Voici la dernière série avant l’été. Les mois de confinement m’ont plongé dans la nostalgie des trajets quotidiens domicile-travail à vélo : de Villeurbanne au quartier de Gerland, tout au sud de Lyon, avec un passage devant la Halle Tony Garnier, haut lieu de la boucherie en gros reconverti en salle de spectacle. Je gardais un œil sur la programmation affichée sur le bâtiment et j’observais le public, si différent d’un artiste à l’autre. À l’occasion, j’échangeais même quelques mots avec des spectateurs, qui attendaient parfois dès le matin pour être sûrs d’être au premier rang.
Une fois, dans une sorte de contre-allée, j’ai vu deux campeuses. Je leur ai demandé si elles attendaient un spectacle, et elle m’ont que oui. Qui ? Mylène Farmer. Mais elle passe dans quatre jours ? Oui, et alors. J’ai dû faire une tête qui montrait mal mon admiration pour une si belle ferveur, parce que quand j’ai ré-enfourché ma bicyclette, elle m’ont dit : « regarde bien la télé ». Pfff, comme si je regardais la télé moi (bon, j’avoue, j’ai un faible pour les Marseillais à Dubaï).
Ainsi soit-je.
Pour aller plus loin dans la découverte de Mylène Farmer, je vous conseille l’écoute de la longue interview de son pianiste et arrangeur Yvan Cassar, qu’on aperçoit sur la vidéo. Par Benoit Duteurtre sur le site d’Étonnez-moi Benoît.
Pour aller encore plus loin, je vous livre cette énigme orthographique parfaitement insoluble. Faut-il écrire « ainsi soit-je » ou « ainsi sois-je » ? Adressez vos réclamations directement au fan-club de Mylène Farmer.
Une authentique énigme avant le prochain billet. La Halle Tony Garnier est très près de mon bureau. J’entends donc parfois les artistes faire leur balance avant le spectacle. Depuis 10 ans, lequel remporte le prix de la balance la plus abominablement bruyante ? J’ai vérifié auprès de collègues, tout le monde est d’accord.
Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 21/23
La diffusion aujourd’hui assez large des témoignages d’anciens déportés ou d’œuvres de fictions sur la Shoah et la déportation fait que nous avons tous en tête des images de camps de concentration. Voire même du vocabulaire pour ceux qui ont lu attentivement des témoignages et pour qui des mots innocents en apparence comme « organiser » ou « petit numéro » prennent un sens spécial. Tout cet imaginaire est bien sûr une ressource, notamment pour la chanson, cet art bref qui a besoin plus qu’aucun autre des images préconçues du spectateur pour faire passer son message de quelques notes.
Dans Poulet n° 728 120, je ne sais pas si Philippe Katerine évoque consciemment les numéros tatoués au bras des déportés. À Auschwitz, ces numéros avaient parfois six chiffres, mais je ne crois pas que le numéro 728 120 y ait jamais été utilisé, les numéros s’étant arrêté autour de 200 000 (ceux qui étaient gazés à l’arrivée n’entraient même pas dans le camp proprement dit et n’avaient pas de numéro). Clip vidéo très amusant à voir ici.
Je vous propose le clip de Désenchantée, de Mylène Farmer. Sur la page Wikipedia de Sans contrefaçon, je lis : « Mylène Farmer aurait d’abord envisagé de tourner le clip dans un camp de concentration. »
Puisqu’on est déjà dans le n’importe quoi, autant écouter Le dossier D de Michel Sardou. Ça nous change de la réponse D de Gad Elmaleh, et ça parle d’un rescapé de Mauthausen. Si vous y comprenez quelque chose, éclairez-nous dans les commentaires.
Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 16/23
La plupart des chansons passées jusqu’ici sont l’œuvre de chanteurs et chanteuses juifs, dont la famille a été parfois touchée directement par la Shoah. Dans ce billet, je vous propose un tour d’horizon chronologique de plusieurs chansons d’auteurs a priori non-juifs (je n’ai pas vérifié la biographie de tout le monde …) qui chantent la Shoah. L’évolution dans le temps est intéressante.
La première chanson ne concerne pas directement la Shoah. Elle parle du Vélodrome d’hiver à Paris, un lieu de fête populaire et de meetings politiques avant-guerre, ainsi que se le remémore Yves Montand. Les « six jours » mentionnés dans les paroles, ce n’est pas la création du monde dans la Genèse, ce sont les Six jours de Paris, fameuse course cycliste. C’est au Vel’ d’Hiv qu’ont été parqués les 13 000 juifs arrêtés le 16 juillet 1942, lors de la plus grande rafle organisée en France. Aujourd’hui, « Vel’ d’hiv » évoque la rafle du Vel’ d’hiv, pas le cyclisme sur piste… La chanson montre bien que dans les années 1950, il n’en était rien.
