Les mots n’ont aucune importance (en cette circonstance)

Peut-on chanter en français – 1

À l’heure où approchent les élections, le Jardin, jaloux des audiences de la télé poubelle, s’essaie au buzz identitaire le plus nauséabond, avec une question qui remue les profondeurs de notre roman national. Ou plutôt en l’espèce de notre romance nationale : peut-on chanter en français ? Explicitons la question: la Langue Française, ce monument qui a tant donné à la littérature mondiale, serait-elle inapte à chanter ? L’anglais et ses « oh yeah » et ses « she loves you » serait-il doté de la faculté magique de se fondre sans effort dans toute musique syncopée ou simplette ? Tandis que le français, ce géant littéraire empêtré dans ses conjugaisons, son accent tonique anémique, ses règles et ses voyelles nasales serait condamné à une grandiloquence méprisante et académique.

Voilà ce qui expliquerait que la France a un peu raté le grand tournant de la révolution rock (voir ici) et a perdu depuis longtemps sa place dominante dans les cultures populaires internationales. On va voir que ce débat est bien plus ancien que la vague yéyé, que la vague jazz des années 1920, ou même que la « vague ragtime » du début des années 1900, bien oubliée aujourd’hui. Des textes assez anciens alimentent ce débat, dans un mélange paradoxal et détonnant entre un chauvinisme littéraire mégalomane et un complexe d’infériorité musical qui confine parfois à la haine de soi. Mais ne divulgâchons pas les prochains billets…

Alors, peut-on chanter en français ? Première pièce à conviction de ce vieux débat, Groove baby groove, d’un Michel Jonasz au top de son inspiration. Michel Jonasz raconte que cette chanson est autobiographique, voir sa longue interview au micro de Benoit Duteurtre.

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L’homme orange

Mathématiques et chansons 26

On s’attaque aujourd’hui à un vaste domaine des mathématiques : les géométries non-euclidiennes. Je ne m’étends pas dessus, je vois que la page wikipedia qui leur est consacrée est très bien faite, voir ici.

Ce sujet, à la fois technique et d’une grande importance philosophique en son temps, est une ressource pour le poète ou le parolier, avec ses droites courbes, ses angles droits pas droits, etc. Par exemple, ce grand passionné de science qu’est Michel Jonasz s’en inspire discrètement dans L’homme orange.

1 – Marie Mathématique
2 – Parallèles
3 – Booba, mathématicien du 100-8
4 – Tu fais trop de mathématiques
5 – Seul
6 – Si j’avais un piano
7 – Pourquoi la fatma l’a mis le feu ?
8 – Évariste
9 – Avec moins de clarté que de ferveur
9bis – Le chien du pope
10 – C’est quand qu’on va au pont-aux-ânes ?
11 – Pi
12 – Le théorème de l’électeur médian, l’art majeur et l’art mineur
12bis – Les arbres de Corot
13 – C’est bien ma veine
14 – Trois est un nombre magique
14bis – Great Teacher Issapa
15 – Pas des carrés
16 – Common knowledge
16bis – Everybody knows
17 – La preuve par trois
18 – Un zéro
19 – Rien
20 – New math
21 – Ma thématique
21bis – There a delta for every epsilon
22 – Compter
23 – La prof de math
23bis – L’enfant et les additions
24 – Deux fois deux font quatre
25 – Groupe d’automorphismes des chansons
26 – L’homme orange
27 – Mettre Euclide dans une poubelle
28 – La mémoire et les maths
29 – Lobachevsky
30 – Les valeurs approchées
31 – La vénus mathématique
32 – Mathématiques souterraines
33 – Logarithme 70
34 – Humour tautologique
35 – Quand j’étais petit, je n’étais pas grand
36 – Logical
37 – Permutation circulaire
38 – Contraposée
39 – Je serais pas Mistinguett si j’étais pas comme ça
40 – Les nombres négatifs
41 – Moins deux
42 – 7 est égal à -1 modulo 8
43 – Boby Lapointe, Euclide de la chanson
44 – That’s Mathematics
44bis – Amor Matemático

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Variations sur un prélude (de Bach)

J.-S. Bach dans la chanson 17/19

On explore aujourd’hui un peu plus le célèbre Prélude en do majeur, premier morceau du Clavier bien tempéré, déjà vu dans le billet précédent. Pour commencer, le pianiste Lang Lang nous explique quelques enjeux liés à son interprétation.

