Un petit rappel historique : autrefois, Paris était découpé en centraux téléphoniques qui portaient des noms de quartier, comme Molitor, Jussieu ou Ménilmontant. Les trois premières lettres du nom du central donnaient les trois premiers chiffres du numéro, selon la convention encore en vigueur aujourd’hui sur les téléphones portables pour écrire des SMS. Je me souviens même qu’enfant, dans le 10e arrondissement, plusieurs numéros de voisins commençaient par 607, correspondant à NOR, le quartier de la gare du Nord. Les vieilles personnes pouvaient encore donner un numéro comme ça : « Nord 57 60 ».
On écoute dont aujourd’hui Allô Brigitte, Babylone 21 29, par Jean Yanne et Henri Salvador.
En image.
Par Claude Véga, pionnier de l’imitation.
Et en bonus, Un gars, une fille au téléphone.
Sinon, vous venez de lire le 1533e billet du Jardin aux chansons qui bifurquent. Le compte n’est pas très rond, mais cela fait aujourd’hui six ans que ce blog existe. Bon anniversaire petit jardin.
Parfois, le « monstre » est poussé à ses dernières extrémités. Dans Camille, de Jean Yanne, on parle d’un fœtus dans un bocal de formol, désolé pour le divulgachis. Mais pourquoi il chante ça ?
Ça y est, voilà le dernier billet de la série consacrée à Bach. Je voulais conclure, mu par un besoin obscur de comprendre les usages de Bach dans la culture populaire. Ils sont à la fois vastes et dispersés, si bien qu’il est difficile de s’y retrouver : preuve supplémentaire du génie polymorphe de Bach, de sa créativité et de sa perfection prodigieuse. Bach est un géant … le seul compositeur à avoir son émission hebdomadaire sur France Musique, Le Bach du dimanche, tous les dimanches à 7h, rien que son répertoire, planté pour une durée indéterminée dans la fixité de la grille des programmes, comme s’il était inépuisable.
J’ai été surpris de tout ce que j’ai trouvé en creusant dans différentes directions. L’air Jesus que ma joie demeure inspire un attelage bigarré : Les compagnons de la chanson, Frida Boccara, Dave ou les Beach Boys, et il traîne par-ci par-là, dans un sketch des Inconnus, un autre de Jean Yanne, et même un épisode de Columbo que j’ai regardé par hasard la semaine dernière (impossible de trouver une vidéo). Comme le biologiste qui trouve cinquante nouvelles formes de vie dans la goutte d’eau d’un étang, et puis en croise encore une ou deux autres par hasard sur le chemin du retour, je soupçonne qu’il suffirait de creuser pour trouver encore et encore.
En chanson, on entend quelques mélodies de Bach et parfois son nom. Au-delà de la chanson, on le retrouve dans la pop, le jazz, le rock progressif et le heavy metal. On le trouve, ou peut-être croit-on le trouver partout, des Tontons flingueurs jusque dans des théorèmes de logiciens autrichiens ou dans les pages blanches des carnets secrets de la chanteuse Camille.
Mais voilà, je ressens un curieux malaise : j’adore la chanson, le rock ou le jazz, ainsi que Bach. Mais presque toutes les chansons de la série sont moyennes ou médiocres à mon goût. On essaye de plaquer des paroles de variétés sur une musique de Bach, vraie ou fausse, mais le plus souvent, on voit un peu la couture entre les deux. On essaye de faire swinguer Bach, mais on en retient plus la présence de Bach qu’on en ressent le charme du swing. Bref, la musique de ces dernières décennies a plutôt besoin de Bach que de sa musique, et son usage me semble moins une inspiration qu’une proclamation.
Une digression comme point de comparaison : les usages en variété des musiques de Bach font pâle figure à côté de la fusion parfaite entre la musique romantique et la chanson de variété opérée par Gainsbourg, qui a su mettre sur ce coup des arrangeurs talentueux comme Alain Goraguer. On en reparlera bientôt. D’ailleurs, la seule chanson vraiment réussie de la série sur une musique de Bach, je trouve que c’est Sur un prélude de Bach, et justement on trouve aux commandes Jean-Claude Vannier, arrangeur de variété, un temps compagnon de Gainsbourg, et puis qui a beaucoup réfléchi à tout ce qu’il faisait. On a vu que sa chanson n’est pas exempte de contre-sens, comme s’il fallait un peu mentir pour bien faire fusionner Bach et chanson. On reparlera de Jean-Claude Vannier plus tard…
Alors pourquoi citer Bach à tort et à travers ? Pourquoi veut-on Bach, pourquoi a-t-on besoin de Bach ? Je risque une hypothèse : Bach, c’est l’Occident, ou l’Europe. Le seul compositeur dont le mythe puisse lui être comparé est bien sûr Mozart. Mais dans nos représentations, je dirais que Mozart est plutôt perçu comme universel, une sorte de don fait à l’humanité toute entière, l’intercesseur d’une musique divine ou naturelle. Tandis que la musique de Bach est le fruit du travail acharné d’un homme seul, une combinaison originale de science et de religion, un peu comme notre civilisation. Il nous plait à tous que Bach soit du jazz, ou que le jazz soit du Bach, chacun selon sa pente.
