Comment inventer le mouton français ?

Bouchers, boucherie et chanson, 2/16

Aujourd’hui, Les quatre barbus nous chantent Il pleut bergère.

Mais quel rapport avec les chansons de boucherie ? C’est peut-être un tiré par les cheveux, mais c’est au moins une chanson d’élevage. Je n’invente rien, lisez ce que disait l’historien Pierre Serna disait d’Il pleut bergère, au micro de Jean-Noël Jeanneney, sur France Culture, le 5 octobre 2019. J’en profite pour recommander l’émission Concordance des temps, et notamment son excellente programmation de chansons.

Pierre Serna : L’animal, c’est une grosse affaire d’argent. On le voit dans l’histoire de l’industrie agroalimentaire. On le voit au travers l’histoire des abattoirs de Chicago. On le voit au travers des startups californiennes qui investissent tous sur les aliments de substitution pour le véganisme qui monte. À l’époque, c’est déjà une immense affaire économique, les animaux.

Jean-Noël Jeanneney : C’est ça qu’il y a dans cette chanson ?

P.S. : Bien sûr. Parce que le mouton est en fait un objet économique essentiel. Pourquoi ? Parce tout simplement, la France perd des dizaines de millions de livres chaque année pour acheter la laine à l’Angleterre et à l’Espagne. Le mérinos espagnol, le shetland anglais écrasent le mouton français. Et pour les agronomes, vous savez que la grande bataille des années 1780, date d’écriture de cette chanson, c’est « quel choix veut-on pour l’agriculture française ? ». Une agriculture céréalière ou une agriculture de prairies artificielles qui développerait l’élevage, domaine dans lequel la France est très en retard.

Donc derrière cette petite comptine, « Il pleut Bergère, rentrez vos blancs moutons », il y un enjeu essentiel. Un enjeu tellement essentiel que pour remercier le roi de France en 1783, Charles III, son cousin d’Espagne, lui offre un petit troupeau que la reine Marie-Antoinette va chérir, dont elle va s’occuper dans sa fameuse bergerie. Et l’école vétérinaire de Maison-Alfort, qui existe encore, qui est créée en 1766 mais qui va s’intéresser de plus en plus à l’économie politique, donc au rôle des animaux dans la prospérité française, va en fait se poser la question de comment inventer le mouton français. Et ça va être un des enjeux de la grande commission d’agriculture qui fait partie des grands comités de gouvernement à partir de 1792, lorsque la convention est créée. […]

Et comment va-t-on inventer le mouton français ? Et bien, on va le placer en haut de l’histoire diplomatique. Lors du traité de Bâle en 1795, qui met fin à la guerre entre la France et l’Espagne, […], un des codicilles secrets du traité, implique que le roi d’Espagne doit donner à la République française un troupeau de 1000 brebis et moutons reproducteurs. Vous savez que celui qui fait passer un mouton par la frontière des Pyrénées est passible de la peine de mort en Espagne. C’est un trésor national le mouton.

Waouh. Bon, encore une petite, Il pleut bergère de Nino Ferrer.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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La chanson antisémite

Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 12/19

On aborde dans ce billet la chanson antisémite. Je n’ai aucune envie de faire de la publicité à des chansons ordurières, alors je vais me limiter des chansons qui propagent des poncifs antisémites afin de les critiquer ou de les ridiculiser. Il y en a quelques exemples déjà passés dans le blog, comme la chanson de Julien Dragoul, le chanteur collabo imaginé par les Inconnus (voir ici), ou au cinéma, la séquence du pilori télévisuel imaginée par Jean Yanne (voir ici). Je vous propose aujourd’hui Les juifs de Philippe Clay.

Sacha Baron-Cohen a inventé le journaliste kazakh antisémite Borat Sagdiyev, qui s’est aussi essayé à la chanson (antisémite bien sûr). Dans sa technique originale et provocante de cinéma vérité, Baron-Cohen fait chanter le public avec lui. Throw the jew down the well.