Encore Lang Lang. Son idée de respiration, je parie que ça a dû parler à Michel Jonasz qu’on aperçoit sur la vidéo …

On l’a déjà vu dans le billet précédent, le premier prélude de Bach a été beaucoup décliné. Il aurait inspiré Fuir le bonheur, de Serge Gainsbourg. Par Jane Birkin. Il y a bien une parenté, mais c’est quand même bien trafiqué.

Alexandre Astier, qui a consacré tout un spectacle à Bach, en a proposé une version au rythme un peu tordu. Amateurs de solfège, c’est du 15/16. Pour ceux qui ne comprennent pas ce que ça veut dire, retenez que c’est bancal mais que c’est fait exprès.

On entend le prélude dans Repent Walpurgis de Procol Harum, vers 3:00 sur la vidéo. Ça fait quand même un peu il y a un cheveu dans la soupe.

La version de Jacques Loussier. Je n’ai pas trouvé de version d’Edouard Ferlet, ça aurait été intéressant ce comparer leurs approches…

L’Ave Maria de Gounod est basé sur ce prélude, et d’après le site cover.info qui m’a bien aidé à préparer cette série, on en trouve 130 reprises : pop, chanson, variété, etc.

Par Tino Rossi, c’est pas mal du tout.

Par Bing Crosby.

Même Stevie Wonder s’y est collé.

On passe au kitch. Qui a eu l’idée de mettre la ligne de basse de Stand by me ? Et de mettre Johnny sur le coup ?

Et puis le spécialiste de Bach en variété. Dave, Marie mon rêve.


Pour finir, les meilleurs. Präludium und Fuge Nr. 1 C-Dur BWV 846. The Swingle Singers. À écouter ici.

1 – Un flingueur nommé Jean-Sébastien Bach
2 – Un tube de Bach
3 – Bach demeure dans un camion
4 – Encore du Bach par Frida Boccara
5 – Bach jazzman
6 – Bach swingue
7 – All you need is Bach
8 – Blondie is Bach
9 – Un métaleux appelé Bach
9bis – Bach, cet inconnu
10 – Bach popstar
11 – American Tune
12 – Un geek appelé Bach
13 – Un crabe appelé Bach
14 – Une fugue pas de Bach
15 – Bach s’invite chez les Le Forestier
16 – Maurane vs Gould
17 – Variations sur un prélude (de Bach)
18 – Un blagueur nommé Glenn Gould
19 – Répliques

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Ficelle à rôti

Bouchers, boucherie et chanson, 15/16

On approche de la conclusion de cette série. Mais pourquoi toutes ces chansons de boucher ? Le personnage du boucher a bien des agréments pour le parolier. La commodité du mythe d’abord : à l’instar du gitan ou de la putain, ce personnage récurrent ne requiert par d’explication, l’auditeur connait. Autre avantage, le ressort comique du contraste : le boucher amoureux, le boucher romantique, qu’est-ce qu’on rigole. Il ne reste pourtant qu’un mythe de seconde zone. Je pense que c’est en raison d’un point faible crucial : il n’est guère plaisant de s’identifier à un tel bouffre. Alors que chacun rêve quelque part d’être un peu gitan ou un peu pute n’est-ce pas.

La ficelle du boucher est un peu grosse. On peut le voir à plusieurs signes. D’abord, les grands de la chanson, les tout meilleurs à mon goût, n’ont pas leur chanson de viande : Jonasz, Gainsbourg, Renaud, Ferré, Brassens, Brel, Barbara, Nougaro, Souchon, Sanson, la fine fleur de l’élite, ils n’ont pas de chanson de boucherie. Quand on a quelque chose dire sur l’amour, la vie ou les fleurs, pourquoi faire une chanson sur les bouchers ? Et le sujet « boucherie » n’a pas sa « grande chanson ». Pas de Comme ils disent, pas de Complainte des filles de joie, pas d’Assassin assassiné, pas de Ne me quitte pas, etc. La chanson de boucherie est souvent aussi lourdingue que le personnage qu’elle prétend décrire, elle reste cantonnée aux faces B, à la bonne idée-recette pour farcir son répertoire, excellent exercice pour atelier d’écriture chansons au demeurant. Bon, quand même une grande exception à tout ce que je raconte : Les joyeux bouchers de Boris Vian, privilège de l’inventeur qui épuise presque tout le mythe en une seule chanson.

Je vous ai préparé pour ce billet le pire de la chanson bouchère. Un sketch d’abord, de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Jolis bouchers.

La femme du boucher, c’est amusant et bien interprété, mais après toute une série de boucherie, c’est l’indigestion de viande.

