On reste dans Notre-Dame de Paris aujourd’hui, avec la problématique de l’amour impossible, bien résumée par Jacques Brel dans Fanette : « Faut dire qu’elle était belle / Et je ne suis pas beau ». On retrouve ça dans de très nombreuses chansons. En chanson, l’impossibilité de l’amour vient souvent de la vieillesse (Dalida, Il venait d’avoir 18 ans, Serge Reggiani, Il suffirait de presque rien, etc, etc), ou de la laideur. Assez rarement du handicap comme avec Quasimodo. Belle, paroles de Luc Plamondon, musique de Richard Cocciante (qui fait son entrée au 1475e billet de ce blog), avec au chant Garou en Quasimodo, Daniel Lavoie en Frollo et Patrick Fiori en Phœbus.
Avec le handicap, la thématique de l’amour impossible est donc poussée à l’extrême. Cet usage est assez ancien. Je vous propose la bande annonce de Der Zwerg, opéra de Alexander von Zemlinsky (Le nain en français). C’est une adaptation de la nouvelle The birthday of the infanta d’Oscar Wilde, qui raconte l’histoire de l’infante d’Espagne à qui on offre un nain pour son anniversaire. Ce dernier tombe amoureux de la belle, mais il n’est pas au courant de son état, et ne comprend pas pourquoi tout le monde se moque de lui, jusqu’à ce qu’on lui présente un miroir.
J’observe que les deux extraits ci-dessus sont des adaptations d’œuvres littéraires.
Encore une contraposée en chanson. Soit l’énoncé A = « être Mistinguett ». Et B = « avoir de belle gambettes ». On a donc « A implique B », puisque Mistinguett avait de belles gambettes. Et donc, par contraposée, « pas de belle gambette implique pas Mistinguett ». Ben oui, « je serais pas Mistinguett si j’étais pas comme ça ! ». C’est vrai de Mistinguett.
Hommage de Dalida, qui y va aussi de sa contraposée. Comme disait Mistinguett.
Devinette du jour : dans quelle chanson Johnny Hallyday tombe-t-il dans une faille spatiotemporelle, un repli de l’espace-temps ?
Réponse à la devinette d’hier. On demandait quelles chansons (à part Sambre-et-Meuse) sont citées deux fois dans les chansons de Georges Brassens. Bravo à Patrick Hannais, internaute de Villeurbanne, qui a trouvé les deux apparitions de La Marseillaise dans deux chansons assez obscures : Les châteaux de sable et Les patriotes. J’ajoute que les paroles de notre hymne national sont citées dans Corne d’Auroch (« on a su qu’il était enfant de la patrie ») et La mauvaise herbe (« quand le jour de gloire est arrivé »). Nadia, internaute de Meylan, nous propose Paroles paroles de Dalida et Alain Delon dans La complainte des filles joie, l’idée est excellente. Réponses refusées : Les prisons de Nantes, qui apparaissent bien dans La route aux quatre chansons, mais je n’ai pas trouvé l’autre apparition. Et Ne me quitte pas, dont l’apparition dans À l’ombre des maris me semble une coïncidence.
Ma réponse : un grand classique de la chanson paillarde, De profundis morpionibus. Il parait que ses paroles sont dues à Théophile Gautier. Elle est citée dans Les quat’z’arts et dans Le mécréant.
De profundis morpionibus, par la bien nommée Chorale CUCEC.
Lieux possibles, impossibles et imaginaires de la chanson 2/17
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Paris est bien sûr citée dans d’innombrables chansons. Mais l’un de ses quartiers a droit à un traitement d’honneur, sans commune mesure avec son rôle dans l’histoire ou la géographie de Paris : Ménilmontant.