Pour finir, le générique de Répliques, l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture : Les variations Goldgerg. Le générique proprement dit commence vers 3:00, au moment ou s’épanouit un contrepoint énergique à deux voix qui symbolise le dialogue contradictoire, thème de l’émission. Par Glenn Gould, une musique de Jean-Sébastien Bach bien sûr.
On continue avec Jésus que ma joie demeure. C’est le morceau de Bach qu’on entend dans le sketch Les routiers mélomanes de Paul Mercey et Jean Yanne, vers 2:50. Bah oui, c’est du Bach, c’est pas du Verchuren !
J’observe que le titre Jésus que ma joie demeure n’est pas une traduction très fidèle du titre allemand Jesus bleibet meine Freude, qui veut plutôt dire « Jésus restera toujours ma joie ». On va le voir dans la suite de cette série, Bach se prête à toutes sortes de glissements de sens plus ou moins heureux… Pour conclure ce billet, la version des Swingle singers, qui ont adapté en style vocalese de nombreuses compositions de Bach.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 12/19
On aborde dans ce billet la chanson antisémite. Je n’ai aucune envie de faire de la publicité à des chansons ordurières, alors je vais me limiter des chansons qui propagent des poncifs antisémites afin de les critiquer ou de les ridiculiser. Il y en a quelques exemples déjà passés dans le blog, comme la chanson de Julien Dragoul, le chanteur collabo imaginé par les Inconnus (voir ici), ou au cinéma, la séquence du pilori télévisuel imaginée par Jean Yanne (voir ici). Je vous propose aujourd’hui Les juifs de Philippe Clay.
Sacha Baron-Cohen a inventé le journaliste kazakh antisémite Borat Sagdiyev, qui s’est aussi essayé à la chanson (antisémite bien sûr). Dans sa technique originale et provocante de cinéma vérité, Baron-Cohen fait chanter le public avec lui. Throw the jew down the well.
Évidemment, l’antisémitisme est une notion fluctuante au cours de l’histoire. Vous pouvez écouter l’épisode de l’émission Concordance des temps de Jean-Noël Jeanneney consacrée à Aristide Briand, le 14 décembre 2019. Il y a un document intéressant, Je suis sûr qu’ils reviendront, une chanson d’Henri Dreyfus, un chansonnier Montmartrois d’origine juive plus connu sous le pseudonyme d’Henri Fursy au début du XXe siècle. Cette chanson d’actualité évoque l’expulsion des congrégations en 1905 suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État, et établit un curieux parallèle avec les expulsions de juifs qui ont émaillé l’histoire de France. Je pense qu’on qualifierait volontiers d’antisémite une telle chanson aujourd’hui. Introuvable sur le web, c’est vers 18 minutes sur le site de l’émission.
Allez, quand-même une authentique chanson antisémite. Je parie que beaucoup de lecteurs du blog la connaissent, mais que bien peu savent qu’elle contient un couplet antisémite dans la manière des années 1930. Il s’agit du Lycée papillon de Georgius (qui fut d’ailleurs condamné pour collaboration après la guerre, voir sa fiche wikipedia ici). Voici le texte du couplet en question.
Élève Isaac ? … Présent En arithmétique’ vous êt’s admirable, Dites-moi ce qu’est la règle de trois D’ailleurs votre pèr’ fut-il pas comptable Des films Hollywood … donc répondez-moi. Monsieur l’Inspecteur, Je sais tout ça par cœur. La règle de trois ? … C’est trois hommes d’affaires Deux grands producteurs de films et puis c’est Un troisièm’ qui est le commanditaire Il fournit l’argent et l’revoit jamais. Isaac, mon p’tit Vous aurez neuf et d’mi ! …
Le couplet est supprimé des versions modernes. Au lycée Papillon, avec Les compagnons de la chanson.