Exemple d’écriture automatique bouchère, Pièce de viande par le groupe Les Trois Accords.

Touchons le fond. Jean-Pierre Coffe et Carla Bruni fabriquent du boudin.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Le sous et Le Houx

Vin, alcool et ivrognerie 13bis/24

Dans un commentaire Pierre C. de Paris nous propose une autre version de Je suis sous, toujours par son auteur Claude Nougaro. Avec Diane Dufresne dans le rôle de Marie-Christine, et puis Michel Jonasz et Bill Deraime qui dansent comme de sacrés soulards. La musique est de Jacques Datin.

Je me demande qui a écrit cet arrangement bien travaillé. Je penche pour Bernard Arcadio. D’après la bible de Serge Elhaïk, Les arrangeurs de la chanson française, les dates et le style ne collent pas trop mal. En plus, je pense qu’il est au piano sur la vidéo.

Puisque cette série adosse chaque chanson à un texte, je vous propose aussi quelques vers que me signale Patrick Hannais. Ils sont de Jean Le Houx, poète normand, auteur du Vaux de Vire, un recueil bachique de la fin du XVIe siècle.

Ayant le dos au feu et le ventre à table,
Étant parmi les pots pleins de vin délectable,
Ainsi comme un poulet
Je me laisserai mourir de la pépie
Quand en devrais avoir la face cramoisie
Et le nez violet.

Quand mon nez deviendra de couleur rouge ou perse,
Porterai les couleurs que chérit ma maîtresse :
Le vin rend le teint beau !
Vaut-il pas mieux avoir la couleur rouge et vive,
Riche de beaux rubis, que si pâle et chétive,
Ainsi qu’un buveur d’eau ?

On m’a défendu l’eau, du moins en beuverie,
De peur que je ne tombe en une hydropisie ;
Je me perds, si j’en bois.
En l’eau n’y a saveur ; prendrai-je pour breuvage
Ce qui n’a point de goût ? mon voisin qui est sage
Ne le fait, que je crois.

Qui aime bien le vin est de bonne nature.
Les morts ne boivent plus dedans la sépulture.
Hé ! qui sait s’il vivra
Peut-être encor demain ? chassons mélancolie.
Je vais boire d’autant à cette compagnie :
Suive, qui m’aimera !


Retrouvez une édition intégrale du Vaux de Vire sur Gallica.

1 – Le vin
1bis – Je bois la bouteille
2 – J’ai bu
3 – Un ivrogne appelé Brel
4 – Chanson à boire
5 – En titubant
6 – Le vin me saoule
7 – La santé, c’est la sobriété
8 – Si tu me payes un verre
8bis – Le vin que j’ai bu
9 – Tango poivrot
9bis – Sur le Pressoir
10 – L’alcool de Gainsbourg
11 – C’est cher le whisky, mais ça guérit
12 – L’eau et le vin
13 – Sous ton balcon
13bis – Le sous et Le Houx
14 – Sacrée bouteille
15 – Le dernier trocson
15bis – Java ferrugineuse
16 – Commando Pernod
16bis – Cereal killer
17 – Six roses
18 – 1 scotch, 1 bourbon, 1 bière
19 – Vins d’appellation
20 – On boira d’la bière
21 – Ponchon pochtron
22 – Copyright apéro mundi
23 – Rapporte moi des alcools forts
24 – Je vais m’envoler

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Jonasz et Sanson

Les Juifs et la chanson V – Chansons de Corvol 8/10

Évidemment, chaque génération de colon ou de moniteur apporte avec elle à Corvol les chansons à la mode de son époque, ce qui aura laissé sur chacun telle ou telle empreinte… Les fidèle de ce blog auront peut-être remarqué chez l’auteur de ces lignes une perte totale d’objectivité à propos de Véronique Sanson. Elle s’explique probablement par ses chansons passées volume à fond sur l’électrophone posé sur la fenêtre donnant sur le parc… dans les soleils couchant de juillet, interminables tout comme les vibratos de la belle Véronique.

Tiens, c’est juillet aujourd’hui… Ma musique s’en va.

Autre souvenir musical marquant, la voix de Michel Jonasz. Lucile.

Allez, les deux ensemble.