Avec les Juifs de Pierre Selos, chanteur engagé dans le catholicisme à ses débuts. On est en 1964.
La petite juive de Maurice Fanon, en 1965.
Petit Simon d’Hugues Aufray en 1967, paroles de Vline Buggy.
Paul Louka, Tante Sarah en 1972.
Chanson pour Anna, en 1974, paroles et musique de Pascal Danel, interprétée par Daniel Guichard
En 1977, dans son concept-album Simon et Gunter, Daniel Balavoine nous raconte l’histoire de deux frères allemands séparés par le mur de Berlin. Une chanson de l’album, Lise Altmann, est consacrée à la Shoah.
En 1986 , Gilbert Bécaud compose une comédie musicale, Madame Rosa, adaptée par Claude Lemesle du roman d’Émile Ajar, La vie devant soi. Extrait : Bravo, par Annie Cordy. Première chanson de la série qui évoque explicitement le rôle des Français dans les déportations.
Anne ma sœur Anne, en 1985, Louis Chédid (qui fait son entrée au 1007e billet de ce blog). Je crois que c’est la première chanson de la série qui évoque le retour de l’antisémitisme après-guerre. La chanson date à peu près des premiers succès électoraux du front national.
Souviens-toi du jour en 1999, interprétée par Mylène Farmer. À la fin de la chanson, elle chante « Zakhor et yom », ce qui signifie « Souviens-toi du jour » en hébreu. Les paroles disent en boucle « si c’est un homme », allusion sans ambiguïté à Primo Levi. Mylène Farmer porte une robe Thierry Mugler. Analyse du clip, ici.
L’ami Jacob, en 2007, de Pascal Danel, qui avait déjà écrit la Chanson pour Anna en 1974 pour Daniel Guichard.
Fatigué, fatigué, de François Morel. On est en 2010.
La chanson, art majeur ou art mineur V. Les nanards de la chanson, 7/11 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11
La chanson, c’est un art mineur d’accord. Mais le règlement de compte, c’est un art majeur. Merci monsieur Francky Vincent pour cette belle chanson et toutes ses délicatesses d’expression. Le Restaurant (bande de malpropre).
Toutes mes excuses à Francky Vincent pour avoir mal orthographié son prénom dans des billets précédents, c’est corrigé. Sinon, Je ne sais pas où caser cette citation, ça ira très bien dans ce billet puisqu’il y a déjà des gros mots. Extrait de Mylène Farmer : une grande astronaute, de Yannik Provost.
La chanson est une compagne merveilleuse, je suis passionnée par la musique et ses mots. Elle est pour moi ce que le sang est à Dracula : entendez par là que musique et chanson sont deux éléments indispensables dans mon existence. Je ne peux pas m’en passer. Gainsbourg disait que « la chanson est un art mineur ». D’ailleurs il a rectifié sa déclaration par la suite en affirmant : « les arts mineurs sont en train d’enculer les arts majeurs ».
Je vous ai sélectionné le meilleur du sexe au Top 50 pour ce billet. Étienne, de Guesch Patti. Je viens de le réécouter, ça n’a pas trop vieilli, une bonne surprise. C’était le bon temps, quelle chance j’ai eue de grandir à cette époque.
Je vous passe aussi l’excellent C’est comme ça, Rita Mitsouko, avec l’extraordinaire Catherine Ringer. On ne sait pas trop de quoi ça parle, laissez-vous guider par votre imagination. Avec Marthe Lagache dans la télé au début du clip.
Vous avez vu les grand moulinet du guitariste Fred Chichin ? C’est le fameux « windmill » popularisé (ou inventé, la question est controversée) par Pete Townshend, le guitariste des Who. À retenir, ça pourra toujours vous servir à Questions Pour Un Champion.
La reine du Top 50, c’est bien sûr Mylène Farmer, la seule, l’unique qui a réussi à caser 18 titres numéro 1. Pourvu qu’elles soient douces est le premier et il bat pas mal d’autres records : clip le plus long (plus de 17 minutes), le plus cher, avec le plus de figurants, n’en jetez plus. Les paroles sont assez explicites.
La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 7/12 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12
Dans cette série sur les poncifs, je trouve le cas de Barbara particulièrement intéressant. De tous les « grands » de la chanson, elle est sans doute celle qui abuse le plus du poncif. Elle parvient d’ailleurs à caser deux de ses chansons dans l’énigme ART (voir ici). Quand on essaye de jouer ses musiques à la guitare, on découvre que plusieurs sont bâties sur les mêmes suites d’accords convenues. Bien plus que celles de collègues à elle dont on critique volontiers les musiques. Par exemple, Brassens, ou même des compositrices rangés dans la « variété » et pas dans la chanson « de qualité », ne me demandez pas pourquoi. Je pense à Véronique Sanson.
