux-ânes ?
11 – Pi
12 – Le théorème de l’électeur médian, l’art majeur et l’art mineur
12bis – Les arbres de Corot
13 – C’est bien ma veine
14 – Trois est un nombre magique
14bis – Great Teacher Issapa
15 – Pas des carrés
16 – Common knowledge
16bis – Everybody knows
17 – La preuve par trois
18 – Un zéro
19 – Rien
20 – New math
21 – Ma thématique
21bis – There a delta for every epsilon
22 – Compter
23 – La prof de math
23bis – L’enfant et les additions
24 – Deux fois deux font quatre
25 – Groupe d’automorphismes des chansons
26 – L’homme orange
27 – Mettre Euclide dans une poubelle
28 – La mémoire et les maths
29 – Lobachevsky
30 – Les valeurs approchées
31 – La vénus mathématique
32 – Mathématiques souterraines
33 – Logarithme 70
34 – Humour tautologique
35 – Quand j’étais petit, je n’étais pas grand
36 – Logical
37 – Permutation circulaire
38 – Contraposée
39 – Je serais pas Mistinguett si j’étais pas comme ça
40 – Les nombres négatifs
41 – Moins deux
42 – 7 est égal à -1 modulo 8
43 – Boby Lapointe, Euclide de la chanson
44 – That’s Mathematics
44bis – Amor Matemático

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Parallèles

Mathématiques et chansons 2

La chanson recourt parfois à des concepts mathématiques issus de la culture scolaire commune, comme les parallèles. Vincent Delerm, Les amants parallèles.

En ce qui me concerne, les parallèles, ça me fait surtout penser à ça :

1 – Marie Mathématique
2 – Parallèles
3 – Booba, mathématicien du 100-8
4 – Tu fais trop de mathématiques
5 – Seul
6 – Si j’avais un piano
7 – Pourquoi la fatma l’a mis le feu ?
8 – Évariste
9 – Avec moins de clarté que de ferveur
9bis – Le chien du pope
10 – C’est quand qu’on va au pont-aux-ânes ?
11 – Pi
12 – Le théorème de l’électeur médian, l’art majeur et l’art mineur
12bis – Les arbres de Corot
13 – C’est bien ma veine
14 – Trois est un nombre magique
14bis – Great Teacher Issapa
15 – Pas des carrés
16 – Common knowledge
16bis – Everybody knows
17 – La preuve par trois
18 – Un zéro
19 – Rien
20 – New math
21 – Ma thématique
21bis – There a delta for every epsilon
22 – Compter
23 – La prof de math
23bis – L’enfant et les additions
24 – Deux fois deux font quatre
25 – Groupe d’automorphismes des chansons
26 – L’homme orange
27 – Mettre Euclide dans une poubelle
28 – La mémoire et les maths
29 – Lobachevsky
30 – Les valeurs approchées
31 – La vénus mathématique
32 – Mathématiques souterraines
33 – Logarithme 70
34 – Humour tautologique
35 – Quand j’étais petit, je n’étais pas grand
36 – Logical
37 – Permutation circulaire
38 – Contraposée
39 – Je serais pas Mistinguett si j’étais pas comme ça
40 – Les nombres négatifs
41 – Moins deux
42 – 7 est égal à -1 modulo 8
43 – Boby Lapointe, Euclide de la chanson
44 – That’s Mathematics
44bis – Amor Matemático
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Recollage

Neuf devinettes (pas que sur Brassens) 9/10

Je vous rappelle que j’attends toujours vos vers préférés chez Brassens ! Je fais le point demain sur les différentes propositions.

Devinette du jour : quel alexandrin de Brassens est obtenu en recollant les titres de trois chansons ?

Réponse à la devinette d’hier. On demandait quelle célébrité a la particularité de voir son nom cité dans des chansons de Adamo, Alizée, Art Mengo, Pierre Bachelet, Barbara, Didier Barbelivien, Claude Barzotti, Bénabar, Benjamin Biolay, Georges Brassens, Jean-Roger Caussimon, Alain Chamfort, Julien Clerc, Vincent Delerm, Bob Dylan, Lara Fabian, Jean Ferrat, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Mark Knopfler, Serge Lama, Allain Leprest, Yves Montand, Mouloudji, Pascal Obispo, Pierre Perret, Renaud, Yves Simon, Charles Trenet et Zazie.

Il s’agit bien sûr de Paul Verlaine, bravo a Pierre Delorme qui a trouvé la réponse le premier, suivi de près par Patrick Hannais et Nadia (de Meylan). Simon me propose même une chanson à ajouter à la liste, Rive gauche d’Alain Souchon qui n’hésite pas à couper en deux le nom de ce pauvre Verlaine. Vous pouvez retourner voir la série qu’on a consacré à cet étrange phénomène, ici. Je ne vais pas vous passer toutes les chansons… Je me contente d’une des plus inattendues : Bob Dylan, You’re gonna make me lonesome when you go.