1 – Die Arbeiter von Wien
2 – Mir kumen on
3 – Répertoires scout et de colonie de vacances
4 – Le grand répertoire de gauche
5 – Shabes
6 – Confusion et questionnements
7 – Mon oncle Benjamin
8 – Jonasz et Sanson
9 – Sixteen tons
10 – Le colporteur

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Des moyens légaux

Les Juifs et la chanson II – La chanson et le problème de l’éléphant 9/14

Les juifs ashkénazes qui ont immigré en France parlaient souvent le yiddish (voir la série consacrée à la chanson yiddish). Ils étaient souvent artisans ou ouvriers. Beaucoup étaient bundistes (militants du Bund, le parti socialiste juif polonais) ou communistes. Au moins deux chanteurs chanteurs français illustrent cette sensibilité juive militante de gauche : Francis Lemarque et Jean Ferrat.

D’autres chanteurs moins marqués politiquement sont issus de l’immigration juive d’Europe de l’est : Barbara, Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, Catherine Ringer ou même le chanteur belge Arno pour ne citer que les plus célèbres. Tous ont en commun que leurs origines sont très discrètes dans leurs chansons. Dans ce billet, je vais m’attarder sur Jean-Jacques Goldman, homme de mystère et de contradictions : « Rencontre rarissime de la gloire et du dédain de la gloire » selon le Dictionnaire amoureux de la chanson française de Bertrand Dicale, homme normal au succès anormal, artiste engagé et lisse, chanteur commercial et auteur d’une œuvre personnelle. Et bien sûr, personnalité préférée des Français selon plusieurs sondages.

Il est issu d’une famille de juifs polonais et militants de gauche. Son père était résistant dans les mouvements communistes (la M.O.I. : main d’œuvre ouvrière immigrée), mais assez lucide sur le stalinisme. En août 1944, il a participé à l’insurrection de Villeurbanne (ville d’où sont écrits la plupart des billets de ce blog). Ce passé est rarement évoqué dans les chansons de Goldman, toujours avec pudeur, et presque toujours de manière un peu abstraite. On a déjà noté que lorsque Goldman parle du nazisme, il invoque une ville imaginaire, voir ici. La chanson Là-bas nous parle d’émigration sans citer une seule époque ni un seul pays. Avec Sirima.

L’histoire de Jean-Jacques Goldman et de sa famille est toutefois bien présente dans ses chansons. Il parle du peuple juif en ces termes dans Je te donne (chanson cent fois entendue, et je n’ai remarqué le passage qu’en novembre dernier, au karaoké, meilleur endroit pour bien comprendre les chansons) :

Je te donne nos doutes et notre indicible espoir
Les questions que les routes ont laissées dans l’histoire
Nos filles sont brunes et l’on parle un peu fort
Et l’humour et l’amour sont nos trésors

Je garde Comme toi pour une prochaine série. Et je vous propose aujourd’hui un détail, dans les paroles de Envole-moi, qui laisse souvent perplexes les auditeurs pour peu qu’ils y prennent garde. On écoute, faites bien attention.

Voilà le passage :
J’m’en sortirai
J’me le promets
Et s’il le faut, j’emploierai des moyens légaux

Pourquoi diable Goldman menace-t-il d’employer des « moyens légaux » ? Dans cette chanson révoltée évoquant la crise des banlieues ou quelque chose comme ça, « Et s’il le faut » nous prépare plutôt à quelqu’extrémité, et donc à l’emploi de moyens illégaux, non ? Goldman lui-même s’en explique :

L’idée, c’est de se dire qu’en fait la phrase clé de cette chanson c’est « et s’il le faut j’emploierai des moyens légaux ». C’est-à-dire qu’il n’y a pas de fatalité à l’inculture et à la misère des cités, et que finalement la façon de s’en sortir c’est l’école ! Donc c’est l’histoire d’un gamin qui demande un peu d’aide… Là, je ne sais pas à qui, peut-être à un prof, peut-être à un ami, peut-être à un livre, ou peut-être à quelqu’un qu’il ne connaît pas ! Mais il a envie de sortir de cette fatalité et il va s’en sortir de cette façon, « à coup de livres je franchirai tous ces murs ». Voilà c’est ce thème-là.

J’irais plus loin en me référant à l’histoire familiale de Goldman, à son père résistant et à son demi-frère, le militant d’extrême-gauche Pierre Goldman. Car les paroles de Goldman ont un positionnement politique clair et constant : républicain et au centre-gauche disons, avec la célébration d’institutions comme l’école (« c’était un professeur… », dans Il changeait la vie, chanson utilisée dans la campagne de Lionel Jospin en 2002), l’éloge de la culture (« à coup de livres je franchirai tous ces murs) ou de la différence (« je te donne toutes mes différences »), les exemples sont très nombreux dans ses paroles.