Mais on le trouve dans des versions d’avant guerre, comme celle de Monty et Jacky, vers 1:44, sur la vidéo.
On trouve des allusions antisémites dans d’autres chansons de Georgius, comme par exemple On l’appelait fleur des fortif’s, parodie de chanson réaliste. Pour les jeunes : les « fortifs », ce sont les « fortifications », un ensemble de bâtiments construits autour de Paris pour sa défense. Ils ont été détruits au XIXe siècle, laissant place à un ensemble de terrains vagues appelé la « zone », d’où les expressions zoner, zonard, etc. Ces terrains libres autour de Paris ont permis la construction du boulevard périphérique. Écoutez bien.
Voici ce qu’en disait François Bellair, fils de Marie Dubas, grande amie de Georgius, au micro de Benoît Duteurtre le 6 novembre 2021 après la diffusion de la chanson :
Benoît Duteurtre : Je notais aussi dans la chanson, il y a une petite vanne sur les juifs de Georgius. Et puis il a écrit aussi la fameuse Noce à Rébecca qui aujourd’hui passe pour une chanson un peu antisémite. Alors votre mère [la chanteuse Marie Dubas] qui était juive, qu’est-ce qu’elle en pensait ?
François Bellair : Ma mère avait le sens de l’humour, et je crois que si il y a une chose qui caractérise les juifs en général, c’est d’avoir effectivement vraiment le sens de l’humour. Et je crois que les premiers à en rire, c’était justement les juifs. Les juifs s’amusaient, dans les noces juives, on chantait La noces à Rébecca.
La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 9/18 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18
Quelqu’un a eu la bonne idée de faire chanter l’Ave Maria de Schubert à Johnny. Regardez bien les vitraux, encore une bonne idée (pour restaurer Notre-Dame). Ce qui m’épate le plus, c’est la ligne de basse de Stand by me en intro. Ça me rappelle le jour où j’ai mis de la glace à la fraise dans mon kebab.
Jean Yanne s’y est aussi essayé, Avec Maria.
Aller, pour se rincer un peu les oreilles après toutes ces horreurs, écoutons Maria Callas.
Passé l’effet de sidération de Je t’aime moi non plus, comment encore écrire des chansons sexuellement explicites ? Les tentatives un peu ratées de Jean Yanne, Herbert Léonard ou Jean Ferrat montrent que malgré l’absence de censure (ou peut-être à cause de son absence ?) ça n’a rien d’évident. Gainsbourg aurait tué le job. Lui-même a connu un coup de mou après Je t’aime moi non plus, voir les billets précédents.
Bashung est peut-être celui qui a su renouveler le genre avec le plus de bonheur. Je vous passe trois de ses chansons plus ou moins explicites. Comme les paroles sont assez obscures (voir ici), on peut imaginer bien des choses… je vous épargne les explications de texte.
Ma petite entreprise.
Madame rêve.
Malédiction, c’est ma préférée.
Vous avez remarqué ? Les trois titres commencent par « ma ». Parlez-en à votre psychanalyste.
Je sens de la déception. J’avais promis de l’explicite, et je passe Patachou et les Frères Jacques. C’est naze le Jardin, les abonnés crient « remboursez ». Ou même « à poil ». Je voudrais bien, mais l’abonnement est gratuit et ma webcam en panne… Je me rattrape aujourd’hui. Voilà du lourd, de l’explicite. Coït de Jean Yanne, basse et vaine tentative d’égaler le grand Gainsbourg (qu’on garde pour plus tard dans la série). Chanson écrite pour le film Chobizenesse.
Dans le même film, il y a un pastiche des Swingle Singers, avec Anne Germain à la voix lead. Rien à voir avec le sexe (enfin, je ne crois pas… méfiance).
Avec Michel Magne (et accessoirement Jean Yanne) 5/7 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7
Aujourd’hui, la chanson de Jésus, Alleluia, pour le film Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Belles paroles de Jean Yanne et gentille musique de Michel Magne.
Le générique de fin, avec la chanson titre.
Bon, je viens de relire les quatre Évangiles, Jésus n’a jamais dit que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Je vais de ce pas boire un demi biafrai pour y réfléchir. Encore quelques extraits de ce film d’époque.
Avec Michel Magne (et accessoirement Jean Yanne) 4/7 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7
Toujours pour un film de Jean Yanne, Moi y’en a vouloir des sous, Michel Magne compose la musique de Pétrole pop. Voix érotique et gamme orientalisante, je vous laisse déguster cette plaisante bizarrerie.