Ménilmontant, moins beau que l’Ile Saint-Louis, moins de monuments que partout ailleurs, moins pittoresque que Montmartre, moins chic que Passy, moins bobo que le canal Saint-Martin, moins romantique que la place de Fürstenberg, moins dansant que la rue de Lappe, moins révolutionnaire que la Bastille, moins industrieux que le Faubourg Saint-Antoine. À rester dans ce coin populaire du nord-est de Paris, autant aller juste à côté, à Belleville, tout aussi cosmopolite, plus commerçant et plus vivant. Ou alors visiter le Père Lachaise tout proche, ou même un rien plus loin l’ancien village de Charonne, dont on devine encore le plan avant que Paris ne l’absorbe sans parvenir à le digérer tout à fait. Avec sa petite église au milieu (où se marient les Tontons Flingueurs !), sa grande rue, sa gare désaffectée, son minuscule cimetière, tout enserré par la grande ville.
Du village de Charonne, descendez la rue de Bagnolet, puis la rue de Charonne, jusqu’au lointain métro Charonne, chargé d’histoire, même s’« ils sont pas lourds, en février, à se souvenir de Charonne » (Renaud, Hexagone). Car le métro Ménilmontant n’a rien de spécial. Il a pourtant manqué de très peu d’être la vedette de la plus grande catastrophe de toute l’histoire du métropolitain. L’épisode est bien oublié aujourd’hui : le 10 août 1903, il y a eu 84 morts lors de l’incendie accidentel d’une rame sur la ligne Nation – Porte Dauphine. La plupart sont morts asphyxiés dans les fumées à la station voisine de Ménilmontant : Couronnes. Lorsque j’étais enfant, les vieilles personnes en avaient encore la mémoire. Je me souviens d’une dame me racontant en roulant des yeux sinistres : la plupart qui sont morts, c’est parce qu’ils sont restés pour qu’on leur rembourse leur ticket.
Le rue de Ménilmontant est quelconque, à part sa pente peut-être. Dans le quartier, traînez plutôt rue Piat, rue des Envierges, passez par la place Henri Krasucki. Et puis parcourez à flanc de colline quelques rues à la nostalgie toute hydrographique : rue des Cascades, rue de la Mare, rue des Rigoles. Bref, Ménilmontant n’a rien de spécial. Ce n’est même pas l’une des onze communes annexées à Paris en 1860, tout au plus un hameau de la commune de Belleville, qui jouxtait autrefois Paris, entre celles de Charonne et La Villette.
Mais voilà : Mé – nil – mon – tant, 4 consonnes occlusives dont deux labiales, deux voyelles nasales : sonorités imbattables, encore mieux que New – York – New – York, Sa – tis – fac -tion ou San – Fran – sis – co. Bien trop commodes pour le parolier assoiffé d’occlusives : elles rythment les paroles, percutent, donnent du swing. À cause d’elles, « Paris » devient « Panam ». Et Ménilmontant devient un mythe de la chanson. Aristide Bruant, Belleville-Ménilmontant.
Je vous passe aussi Mimile (Un gars d’Ménilmontant), paroles de Jean Boyer, musique de Georges van Parys, grand succès de Maurice Chevalier. Sur la vidéo, prenez garde à la pochette du disque. Il y a un accordéoniste, un chanteur, et une fille qui vend les « petits format » : partitions des succès du moment, que les passants achetaient contre quelques sous pour les chanter.
En fait, Ménilmontant est le quartier natal de Maurice Chevalier, ce qui a contribué à sa popularité en chanson. Mais naître à Ménilmontant n’oblige pas à chanter Ménilmontant, parce que sinon, Michel Legrand aurait écrit Les parapluies de Ménilmontant et Les demoiselles de Ménilmontant, n’est-ce pas. Michel Legrand a toutefois enregistré avec Stéphane Grappelli une version de La marche de Ménilmontant, chanson de Maurice Chevalier composée par Charles Borel-Clerc, le compositeur de Ah ! Le petit vin blanc. https://www.youtube.com/watch?v=GXmd9v7BYPA
Avec les paroles.
Vous avez entendu « Ménilmuche » ? C’est le surnom de « Ménilmontant » en « argomuche », une variante d’argot, qui viendrait de la Bastoche. Si l’on en croit Jean-Roger Caussimon du moins. Paris jadis.