Et si vous ne me croyez pas, voici la liste des chansons, allez-y voir !

Pauvre Verlaine, Adamo
À cause de l’automne, Alizée
L’enterrement de la lune, Art Mengo
En ce temps là j’avais 20 ans, Pierre Bachelet
La Solitude, Barbara
Gottingen, Barbara
Hop Là !, Barbara
L’absinthe, Barbara
Dinky Toys, Didier Barbelivien
Quitter l’autoroute, Didier Barbelivien
Je ne t’écrirai plus, Claude Barzotti
Remember Paris, Bénabar
Si tu suis mon regard, Benjamin Biolay
À Mireille [parlé, texte de Paul Fort], Georges Brassens
L’enterrement de Verlaine [parlé, texte de Paul Fort, mais il existe des versions chantées], Georges Brassens
Paris jadis, Jean-Roger Caussimon
Jamais je t’aime, Alain Chamfort
Hélène, Julien Clerc
Les chanteurs sont tous les mêmes, Vincent Delerm
You’re gonna make me lonesome when you go, Bob Dylan
La différence, Lara Fabian
Les poètes, Jean Ferrat
Ma môme, Jean Ferrat
Blues, Léo Ferré
La fortune, Léo Ferré
Paris, Léo Ferré
À Saint-Germain des Prés, Léo Ferré
Monsieur Barclay, de Léo Ferré
Je suis venu te dire que je m’en vais, Serge Gainsbourg
Metroland, Mark Knopfler
Jardins ouvriers, Serge Lama
Des éclairs et des révolvers, Serge Lama
Neige, Serge Lama
Pauvre Lélian, Allain Leprest
Ma môme, ma p’tite môme, Yves Montand
Rue de Crimée, Marcel Mouloudji
Et bleu…, Pascal Obispo
Je rentre, Pascal Obispo
Ce qu’on voit… allée Rimbaud, Pascal Obispo
L’arbre si beau, Pierre Perret
T’as pas la couleur, Pierre Perret
La femme grillagée, Pierre Perret
Peau Aime [parlé], Renaud
Mon bistrot préféré, Renaud
Les gauloises bleues, Yves Simon
Aux fontaines de la cloche, Charles Trenet
Ohé Paris, Charles Trenet
Adam et Yves, Zazie

1 – Devinettes
2 – Les premiers seront les premiers
3 – 13 à la douzaine
4 – Renaud dans le rap
5 – Brassens nous parle de chansons
6 – Johnny dans une faille spatiotemporelle
7 – Les toponymes de Georges
8 – Le plus cité
9 – Recollage
10 – Vers d’anthologie

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Le plus cité

Neuf devinettes (pas que sur Brassens) 8/10

Devinette du jour : quelle célébrité a la particularité de voir son nom cité dans des chansons de Adamo, Alizée, Art Mengo, Pierre Bachelet, Barbara, Didier Barbelivien, Claude Barzotti, Bénabar, Benjamin Biolay, Georges Brassens, Jean-Roger Caussimon, Alain Chamfort, Julien Clerc, Vincent Delerm, Bob Dylan, Lara Fabian, Jean Ferrat, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Mark Knopfler, Serge Lama, Allain Leprest, Yves Montand, Mouloudji, Pascal Obispo, Pierre Perret, Renaud, Yves Simon, Charles Trenet et Zazie ?

Les fidèles du blogs doivent pouvoir trouver facilement. Léo Ferré va jusqu’à citer notre mystérieuse célébrité dans cinq chansons, Barbara dans quatre.

Réponse à la devinette d’hier. On demandait quel toponyme est cité dans le plus grand nombre de chansons de Georges Brassens, après « Paris », « Espagne » et « France ». Bravo à Diego qui a le premier proposé la bonne réponse. Il s’agit de « Cythère », mentionnée dans six chansons. Je plains ceux qui ont cherché la réponse en écoutant systématiquement les douze albums de Brassens dans leur ordre de sortie, parce que la première occurrence de « Cythère » se trouve seulement à la 8e piste du 7e album ! En plus, les suivantes sont dans le 9e album, le 11e, puis dans divers inédits. Je vous passe Les amours d’antan, 8e piste du 7e album donc.

Les autres chansons : Je bivouaque au pays de Cocagne, L’andropause, Le bulletin de santé, Quatre-vingt quinze pour cent et S’faire enculer (où l’on remercie Brassens de ne pas nous avoir gratifié de la rime avec « clystère »).

