Boileau et Molière

La chanson, art majeur ou art mineur VII. Été 2019, chaque jour un poète, 12bis/68
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Genzo le parolier me signale dans un commentaire que je n’ai rien passé de Nicolas Boileau, et me propose Boileau, par Dick Annegarn et Bigflo et Oli.

 

Patrick Hannais me signale que L’ami Zantrop de Boby Lapointe comporte d’assez longues citations du Misanthrope de Molière (qu’on a déjà longuement évoqué dans ce blog, ici).

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant, que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations.

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François de Malherbe vint

La chanson, art majeur ou art mineur IV. Archéologie d’une question 4/16
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Ce n’est donc qu’à partir de l’an 1600 environ que : l’Anglais bouté hors de France depuis longtemps, la Bourgogne et la Bretagne ingurgitées et le protestant massacré, la France va enfin pouvoir consacrer deux siècles de relative stabilité politique à des questions sérieuses comme l’orthographe ou les règles de la versification. Au XVIIè siècle on commence à trouver des textes qui nous intéressent directement. Mais patience, on verra ces textes dans le prochain billet.

Étudions d’abord comment s’élabore un « art majeur » au début du XVIIè siècle. L’acteur principal de son édification est le poète François de Malherbe. Il ne publie pas d’ouvrage théorique ni de manifeste. Mais il pratique, le premier et le mieux, les strictes règles poétiques qui ont perduré jusqu’aujourd’hui, qu’on retrouve même dans certaines chansons de Brassens (Pénélope ou Supplique pour être enterré sur la plage de Sète sont de bons exemples) : alexandrin coupé en deux hémistiches, alternance de rime masculine et rime féminine, rime riche. Voyez Prière pour le Roy Henry le Grand allant en Limozin (texte intégral ici). L’extrait illustre bien le vers classique, mais aussi ce que je disais au paragraphe précédent sur la stabilité politique, l’autorité et « l’excellence des arts ».

Loin des mœurs de son siècle il bannira les vices,
L’oisive nonchalance et les molles délices,
Qui nous avaient portés jusqu’aux derniers hasards ;
Les vertus reviendront de palmes couronnées,
Et ses justes faveurs aux mérites données
Feront ressusciter l’excellence des arts.

La foi de ses aïeux, ton amour et ta crainte,
Dont il porte dans l’âme une éternelle empreinte,
D’actes de piété ne pourront l’assouvir ;
II étendra ta gloire autant que sa puissance,
Et, n’ayant rien si cher que ton obéissance,
Où tu le fais régner il te fera servir.

Tu nous rendras alors nos douces destinées ;
Nous ne reverrons plus ces fâcheuses années
Qui pour les plus heureux n’ont produit que des pleurs.
Toute sorte de biens comblera nos familles,
La moisson de nos champs lassera les faucilles,
Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

C’est un peu solennel pour notre goût moderne, mais c’est absolument carré, beau comme un jardin à la française, pas un poil ne dépasse : chaque vers est d’un balancement égal, chaque rime est riche, recherchée et bien amenée. C’est agréable à lire pour peu qu’on prenne garde à ces détails. Autre aspect remarquable : ce texte nous est absolument clair : aucun mot n’est vieilli, la syntaxe est limpide, à comparer avec les textes du dernier billet, écrits seulement quelques années auparavant. En un sens Malherbe a édifié la langue française telle qu’on l’écrit encore : son vocabulaire, ses tournures. En toute modestie, Malherbe écrivait lui-même cette prophétie vérifiée jusqu’aujourd’hui : « Ce que Malherbe écrit dure éternellement ». Francis Ponge dans son livre Pour un Malherbe, paru en 1965, ajoute :

À peine Malherbe eut-il disparu, il fallut le remplacer par quarante personnes. Encore, n’y parvint-on pas. Voilà l’origine de l’Académie française.

Ponge, qui tenait donc Malherbe pour une sorte de dieu, au point d’inventer cette origine fantaisiste de l’Académie, rapporte cette citation de Sainte-Beuve :

Son genre d’esprit et de génie avait besoin d’ailleurs d’un régime fixe et régulier; l’ordre public rétabli par Henri IV devait naturellement appuyer et précéder cet ordre tout nouveau à établir également dans les lettres et dans les rimes.

Après quoi Ponge ajoute :

Ici je ne suis plus du tout d’accord. Il me semble avéré, au contraire, que l’ordre dans les lettres, c’est-à-dire dans les paroles (et donc dans les idées) précède généralement l’ordre dans les institutions.

Je vous laisse à vos méditations sur ces pensées profondes… En tout cas, Malherbe a eu une influence profonde sur tout le XVIIè siècle. Vous connaissez sûrement le dicton « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. ». Mais saviez-vous qu’au départ, il faisait référence à Malherbe ? Nicolas Boileau, L’art poétique, chant I.

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.

Par ce sage écrivain la langue réparée
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.

Tout reconnut ses lois; et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.

Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.

Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire apprenez à penser.

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain vous me frappez d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux;

Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain

Tiens au fait, il faut que je trouve une chanson… Malherbe n’a pas trop inspiré nos poètes chanteurs du XXè siècle, mais en son temps, il a été mis en musique. Sur le départ de la vicomtesse d’Auchy, 1608, par Évelyne Dasnoy.

Pour conclure, des textes un peu plus légers de ce sacré Malherbe. On retient de lui une raideur toute académique, mais on peut aussi fouiller dans ses œuvres à la recherche de passages plus sentimentaux ou même sensuels :

Les voici de retour ces astres adorables,
Où prend mon océan son flux et son reflux ;
Soucis retirez-vous, cherchez les misérables,
Je ne vous connais plus.

Je vous propose aussi la Chanson chantée au ballet du triomphe du Pallas, en 1615. Pour la musique, voir ici, je n’ai pas trouvé d’enregistrement.

Cette Anne si belle,

Qu’on vante si fort,
Pourquoi ne vient-elle ?
Vraiment elle a tort.

Son Louis soupire
Après ses appas ;
Que veut-elle dire
De ne venir pas ?

S’il ne la possède
Il s’en va mourir ;
Donnons-y remède,
Allons la querir.

Assemblons, Marie,
Ses yeux à vos yeux :
Notre bergerie
N’en vaudra que mieux.

Hâtons le voyage ;
Le siècle doré
En ce mariage
Nous est assuré.

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