Charles Trenet a écrit la chanson sur Ménilmontant la plus souvent reprise. Elle était au départ destinée à Maurice Chevalier, qui suite à une brouille avec Trenet ne l’a pas chantée. Ménilmontant, par Zoë Fromer.
Ménilmontant inspire les chanteurs jusqu’aujourd’hui. Bertrand Louis, Ménilmontant
Les demoiselles de Ménilmontant, par Elzef.
Une curiosité pour finir : La rue de Ménilmontant, de Camille. Chanson sur Ménilmontant (si l’on en croit le titre) qui n’utilise pas le mot « Ménilmontant » aux sonorités pourtant si commodes… Il est vrai qu’avec une pédale de si, on peut se passer de bien des artifices.
Aller, une dernière… Même Dalida, qui habitait pourtant Montmartre, se réclame de Ménilmontant ! Si, si, c’est vrai, écoutez bien. Comme disait Mistinguett.
La chanson, art majeur ou art mineur IV. Archéologie d’une question 9/16 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 9bis – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16
On vu dans le billet consacré à Béranger à quel point Flaubert l’exécrait. Mais est-ce que Flaubert avait quelque chose d’autre à dire sur la chanson ? Je n’ai pas trouvé grand-chose. Sinon qu’Emma Bovary meurt en chanson. J’ai lu ça dans un article d’Annie Ernaux, dans Variétés : littérature et chanson, sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest. N°601 de la NRF.
Extrait de Madame Bovary.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.
Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
– L’aveugle s’écria-t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.
Selon Annie Ernaux, cette intrusion d’une petite chansonnette ajoute au côté « simple et sublime » de sa mort. On peut aussi y voir un « curieux symbolisme » : une chanson simplette, chantée par un infirme hideux, requiem grotesque à une âme empêchée de s’élever, jusqu’à la fin. Et Annie Ernaux de se demander quelle chanson « serait la plus terrible à entendre » sur son dernier lit. Elle cite Histoire d’un amour, de Dalida, Mon Dieu d’Édith Piaf, Un jour tu verras de Mouloudji, et C’est extra de Ferré. Et la Bamba triste alors ?
Dans Une chanson de Rétif et sa réécriture par Flaubert, Revue d’Histoire littéraire de la France, 91e Année, No. 2 (Mar. – Apr., 1991), pp. 239-242 Anthony Williams retrace l’histoire de La chanson de l’aveugle. Elle est de Restif de La Bretonne, et personne ne sait comment Flaubert la connaissait. Il l’a un peu modifiée, les corrections ont été retrouvées dans ses notes. Personne ne sait pourquoi. En général, Flaubert était très critique avec la poésie : il y a des pages entières de corrections des vers de Louise Collet dans sa correspondance, il ne les trouvait pas assez « roides » selon son expression.
Pour trouver une chanson que Flaubert a peut-être chantée, il faut hélas se rabattre sur Béranger, retour à la case départ.
À Louis Bouilhet, le 13 mars 1850, à bord de notre cange, à 12 lieues au delà de Syène.
P.S. – Si tu veux savoir l’état de nos boules, nous sommes couleur de pipe culottée. Nous engraissons, la barbe nous pousse. Sassetti est habillé à l’égyptienne. Maxime, l’autre jour, m’a chanté du Béranger pendant deux heures et nous avons passé la soirée jusqu’à minuit à maudire ce drôle. Hein ! comme la chanson des « Gueux » est peu faite pour les socialistes et doit les satisfaire médiocrement !
La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 11/12 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12
Avant de conclure cette série sur le poncif, je voudrais évoquer ces grands mythes qui traversent toute la chanson. On a déjà consacré des séries au gitan, à la putain, au scientifique, au blues et à Verlaine, cinq magnifiques allégories. Il y aussi le mot « société », et les déflorations juvéniles, deux sujets typiques de la variété des années 1970. Et puis Paris, mythe géant, mythe aux mille facettes… et la java… on en parlera dans de prochaines séries. Beaucoup d’autres sans aucun doute.
