Le blog a consacré une série à Paul Verlaine, spécifiquement à son nom qui est très souvent cité dans les paroles de chansons. On a tenté quelques explications. Gainsbourg contribue à ce phénomène, un peu mieux que d’autres, tel Pierre Bachelet qui ne trouve rien de mieux que de faire rimer cet amateur d’absinthe avec verveine. Comme souvent, Gainsbourg est précis et ses paroles vont un rien plus loin que celles des confrères. Il ne cite pas Verlaine juste pour une rime ou un vague clin d’œil : il entremêle ses paroles avec d’authentiques vers du maître de la chanson grise. Voyez La chanson d’automne de Verlaine :
Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon coeur D’une langueur Monotone.
Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure
Et je m’en vais Au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte.
On verra dans la suite de la série que le boucher dans la chanson moderne est un personnage affublé d’une forte personnalité, une sorte d’Obélix bien pratique pour meubler les répertoires avec sa balourdise vaguement sanguinaire. Mais avant ça, abordons un personnage plus rare, le boucher surréaliste, dont on se demande ce qu’il fabrique dans sa chanson. Et oui, c’est quoi « cette manière de traverser quand elle s’en va chez le boucher » ? Pourtant ça ne manque pas les rimes en [é] un peu plus romantiques que « boucher ». La chanson Elle est d’ailleurs est de Pierre Bachelet, maître de la rime (on avait déjà vu dans ce blog qu’il a osé faire rimer « Verlaine » avec « verveine », voir ici, non mais ça c’est le comble).
Dans ce billet placé sous le signe de la sentimentalité bouchère, je vous propose un extrait du Ventre de Paris d’Émile Zola. À la charcuterie, la belle et grasse Lisa s’éprend de l’ample Quenu.
Cela dura un an, sans une rougeur de Lisa, sans un embarras de Quenu. Le matin, au fort du travail, lorsque la jeune fille venait à la cuisine, leurs mains se rencontraient au milieu des hachis. Elle l’aidait parfois, elle tenait les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et de lardons. Ou bien ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses, du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée.
Tiens, et puis Nadia me signale P… de toi de Georges Brassens, avec le seul personnage de boucher de toute l’œuvre de Brassens si je ne m’abuse. On reviendra un peu plus tard sur cette quasi-absence. Par le groupe Brassens not dead.
En robe grise et verte avec des ruches, Un jour de juin que j’étais soucieux, Elle apparut souriante à mes yeux Qui l’admiraient sans redouter d’embûches ;
Elle alla, vint, revint, s’assit, parla, Légère et grave, ironique, attendrie : Et je sentais en mon âme assombrie, Comme un joyeux reflet de tout cela ;
Sa voix, étant de la musique fine, Accompagnait délicieusement L’esprit sans fiel de son babil charmant Où la gaité d’un cœur bon se devine.
Aussi soudain fus-je après le semblant D’une révolte aussitôt étouffée, Au plein pouvoir de la petite Fée Que depuis lors je supplie en tremblant.
Jacques Brel nous a gratifiés de trois chansons avinées. Une pathétique, une comique, et une chanson à boire. À savoir respectivement L’ivrogne, Parfaitement à jeun et Ça sent la bière. Je vous passe L’ivrogne.
Sinon, je me demande qui était le premier artiste alcoolique. Non pas un qui, par coïncidence, serait à la fois artiste et alcoolique. Je veux dire un dont le génie procède de la déchéance et réciproquement. Je vote pour Gérard de Nerval, dont la descendance est prodigieuse, du Cercle des hydropathes au « sex drug and rock’n roll » en passant par Verlaine, Dimey et Gainsbourg. Vous noterez que l’avènement de l’artiste maudit, alcoolique ou drogué, est concomitante de celle du romantisme, qui exaltait les paysages parsemés de ruines. Concomitant aussi du début de la révolution industrielle. L’augmentation des rendements permet de diffuser plus largement le vin, que l’on peut boire pur et non plus coupé d’eau. L’alcool : l’une des drogues les plus dures selon de nombreuses études médicales, et qui permet de supporter le monde nouveau. Le travail, plaie des classes qui boivent comme disait Oscar Wilde.
Petit piqueton de Mareuil, Plus clairet qu’un vin d’Argenteuil, Que ta saveur est souveraine ! Les Romains ne t’ont pas compris Lorsqu’habitant l’ancien Paris Ils te préféraient le Surène.
Ta liqueur rose, ô joli vin ! Semble faite du sang divin De quelque nymphe bocagère ; Tu perles au bord désiré D’un verre à côtes, coloré Par les teintes de la fougère.
Tu me guéris pendant l’été De la soif qu’un vin plus vanté M’avait laissé depuis la veille ; Ton goût suret, mais doux aussi, Happant mon palais épaissi, Me rafraîchit quand je m’éveille.
Eh quoi ! si gai dès le matin, Je foule d’un pied incertain Le sentier où verdit ton pampre !… – Et je n’ai pas de Richelet Pour finir ce docte couplet… Et trouver une rime en ampre.