Réponse à la question subsidiaire. Le seul toponyme désignant un endroit situé en Amérique (Nord et Sud confondus) cité par Brassens est « Pérou », dans Gastibelza, adaptation d’un poème de Victor Hugo. Bravo encore à Diego qui a trouvé le premier. JF nous propose l’Eldorado, qui apparaît dans Le père Noël et la petite fille. Son statut de toponyme est problématique, mais pourquoi pas… il y aurait donc deux toponymes américains chez ce sacré Brassens. Il est aussi question d’un « bar américain » dans Le moyenâgeux et une sorte de scène de western est racontée dans La visite, mais ça ne répond pas vraiment à la question.  Sur la vidéo, curieusement Brassens oublie de dire « Pérou », comme s’il rechignait vraiment à nous parler d’Amérique !

1 – Devinettes
2 – Les premiers seront les premiers
3 – 13 à la douzaine
4 – Renaud dans le rap
5 – Brassens nous parle de chansons
6 – Johnny dans une faille spatiotemporelle
7 – Les toponymes de Georges
8 – Le plus cité
9 – Recollage
10 – Vers d’anthologie

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Êtes-vous heureux ?

Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 7/23

On va voir dans les prochains billets que de nombreux chanteurs ou paroliers juifs, parfois enfants de déportés, parfois même orphelins, ont évoqué la Shoah dans leurs chansons. Mais les survivants des camps eux-mêmes, juifs ou non, n’ont pas témoigné en chanson à ma connaissance. Le témoignage sur la Shoah a pourtant été assez abondant et parfois contemporain de la Shoah. Annette Wieviorka commence son livre L’ère du témoin par cette citation de l’archiviste du ghetto de Varsovie, Emmanuel Ringelblum :

Tout le monde écrivait […]. Journalistes et écrivains, cela va de soi, mais aussi les instituteurs, les travailleurs sociaux, les jeunes et même les enfants.

Et dans sa thèse Déportation et génocide, entre la mémoire et l’oubli, elle recense 34 ouvrages parus en France dès 1945, 37 en 1946 et 36 en 1947. Mais ces témoignages sont des livres. Plus tard, ce seront des interviews, des documentaires, etc. Mais pas de chanson, française en tout cas, à ma connaissance. Mon avis sur la question, c’est que la chanson est tout simplement un art assez impropre au témoignage. Charles Aznavour aimait dire qu’on doit raconter dans une chanson non pas sa vie, mais celle de celui qui écoute… La chanson est plus l’art de ce qu’on veut entendre que celui de ce qu’on a à dire, il est rarement à l’avant garde, voir la série du blog sur les sources et les robinets.

À part la chanson de Simon Srebnik passée dans le premier billet de la série, je n’ai trouvé qu’une seule chanson où l’on entende une survivante des camps de la mort : Marceline Loridan-Ivens, dans Êtes-vous heureux, une chanson de Vincent Delerm qui ne concerne pas la Shoah a priori.

La chanson est plutôt un collage, à partir d’extraits de Chronique d’un été, un film expérimental, entre le documentaire et le cinéma-vérité, de Jean Rouch et Edgar Morin. Marceline Loridan-Ivens interviewe des passants Place de la République à Paris. Autre extrait du film :

Toujours dans Déportation et Génocide, je trouve des paroles écrites par un déporté tout juste libéré d’Auschwitz : Henry Bulawko. La chanson a été écrite en mars 1945 au centre de rassemblement des Français de Katowice. Ce n’est pas vraiment une chanson de témoignage, plutôt un chant patriotique. À chanter sur l’air du Chant du départ, je n’ai pas trouvé de version enregistrée.

Brisant enfin ses fers
Notre France éternelle
Ayant connu un véritable enfer
A déployé à nouveau ses ailes
Le fier coq de la liberté
A chanté le réveil de la patrie

Refrain
Une République nouvelle
Nous appelle à conquérir à nouveau
Tout ce qui fit la France si belle (bis)
Sa Marseillaise et son drapeau

[…]

1 – La chanson de Simon Srebnik
2 – La chanson de Treblinka
3 – Yisrolik
4 – Le chant des marais
5 – Le Verfügbar aux Enfers
6 – Casimir Oberfeld
7 – Êtes-vous heureux ?
8 – La fontaine endormie
9 – Il n’y a plus de roses rue des Rosiers
10 – Le petit train de Rita Mitsouko
11 – Comme-toi
12 – Nuit et brouillard
13 – Smoke gets in your eyes
14 – Pitchipoï
15 – Évariste
16 – Au fil du temps
17 – Les Ramones à Bitburg
18 – Signé Furax
19 – Des voix off
20 – Roméo et Judith
21 – Culture du camp
22 – La troisième symphonie de Górecki
23 – Beltz

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Léo Ferré, merde au poncif

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 10/12
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On a vu que Brel, Barbara, ou même à sa manière Gainsbourg, ne revendiquaient pas le titre de poète. C’est aussi le cas de Brassens, on voit ça dans la prochaine série. Souchon ou Delerm, on ne leur pose même pas la question, les pauvres petits. Majeur ou mineur, on ne sait pas, mais la chanson serait en tout cas un art modeste. Heureusement qu’elle a eu ses mégalomanes, comme Léo Ferré, seul donc de la clique des Grands-de-la-Chanson à se revendiquer poète haut et fort.