Leur côté conventionnel est bien pratique. Vous voulez évoquer la liberté farouche, l’aventure et l’honneur ténébreux ? Hop, un gitan, ça économisera de laborieuses explications, tout le monde connait. Voir la série sur les roms dans la chanson.
Vous voulez faire croire que vos rimes balourdes ont la légèreté du vent ? Hop, écrivez « Verlaine » dans vos paroles, tout le monde croira que le maitre de la chanson grise soluble dans l’air aurait adoré vos couplets. Voir la série sur le nombre incroyable de chansons mentionnant le nom de Verlaine.
Vous prétendez à l’aura de l’Homme qui s’y connaît en Femme, en affectant un air à la fois profond, paternaliste et canaille ? Hop, écrivez une chanson-sur-les-putains. Mais surtout, dites exactement le contraire de la dernière chanson entendue sur le sujet. C’est la loi du genre chanson-sur-les-putains, espace de débat et non de communion. Voir la série sur la prostitution et la chanson.
Vous rêvez d’une chanson dépositaire d’une tradition ancestrale, populaire, authentique et rebelle ? Dont les harmonies ne soient pas souillées par les ratiocinations de notre civilisation criminelle ? Et qui en plus fasse étalage de vos états d’âmes (qui intéressent bien sûr tout le monde) ? Et oui, tout ça à la fois. C’est possible. Écrivez simplement dans les paroles que c’est du « blues », surtout si ça n’en est pas. Parce que si c’en est, pourquoi le dire ? Voir la série consacrée aux bluesmen français.
Et si pris d’un remord, vous préférez inscrire votre chanson dans la droite descendance de vos ancêtres gaulois, mettez « java » dans le titre, elle sentira fort le saucisson et le camembert (la série sur ce sujet est en préparation).
Pas besoin de mode d’emploi, tout le monde comprendra très vite. Ça tombe bien, une chanson ne dure que trois minutes. Je vous en remets quelques-unes sur les gitans.
Mon pote le gitan, par Barbara
De plous en plous fort, Les gitans, par Dalida.
Certains prennent le contre-pied des poncifs. Mais si les poncifs n’existaient pas, de quoi prendraient-ils le contre-pied ces ingrats ? Prière bohémienne, de Félix Leclerc (qui fait son apparition dans le blog au 713è billet, quelle injustice de traiter comme ça le pionnier du guitare/voix…).
L’affaire est entendue : Delanoë s’est intéressé à la géopolitique. Mais la géopolitique s’est-elle intéressée à Delanoë ? Sans doute, puisque j’apprends sur Wikipedia que la radio israélienne passait Salma Ya Salama, chanson qu’il a écrite pour Dalida sur une musique arabe, à l’occasion de la première visite d’un dirigeant arabe en Israël : Anouar el-Sadate en 1977.
Bravo à Pierre C., internaute de Paris qui a résolu l’énigme. Il précède de quelques minutes Diego. Je note aussi que NP a proposé une solution erronée : elle a constaté que les premières chansons de l’énigme ont la particularité que le titre est aussi le dernier mot de la chanson. Idée très intéressante et assez proche de la solution… mais qui ne marche pas pour toutes les chansons.
Notre plongée dans le passé de la chanson homosexuelle se poursuit. On reste en 1972, avec Charles Aznavour et Comme ils disent. C’est sans doute la plus grande chanson sur le sujet, une chanson courageuse à une époque où le mot homophobie n’existait pas (il apparaît en France en 1977) et où chaque chanteur n’avait pas à son répertoire une chanson-super-engagée sur le sujet…
Charles Aznavour raconte à la première personne la vie d’un travesti, dans sa veine mélo-dramatique habituelle, et lance cette réplique toute simple : « Nul n’a le droit de me juger de me blâmer ». Tout comme Dalida, Charles Aznavour cherche à expliquer pourquoi on est homosexuel, et pour lui c’est l’œuvre de la seule nature :
Et je précise Que c’est bien la nature qui Est seule responsable si Je suis un homo Comme ils disent