Goldman est donc un réformiste, qui en toute logique refuse explicitement la révolution (« On ne promet pas le grand soir » dans la Chanson des restos du cœur). Bertrand Dicale va même jusqu’à parler d’un « catéchisme citoyen, engagé, laïque, responsable, souvent libertaire, toujours moral ». Pour illustrer le Goldman réformiste, on écoute son bilan doux-amer du siècle des révolutions, enregistré en 1993 à Moscou, la chanson Rouge avec les Chœurs de l’armée de la même couleur. Par le trio Fredericks Goldman Jones.

Goldman réformiste donc. Le demi-frère de Jean-Jacques, Pierre Goldman, de sept ans son aîné, a fait des choix politiques opposés : militant très actif en 1968 (il dirige le service d’ordre de l’Union des étudiants communistes), il tente ensuite de rejoindre la guérilla en Amérique du sud, participe à divers braquages destinés à financer la révolution, là-bas puis en France. Il est finalement accusé du meurtre de deux pharmaciennes lors d’un hold-up qui tourne mal en 1969 à Paris, condamné en 1974, puis innocenté en 1976 suite à un procès très médiatisé et marqué par une mobilisation de nombreux intellectuels, artistes et militants. Il meurt assassiné en 1979. Le crime est revendiqué par une mystérieuse organisation d’extrême droite, « honneur de la police ». L’assassinat des pharmaciennes et celui de Pierre Goldman n’ont jamais été vraiment élucidés, bien que de nombreuses hypothèses plus ou moins bien étayées circulent, vous trouverez tout ça sur le web.

Même si j’en suis réduit aux conjectures, les « moyens légaux » de Envole-moi me semblent plutôt limpides. Je suppose que Jean-Jacques Goldman a le plus grand respect pour le passé de résistant de son père pendant la guerre, mais qu’il estimait la lutte armée anachronique dans les années 1970-80. Et qu’il a au moins un désaccord idéologique avec les « moyens illégaux » choisis par son demi-frère.

Le positionnement « lisse » de Goldman n’est donc évidemment pas un choix par défaut, à la manière du chanteur commercial moyen dont l’intérêt bien compris est de se fondre dans un consensus mou (ou d’occuper une « niche » contestataire).  Ce n’est pas non plus le centrisme du dandy-normal Alain Souchon, l’ami chocolat-basket dont la douce séduction suit en tout domaine (y compris mélodique) les lignes de moindre pente. Goldman aurait pu emprunter un « autre chemin », des déterminismes sociaux l’y invitaient : la présence de nombreux  baby-boomer juifs ashkénazes dans les mouvements d’extrême gauche des années 1960 est un phénomène bien compris et documenté. Souvent auto-documenté d’ailleurs : le meilleur document à ce sujet, le premier peut-être, est le livre écrit par Pierre Goldman en prison, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, allez-y voir. Ou écoutez cet épisode du Journal de l’histoire d’Anaïs Kien, ça ne dure que quatre minutes, ici. Je pense que le public a ressenti d’instinct la réalité, l’originalité et la profondeur de l’engagement de Jean-Jacques Goldman, ce qui a permis ce paradoxe apparent du lisse-engagé et la construction de la star intègre et modeste Jean-Jacques Goldman, sorte de saint laïc de la chanson. Dans ce registre iconique, il n’a d’équivalent que Brassens, n’en déplaise aux classificateurs adeptes des taxons « commercial » et « de qualité ».

Je vous propose la vidéo d’un débat entre Jean-Jacques Goldman et Romain Goupil. Ce dernier a réalisé un film intéressant : Mourir à trente ans. Il raconte la vie tragique de Michel Recanati, qui était une sorte de collègue de Pierre Goldman puisqu’il dirigeait le service d’ordre de la Ligue Communiste. À ne pas manquer, à partir de 4:53 : Jean-Jacques Goldman n’arrive pas à réprimer un fou rire devant Goupil, qui devait se trouver à l’époque à mi-chemin de sa trajectoire allant du trotskisme au néo-conservatisme. C’est au début de la Chanson des restos du cœur : « sans idéologie, discours et baratin, … », œillade appuyée à monsieur Goupil, c’est vrai qu’il nous fait bien rigoler.