Dans ses paroles, Barbara n’a pas de complexe : amour rime avec toujours, tout coule facilement. Dans Pierre, des phrases d’une poétique cul-cul frisant le mauvais gout, telles que « Oh mon dieu que c’est joli la pluie », côtoient une écriture tout en platitude :
Tiens il faut que je lui dise Que le toit de la remise A fuit Il faut qu’il rentre du bois Car il commence à faire froid Ici
C’est pas du Mallarmé (heureusement en fait, j’aime pas du tout Mallarmé). Mais les vers de sept pieds sont rythmés par leurs consonnes. Ceux de deux pieds expirent au contraire des sonorités suaves. Sur une musique assez banale pour se faire oublier, placé rubato, avec la clarinette de Michel Portal au contre-chant et une voix discrètement entrecoupée de soupirs, ça produit son effet. La platitude même des mots laisse finalement entendre qu’ils sont sans importance, en cette circonstance. C’est de la belle chanson, l’une des plus belles qui soit à mon goût. Pierre.
Barbara ne prétendait nullement être poétesse. Dans ses interviews, elle expliquait qu’elle ne comprenait pas pourquoi on la rangeait dans la catégorie des chanteuses intellectuelles. C’est vrai que pour avoir écrit « il pleut… », « donne-moi la main », « un matin ou peut-être une nuit », etc, c’est étrange comme classification.
Quel est le secret de son art, qui manie le poncif sans s’affadir ? Prenons un autre exemple, dans Göttingen : « les enfants sont les mêmes à Paris ou à Göttingen ». Le poncif est éculé, on se croirait dans une chanson de scout écrite au presbytère. Mais chanté par Barbara, ceci prend un relief spécial : elle a échappé à l’extermination pendant la seconde guerre mondiale, elle a vraiment été chanter à Göttingen, où elle a vraiment rencontré des enfants allemands, qui étaient sans doute vraiment blonds. « Les enfants sont les mêmes à Paris ou à Göttingen » donc, ça n’a rien à voir avec une phrase vidée de son sens du genre « si tous les enfants du monde voulaient se donner la main », « heureux les pauvres d’esprit », etc.
On peut multiplier les exemples dans le répertoire de Barbara : l’inceste chanté et vécu, la mort de son père à Nantes. Tout est vrai, il n’y a pas eu de besoin de la presse people pour que son public le ressente. Barbara est une entité globale : sa vie, ses textes, ses musiques et ses interprétations ne font qu’un. Il y a de nombreux exemples de ces artistes-personnages dans la chanson : plus ou moins fabriqués par l’industrie du loisir, fantasmés par le public, parfois au corps défendant de l’artiste. Dans des rôles très variés : Mylène Farmer, Johnny, Renaud, Marilyn Monroe, Brassens d’une certaine manière… Si on remonte dans le temps, Eugénie Buffet, peut-être l’inventeuse du personnage en chanson, avec son rôle de la pierreuse (voir ici). Et encore avant Béranger. L’originalité de Barbara dans cette tradition, c’est qu’elle résiste à l’examen : le personnage fantasmé est curieusement proche de la vraie Barbara, sans qu’on sache si l’une s’est efforcée de ressembler à l’autre.
Allez donc voir la vidéo d’Agnès Gayraud, sur la musique pop (qui n’est pas exactement la chanson, mais la recoupe en grande partie). Le passage vers la fin, sur Nina Simone, n’est pas sans rapport avec ce que je raconte aujourd’hui.
Notre plongée dans le passé se poursuit. On est en 1987. Les deux chansons précédentes étaient assez graves, celle d’aujourd’hui est plus dansante, tout en étant plus revendicative et plus vague : Sans contrefaçon, de Mylène Farmer, chanson sur l’ambiguïté de genre.
Notez la présence de Zouc dans le clip. Et ce passage : « Un mouchoir au creux du pantalon, je suis Chevalier d’Éon. ». Le Chevalier d’Éon, politicien et agent secret au XVIIIè siècle entretint le doute sur son identité sexuelle. Soumis à des examens pour déterminer son sexe, il a toujours refusé de se déshabiller. Un peu comme dans la chanson : « même pour un empire, je ne veux me dévêtir, puisque sans contrefaçon, je suis un garçon ». Rappelons que le Chevalier d’Éon était un homme, et qu’il cherchait à passer pour une femme, voir sa page wikipedia.
La chanson a été souvent reprise, notamment par les Fatals Picards déjà vus il y a deux billets.