Dans son écriture riche, parfois hermétique (voir ici), il renonce souvent au poncif, c’est la moindre des choses pour un poète. On a déjà observé dans le blog qu’il prend le contre-pied du décor brélien d’Amsterdam dans Rotterdam, voir ici.  Quand il s’abaisse à chanter un thème banal, comme « avoir vingt ans », il s’efforce d’inventer un machin nouveau par ligne. Écoutez bien. Bravo monsieur Ferré, à vous tout seul vous sauvez la chanson du naufrage dans la phrase toute faite. Vingt ans.

Un beau reportage sur la célèbre photo où l’on voit Brassens, Brel et Ferré. Écoutez bien vers 8:00, on leur demande s’ils sont poètes.

Vous pouvez aussi écouter Les poètes.

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Les hyper-poncifs de Vincent Delerm

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 9/12
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Après les méta-poncifs d’Alain Souchon, Vincent Delerm invente les hyper-poncifs, avec par exemple la banalité radicale d’une phrase aussi bête que « on n’a rien compris au sujet », mille fois rabâchée par des milliers d’élèves, si peu poétique qu’elle en produit même un effet de surprise… surtout quand elle est enchâssée dans une musique plus écrite qu’il n’y parait. Essayez de chanter Les filles de 1973 sous la douche juste pour voir…

Puisque je parle musique, notez la parenté de la chanson du jour avec les musiques de film de François de Roubaix :

Dans Fanny Ardant et moi, Delerm joue avec les poncifs en adossant l’un contre l’autre deux mythes incompatibles. D’un côté, la grande artiste, fatalement vouée à un romantisme élitiste. De l’autre, la vie de couple forcément minable de tout un chacun.

À propos, et si toutes ces histoires d’art majeur/mineur n’étaient qu’affaires de goût ? Réponse définitive dans Les gouts musicaux, sketch de Vincent Delerm.

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Serge Gainsbourg

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 6/12
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Passons à Serge Gainsbourg. Puisqu’on parle de poncif, puisque la question qui nous occupe est elle-même un poncif, je me dois de passer le poncif de ce poncif, la célèbre altercation de Gainsbourg avec Guy Béart.

Donc, Gainsbourg considérait les chansons comme de l’art mineur. Sauf les siennes. Nous voilà bien avancés… Il propose tout de même un critère simple de classification des arts : la nécessité d’une initiation pour les arts majeurs. Ainsi, selon cette théorie, l’artiste majeur Rimbaud aurait longuement étudié la versification avant d’écrire des chefs-d’œuvre à l’âge de quinze ans. Tandis que l’artiste mineur Brassens aurait pondu ses chansonnettes sans rien lire du tout avant… Bon, ça ne marche pas du tout cette théorie. Toujours est-il que Gainsbourg était un auteur exigeant, on l’a déjà noté dans la toute première série de ce blog, voir ici. Et il avait la dent dure pour les collègues, comme Michel Berger, dont il critiquait les rimes faciles en « é ».

D’accord mais qu’en est-il du poncif dans les chansons de Gainsbourg ? Je dirais que Gainsbourg avait un rapport décontracté au poncif. Artiste revendiquant la recherche du succès, il en usait sans complexe, mais sans que ça soit une facilité. Il a par exemple inventé la « chanson liste », inventaire-à-la-Prévert, ou à la Perec, perfectionnant la poétique du banal inaugurée en chanson par Vian et qu’on retrouvera chez Souchon ou Delerm et bien d’autres. On a déjà évoqué dans le blog Ford Mustang ici, il y a aussi Les petits papiers. Par Marie-Paule Belle (qui fait son entrée dans le Jardin au 708è billet …).

Tout à l’autre bout de sa longue carrière : You’re under arrest, qui combine catalogue d’images toute faites sur « le Bronx » et innovations (mélange de rap et de chanson, recette promise à un bel avenir).

Je vous propose encore Du jazz dans le ravin, qui ressasse plusieurs mythes.

Notez la référence à une sorte de poncif, qu’on retrouve dans le cinéma : l’accident sur la route de la Corniche, mis en pratique quelques années plus tard par Grace de Monaco. Aussi invoqué par Souchon. La ballade de Jim.

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