Let it will be

L’énigme VF 9/9
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Voici l’heure tant attendue de la solution. Nous cherchions le point commun entre huit chansons : Comme hier, Je t’aime, Le père Ubu, Plus de patrons, Infinitif, C’est pas l’homme qui prend la mer, N’avez-vous rien à déclarer et La bourrée du célibataire.

Vous avez tous trouvé : ces chansons ont en commun d’avoir des fautes de conjugaison dans les paroles ! Réécoutez-les, vous verrez.  Dans certaines, la faute prétend refléter un parler authentique, qu’il soit patoisant ou argotique (Comme hier, Plus de patrons, La bourrée du célibataire). Dans d’autres, elle est un jeu de langage humoristique (Le père UbuInfinitif, C’est pas l’homme qui prend la mer). Dans les deux dernières (Je t’aime et N’avez-vous rien à déclarer), je ne sais pas trop, mais la faute est curieusement dans le même verbe : mourir (on mourira, j’en mourirai). Je suppose qu’il s’agit d’une licence poétique allégeant le propos d’un brin de fantaisie tout en évitant le « r » redoublé des formes correctes « mourra » et « mourrai », assez malcommode à chanter. À moins qu’il n’y ait quelque prévention superstitieuse à conjuguer sans faute ce verbe…

Floréal me propose dans un commentaire La fille dont auquelle, une chanson de Jacques Bertin, pleine de fautes (plutôt de concordance des temps).  Merci !

Évidemment, toutes les fautes de la série sont intentionnelles. Qu’en est-il des véritables fautes, certainement commises par ces chanteurs incultes qui maltraitent notre belle langue ? Par exemple Georges Brassens. Écoutons Le gorille.

Au début du sixième couplet, on entend nettement « Bah soupirait la centenaire, qu’on pût encore me désirer… ». Le verbe pouvoir est conjugué à l’imparfait du subjonctif, ce qui semble logique par concordance des temps, puisque soupirer est à l’imparfait. Mais « pouvoir » est dans une citation de la centenaire, qui elle, ne parle pas à l’imparfait, et n’a pas à subir la concordance d’un temps utilisé par le narrateur. « Qu’on puisse » me semble la forme correcte. Certaines sources donnent d’ailleurs « puisse », par exemple ici, mais sur l’enregistrement, on entend très nettement « pût ».

J’attends les commentaires des brassensolâres indignés et des trolls grammairiens (sur le style indirect libre ?)…Je les renvoie à Brassens lui-même qui tranche le débat trois vers plus loin. Car si « pouvoir » doit se conjuguer à l’imparfait du subjonctif pour la centenaire, et bien logiquement, on devrait entendre ensuite « Le juge pensait impassible / Qu’on me prît pour une guenon », et non pas « qu’on me prenne ».

Si ça vous amuse, retournez donc voir la série sur l’imparfait du subjonctif, ici. On y disait que le temps le plus rare en chanson est l’obscure passé antérieur. On le rencontre pourtant quelquefois, mais pas toujours à propos. Vous pouvez par exemple aller réécouter Ma plus belle histoire d’amour c’est vous de Barbara, déjà passée dans le blog, ici. Voilà ce que m’écrit Arnaud, internaute de l’Arbresle et meilleur résolveur d’énigme de ce blog :
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J’ai le souvenir d’une chanson avec une faute très subtile. J’ai tourné le problème dans tous les sens, je confirme qu’il y a faute : Dans Ma plus belle histoire d’amour, Barbara chante : « que pour vous je l’eus faite à genoux ». J’ai réécouté et j’ai vérifié l’écriture. C’est donc un passé antérieur (dont le sens en français est très difficile à déterminer d’ailleurs tant il est oublié). Or ici, on devrait avoir un subjonctif plus-que-parfait à valeur d’irréel du passé « je l’eusse faite », variante soutenue de « l’aurais faite ». Il y a bien un sens hypothétique que n’a pas du tout le passé antérieur (d’ailleurs c’est un temps de l’indicatif donc de la certitude, pas de l’hypothèse).
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En résumé, la concordance des temps en chanson est plus affaire de sonorité que de rigueur grammaticale, l’important étant d’être un homme heureux. Quel que soit le temps que ça prenne, comme dirait William Sheller !

Pour finir, ne croyez pas que les anglophones avec leurs conjugaisons super simples soient à l’abri des fautes … Je ne suis pas expert en anglais, mais « Let it will be » ça paraît quand même un rien plus bizarre que « Let it be »…

Let it will be, par Madonna.

Dernière chose : VF, c’était pour « verbe faux ».

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