Pour conclure, je me permets une dernière hypothèse sur le succès de Jean-Jacques Goldman (et qui explique aussi pourquoi il ne rencontre ce succès qu’à l’âge de 30 ans ce qui est tard pour une pop-star à la musique immédiatement consommable). Il est dans une sorte de décalage générationnel : né en 1951, il a tout juste l’âge d’être soixante-huitard (Renaud, né en 1952, écrit ses premières chansons dans la Sorbonne occupée). Mais par rapport à son frère, il est déjà dans l’après 68, dont il vit la désillusion tragiquement et comme dans un saut de génération accéléré. En gros, Renaud serait le plus jeune des soixante-huitards, et Goldman le plus vieux des post-soixante-huitard. Goldman est donc en phase avec la génération du militantisme humanitaire ou de SOS racisme, etc. Génération qui s’identifie à ses chansons, et auprès de laquelle il rencontre le succès. Dernier détail : avec de très bonnes chansons.

Vous trouverez de très nombreux documents sur Jean-Jacques et Pierre Goldman sur le site de son fan Jean-Michel Fontaine, ici.  Notamment des citations qu’il m’a communiquées (merci) et qui m’ont amenées à réviser mon opinion sur Ton autre chemin, une chanson que je pensais écrite par Jean-Jacques en hommage à Pierre. Extrait :

Et puis, tu as commencé à être absent
Souvent, puis plus longtemps
Ta mère nous disait que tu partais en vacances
Elle ne mentait pas quand j’y repense
En vacance de vie, en vacance d’envie
Et puis la vérité, celle qu’on suppose
Celle qu’on cache, celle qu’on chuchote
Celle qui dérange, celle qu’on élude
Ton autre chemin
Ton autre chemin

En fait, la chanson est inspiré par ami comme il s’en explique :

Chacun peut la prendre à sa façon. Il y en a certains qui ont pensé que c’était pour des toxicomanes, des choses comme ça. Là, en ce qui me concerne, c’était vraiment une rencontre avec un ami d’enfance qui, visiblement, était sur une autre planète sur le plan psychiatrique et, donc, c’était ça qui m’avait inspiré cette chanson. (Radio Maguelonne, 26 avril 1998, Géraldine Gauthier)

1 – Gypsies rock’n roll band
2 – Isaac Gorni, le troubadour juif
3 – Jacques Offenbach
4 – Norbert Glanzberg
5 – Mireille
6 – La complainte des nazis
7 – Le neveu du capitaine Dreyfus
8 – Chanson d’Exil
9 – Des moyens légaux
9bis – Serre les poings
10 – Yellow star
11 – Juif espagnol
12 – Juif errant et pâtre grec
13 – Les juifs de Stéphane Golmann
14 – Les comedian harmonists

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L’art majeur du massacre

La chanson, art majeur ou art mineur V. Les nanards de la chanson, 5/11
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La chanson, c’est un art mineur d’accord. Donc, logiquement, massacrer une chanson devrait être un art majeur alors, puisqu’il fait diminuer la quantité d’art mineur, ce qui est le but des arts majeurs, non ? Plus grand massacre de tous les temps : La boite de jazz de Michel Jonasz, en mode shreds, par des artistes hélas restés anonymes. Je le regarde souvent, grosses économies sur la drogue, ça vaut bien trois doses de LSD.

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La chanson qui évoque l’enfance

La dizaine des blogueurs 1/6
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Le jardin aux chansons qui bifurquent participe à partir d’aujourd’hui à l’opération La dizaine de bloggers. Plusieurs blogs de chansons ou de musiques publient en même temps sur le même sujet ! N’hésitez pas à proposer vos chansons au fur et à mesure du dévoilement des différents thèmes.

Liste des blogs participant, allez-y voir !
Aux Sons Islandais (Spydermonkey)
Life Sensations In Music (Pascal)
Gaitapis (Devant)
Les Jolies Compiles de Keith Michards (Keith)
Jardins Aux Chansons (Pas de lien, vous êtes dessus !)
Blinking Lights (Xavier)
JeePeeDee (JP)
Charlu (Charlu)
Absolutely Cool (Audrey)
Fracas64 (Fracas)
Ma Petite Boîte A Musiques (Chris)
Approximative But Fair (Olivier)
Muziks et Cultures (Francky)
La Reprise Musicale (Juthova)
Dancing On Architecture (Guic)
La Critique Selon Moi (Papasfritas69)

Et les organisateurs :
La Pop D’Alexandre et Etienne (Alexandre et Etienne)
Last Stop ? This Blog ! (Elnorton)

Aujourd’hui, la chanson qui évoque l’enfance. Les vacances au bord de la mer, de Michel Jonasz, que je devrais passer plus souvent dans ce fichu blog …

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