Évidemment, l’antisémitisme est une notion fluctuante au cours de l’histoire. Vous pouvez écouter l’épisode de l’émission Concordance des temps de Jean-Noël Jeanneney consacrée à Aristide Briand, le 14 décembre 2019. Il y a un document intéressant, Je suis sûr qu’ils reviendront, une chanson d’Henri Dreyfus, un chansonnier Montmartrois d’origine juive plus connu sous le pseudonyme d’Henri Fursy au début du XXe siècle. Cette chanson d’actualité évoque l’expulsion des congrégations en 1905 suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État, et établit un curieux parallèle avec les expulsions de juifs qui ont émaillé l’histoire de France. Je pense qu’on qualifierait volontiers d’antisémite une telle chanson aujourd’hui. Introuvable sur le web, c’est vers 18 minutes sur le site de l’émission.

Allez, quand-même une authentique chanson antisémite. Je parie que beaucoup de lecteurs du blog la connaissent, mais que bien peu savent qu’elle contient un couplet antisémite dans la manière des années 1930. Il s’agit du Lycée papillon de Georgius (qui fut d’ailleurs condamné pour collaboration après la guerre, voir sa fiche wikipedia ici). Voici le texte du couplet en question.

Élève Isaac ? … Présent
En arithmétique’ vous êt’s admirable,
Dites-moi ce qu’est la règle de trois
D’ailleurs votre pèr’ fut-il pas comptable
Des films Hollywood … donc répondez-moi.
Monsieur l’Inspecteur,
Je sais tout ça par cœur.
La règle de trois ? … C’est trois hommes d’affaires
Deux grands producteurs de films et puis c’est
Un troisièm’ qui est le commanditaire
Il fournit l’argent et l’revoit jamais.
Isaac, mon p’tit
Vous aurez neuf et d’mi ! …

Le couplet est supprimé des versions modernes. Au lycée Papillon, avec Les compagnons de la chanson.

Mais on le trouve dans des versions d’avant guerre, comme celle de Monty et Jacky, vers 1:44, sur la vidéo.

On trouve des allusions antisémites dans d’autres chansons de Georgius, comme par exemple On l’appelait fleur des fortif’s, parodie de chanson réaliste. Pour les jeunes : les « fortifs », ce sont les « fortifications », un ensemble de bâtiments construits autour de Paris pour sa défense. Ils ont été détruits au XIXe siècle, laissant place à un ensemble de terrains vagues appelé la « zone », d’où les expressions zoner, zonard, etc. Ces terrains libres autour de Paris ont permis la construction du boulevard périphérique. Écoutez bien.

Voici ce qu’en disait François Bellair, fils de Marie Dubas, grande amie de Georgius, au micro de Benoît Duteurtre le 6 novembre 2021 après la diffusion de la chanson :

Benoît Duteurtre : Je notais aussi dans la chanson, il y a une petite vanne sur les juifs de Georgius. Et puis il a écrit aussi la fameuse Noce à Rébecca qui aujourd’hui passe pour une chanson un peu antisémite. Alors votre mère [la chanteuse Marie Dubas] qui était juive, qu’est-ce qu’elle en pensait ?

François Bellair : Ma mère avait le sens de l’humour, et je crois que si il y a une chose qui caractérise les juifs en général, c’est d’avoir effectivement vraiment le sens de l’humour. Et je crois que les premiers à en rire, c’était justement les juifs. Les juifs s’amusaient, dans les noces juives, on chantait La noces à Rébecca.

1 – Le chandelier
2 – Le mot « juif » dans des listes
3 – La chanson anticléricale œcuménique
3bis – Souchon et Ferré
4 – Le juif non-dit
5 – Les juifs chez Gainsbourg
6 – Un juif célèbre
7 – L’Aziza
8 – La chanson pro-israélienne
9 – Le conflit israélo-palestinien
10 – Image des juifs dans le rap
11 – L’anti-antisémitisme de Pierre Perret
12 – La chanson antisémite
13 – On peut rire de tout, mais pas en mangeant du couscous
14 – Les mères juives
15 – Betty Boop
16 – Noirs et juifs aux USA
17 – Nica
18 – Noirs et juifs en chanson chez Jean-Paul Sartre
19 – Azoy
19bis – Retour sur quelques commentaires

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