Assez joué aux échecs. Réfléchissons un peu au jeu en chanson. Car l’exploration des grands mythes de la chanson est une vieille marotte de ce blog. Quelques exemples pour les nouveaux.
Le plus grand mythe de toute la chanson française : Paris. Le sujet est trop vaste pour une série et il n’a pas encore été abordé dans le blog. Ça ferait un bon thème pour toute une année quand j’aurai le courage de m’y attaquer.
Le mythe le plus consensuel : le Gitan. Tout le monde est d’accord, il est beau, mais à la différence du légionnaire, il ne sent pas le sable chaud. Il est libre, et chose à peine croyable : il joue de la guitare encore mieux que Thomas Dutronc alors que sa maman ne lui a pas payé de cours. Il ne vole pas de poules. Voir ici.
Le mythe le moins consensuel : la putain. À une époque, tout grand chanteur se devait de chanter les putains. Mais sont-elles esclaves ou filles de joie ? N’espérez aucune réponse claire, la loi du genre chanson-sur-les-putains est de faire valoir un versant aussi admirable qu’original de la virilité de l’auteur. Aussi chaque chanson se doit-elle de contredire la précédente. Voir ici.
Le mythe le plus incantatoire : Paul Verlaine. Ce poète est le probablement celui dont le nom apparait le souvent dans des paroles de chansons. Le simple nom du poète aux vers solubles dans l’air aurait le pouvoir d’alléger les rimes les plus balourdes. Voir ici.
Le mythe le plus franchouillard : la java. Aussi fort que le camembert, sans l’odeur désagréable bien sûr. Si votre chanson n’est pas assez française à votre goût, ne l’appelez pas « machin-bidule », mais « java de machin-bidule », et le tour est joué. La série sur le sujet est en préparation.
Le mythe le moins franchouillard : le blues. Miroir du précédent, il représente tout ce qu’on désire dans l’Étranger. Le mot est performatif, inutile que votre chanson ait un rapport quelconque avec le blues, il suffit de dire « blues », ou mieux « du blues ». Sa musique est saine comme le bon sauvage, et avantage non négligeable : du moment que c’est du blues, il est permis de se lamenter sur soi-même (on est bien obligé, c’est un des principes du blues). Voir ici.
Les jeux fournissent aussi quelques mini-mythes. On a vu le jeu d’échecs : jeu supérieur, profond et violent, jeu d’élite, jeu du roi, roi des jeux et inspiration pour les rappeurs. Avant d’explorer d’autres jeux, nous étudions aujourd’hui un paradoxe, une curieuse inversion dans le passage du particulier au général : on verra dans cette série que presque chaque jeu pris individuellement a plutôt une image positive en chanson, alors que le jeu globalement, le jeu générique, non spécifié, a une image plutôt négative. Le tout serait en l’espèce opposé à la somme de ses parties… Voyons cela à travers plusieurs exemples.
La mauvaise réputation du jeu générique vient surtout des cruels jeux de l’amour. François Feldman et Joniece Jamison, Joue pas.
Un deuxième exemple. Plasticines, La règle du jeu.
La « règle du jeu » peut aussi symboliser l’arbitraire. Jeu de loi, par la Chanson du Dimanche.
La règle du jeu est donc implacable, à l’instar de la police, de la loi ou de l’ordre qui n’ont pas bonne réputation en chanson. Mais le jeu en sa futilité est tout aussi négatif : on joue avec nos vie, qui ne sont pas grand chose. Par exemple dans le refrain du prophétique Osmose 99 de Parabellum, qui nous prouve que même des Français peuvent inventer un bon gros riff. T’as joué t’as gagné t’as tiré un as de pique Tu y as cru t’as perdu tout ca c’est d’la politique
Le jeu à la généricité la plus innocente, le joujou, n’est là que pour révéler la part de sadisme de l’enfant… La révolte des joujoux par Guy Berry.
Reprise intéressante par Enzo Enzo.
Je pense que la réputation négative du jeu générique est typiquement française. Chez nos amis anglo-saxons, sa réputation est meilleure. Il faut dire qu’ils aiment la compétition et le capitalisme ces Amerloques et English. « Its a free world… play the game » nous chante Queen dans Play the game.
Et Starsky et Hutch, vous avez remarqué que quand il y a une fille entre les deux ils acceptent les règles du jeu ? Non mais quels bons bougres ceux-là. Le générique est interprété par Lionel Leroy.
Je vous rappelle que j’attends toujours vos vers préférés chez Brassens ! Je fais le point demain sur les différentes propositions.
Devinette du jour : quel alexandrin de Brassens est obtenu en recollant les titres de trois chansons ?
Réponse à la devinette d’hier. On demandait quelle célébrité a la particularité de voir son nom cité dans des chansons de Adamo, Alizée, Art Mengo, Pierre Bachelet, Barbara, Didier Barbelivien, Claude Barzotti, Bénabar, Benjamin Biolay, Georges Brassens, Jean-Roger Caussimon, Alain Chamfort, Julien Clerc, Vincent Delerm, Bob Dylan, Lara Fabian, Jean Ferrat, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Mark Knopfler, Serge Lama, Allain Leprest, Yves Montand, Mouloudji, Pascal Obispo, Pierre Perret, Renaud, Yves Simon, Charles Trenet et Zazie.
Il s’agit bien sûr de Paul Verlaine, bravo a Pierre Delorme qui a trouvé la réponse le premier, suivi de près par Patrick Hannais et Nadia (de Meylan). Simon me propose même une chanson à ajouter à la liste, Rive gauche d’Alain Souchon qui n’hésite pas à couper en deux le nom de ce pauvre Verlaine. Vous pouvez retourner voir la série qu’on a consacré à cet étrange phénomène, ici. Je ne vais pas vous passer toutes les chansons… Je me contente d’une des plus inattendues : Bob Dylan, You’re gonna make me lonesome when you go.
Et si vous ne me croyez pas, voici la liste des chansons, allez-y voir !
Pauvre Verlaine, Adamo À cause de l’automne, Alizée L’enterrement de la lune, Art Mengo En ce temps là j’avais 20 ans, Pierre Bachelet La Solitude, Barbara Gottingen, Barbara Hop Là !, Barbara L’absinthe, Barbara Dinky Toys, Didier Barbelivien Quitter l’autoroute, Didier Barbelivien Je ne t’écrirai plus, Claude Barzotti Remember Paris, Bénabar Si tu suis mon regard, Benjamin Biolay À Mireille [parlé, texte de Paul Fort], Georges Brassens L’enterrement de Verlaine [parlé, texte de Paul Fort, mais il existe des versions chantées], Georges Brassens Paris jadis, Jean-Roger Caussimon Jamais je t’aime, Alain Chamfort Hélène, Julien Clerc Les chanteurs sont tous les mêmes, Vincent Delerm You’re gonna make me lonesome when you go, Bob Dylan La différence, Lara Fabian Les poètes, Jean Ferrat Ma môme, Jean Ferrat Blues, Léo Ferré La fortune, Léo Ferré Paris, Léo Ferré À Saint-Germain des Prés, Léo Ferré Monsieur Barclay, de Léo Ferré Je suis venu te dire que je m’en vais, Serge Gainsbourg Metroland, Mark Knopfler Jardins ouvriers, Serge Lama Des éclairs et des révolvers, Serge Lama Neige, Serge Lama Pauvre Lélian, Allain Leprest Ma môme, ma p’tite môme, Yves Montand Rue de Crimée, Marcel Mouloudji Et bleu…, Pascal Obispo Je rentre, Pascal Obispo Ce qu’on voit… allée Rimbaud, Pascal Obispo L’arbre si beau, Pierre Perret T’as pas la couleur, Pierre Perret La femme grillagée, Pierre Perret Peau Aime [parlé], Renaud Mon bistrot préféré, Renaud Les gauloises bleues, Yves Simon Aux fontaines de la cloche, Charles Trenet Ohé Paris, Charles Trenet Adam et Yves, Zazie
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui, le dernier de la série, Allain Leprest, né en 1954.
Jean-Sébastien Bressy nous chante Pauvre Lélian, chanson sur la vie de Paul Verlaine, poète dont les paroliers aiment à citer le nom (voir ici la série consacrée à ce phénomène). Sur une musique de Romain Didier.
Une autre, Rimbaud, par Allain Leprest sur une musique de Francis Lai.
Et voilà, la plus longue série du blog se termine aujourd’hui. « Tout le reste, c’est garniture ».
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui Francis Carco, né en 1886.
Valérie Ambroise nous chante Il pleut (au Petit conservatoire de Mireille).
La chanson la plus connue de Carco est peut-être Le doux caboulot. Par Jean Sablon.
Parolier connu donc, au point que dans le cœur de Jean-Roger Caussimon, « y’a des rengaines dont les rimes incertaines se prenaient pour du Verlaine, du Bruant ou du Carco ». Soit. Tout ceci n’empêche pas certains sites de le confondre avec le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux ! Voir ici.
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui Paul-Jean Toulet, né en 1867.
Voilà, encore un poète dont je n’ai trouvé aucune mise en musique. Toulet est pourtant si léger et délicat, ce serait mignon. Il n’est pas très célèbre, mais il a son fan-club inconditionnel, avec par exemple Jorge-Luis Borges, qui le tenait, à égalité avec Verlaine, pour le plus grand poète français (et puis moi). À défaut de chanson, je vous propose une lecture.
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui Paul Verlaine, né en 1844.
Christine Sèvres nous chante Âme te souvient il ?, sur une musique de Léo Ferré.
Le Jardin a déjà consacré toute une série à un phénomène étrange : pourquoi Paul Verlaine est-il le poète dont le nom est le plus souvent mentionné dans des chansons ? Voir ici.