On fait un pas de côté aujourd’hui : on quitte le débat franco-anglais pour les charmes du português do Brasil, à propos de l’adaptation de Aguas de Março, un standard de la bossa nova de Antônio Carlos Jobim. Louis-Jean Calvet, au micro de l’émission Une vie une œuvre, consacrée à Georges Moustaki, le 22 décembre 2018 :
Il [Moustaki] avait déjà traduit quelques chansons du brésilien, et Jobim voulait absolument qu’il traduise une chanson. Ils se sont rencontrés à New York et pas Rio. Et Jobim lui demande, mais pourquoi tu ne fais pas une traduction des Eaux de mars ? Et Jo lui dis je veux bien, mais je n’y comprends rien. Il ne comprenait pas le texte. Il dit, on me l’a traite même, je ne comprends pas de quoi tu parles.
Et Jobim a commencé à lui dire, mais tu sais, en mars c’est l’automne au Brésil. J’ai une maison à la campagne, je me balade. Et Jo a commencé à voir l’atmosphère de cette chanson, les pluies, les eaux. Et surtout, il a capté quelque chose qui est très brésilien, une façon de faire des phrases en ajoutant sans arrêt des participe présent. Par exemple, le parleur parlant. Le chanteur chantant.
A chiuva chiuvando = la pluie pleuvant.
Et il y en a plein dans le texte de Jobim. Et dans le texte de Moustaki, c’est devenu un chemin qui chemine, c’est un conte un bon conte, des choses comme ça. Qui ne sont pas des participes présent comme en portugais, et qui stylistiquement reprennent la stylistique de Jobim.
Donc, ce qui est marrant, c’est que c’est une traduction de poète, pas de traducteur. Et les brésiliens vous disent, seul Moustaki a su mettre en français notre musique.
Par Georges Moustaki.
Version de Vanessa Paradis.
Version de Pauline Croze.
Version de Stacey Kent.
Et puis l’original, par Elis Regina et Jobim, Aguas de Março.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 14/19
Le mythe de la mère juive a trouvé quelques échos dans la chanson française. Les mères juives par Georges Moustaki.
Si le sujet n’est pas plus évoqué en chanson, c’est sans doute parce qu’il a été épuisé par le grand standard de la chanson yiddish, Yiddish mame (déjà passée dans la série sur la chanson yiddish). Je vous propose la version de Régine.
Il y a une version française intéressante (meilleure que celle d’Aznavour en tout cas), par Renée Lebas.
Le sujet inspire aussi les comiques, comme Florence Foresti.
Mais la meilleure, c’est bien sûr Marthe Villalonga (qui aimait à dire : « Je ne suis ni mère, ni juive »… elle était actrice en tout cas). Avec Guy Bedos dans le rôle du fils chéri.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 2/19
Quand le mot « juif » apparaît dans une chanson, c’est rarement pour désigner un personnage particulier, ou pour souligner une qualité prêtée aux juifs. On va le voir dans ce billet, le « juif » dans la chanson est souvent abstrait, insipide, à l’antipode du « gitan », personnage récurrent à la personnalité forte et affublé de nombreuses qualités (voir ici). Il y a peu d’exceptions, retournez voir le billet consacré à Georges Moustaki pour en trouver une (ici).
« Juif » apparaît donc souvent dans des chansons énumératives, avec d’autres peuples, ou simplement adossé au nom d’une autre ethnie, comme pour se mettre à distance d’un antagonisme ou pour dissiper toute suspicion de racisme. Dans ce contexte, « juif » et « arabe » sont souvent cités ensemble, l’un justifiant l’autre et inversement, ou l’excusant. Les exemples sont assez nombreux et chacun peut interpréter le phénomène selon sa paranoïa propre, je vous laisse à vos méditations.
Plus belle chanson de la collection, Claude Nougaro, Sonnet à Mouloudji. Vous noterez que techniquement, il ne s’agit pas d’un sonnet, puisque l’avant-dernière strophe contient quatre vers, et que dans la dernière un vers ne rime avec aucun autre, sans que cela ne produise aucune gêne à l’écoute, c’est le génie créatif de Nougaro.
On me prend pour vous On vous prend pour moi Ressemblance féconde Du Juif et de l’Arabe
Kabyle de la Butte Sarrazin de Toulouse Ainsi se répercutent Dans du noir et du rouge
Je serais anarchiste Comme vous, cher frangin, S’il n’y avait là, qui geint Dans ma vierge âme bistre
Un ange, qu’on ne peut nier Et qui tient à nous mettre Dans le même panier
Chanson la plus surprenante dans notre étude, magnifique exemple de chanson énumérative : Le zizi de Pierre Perret, seul tube que j’ai trouvé pour cette série (et en sens seul véritable « tube » de toute la chanson française).
Celui d’un marin breton Qui avait perdu ses pompons Et celui d’un juif cossu Qui mesurait le tissu Celui d’un infirmier d’ambulance Qui clignotait dans les cas d’urgence
Le mot « juif » apparaît parfois dans des listes de victimes du racisme, comme dans Monsieur Machin de Nino Ferrer.
Vous n’aimez pas les nègres Vous n’aimez pas les juifs Vous aimez les gueuletons Dimanche après la messe Monsieur Machin, vous êtes mort en naissant
Ou encore, Cannabis, toujours de Nino Ferrer.
La crasse et le vide La gueule et l’angoisse La guerre aux métèques Nègres, Juifs ou chiens Ça n’fait rien
Pour dénoncer la télé-poubelle, Louis Chedid va même jusqu’à mettre dans le même sac racistes et victimes du racisme, dans Reality-Show.
Je m’adresse à tous les charognards Qui tirent sur la corde sensible Les chasseurs de sensationnel Vautours de la télé-poubelle Qui mélangent dans le même shaker Juifs, skins, nazis, beurs
Plus positivement, les juifs sont souvent cités dans des chansons célébrant l’unité du genre humain. Par exemple dans Mélangez-vous Pierre Perret.
Femme pleine de grâce Quand l’étranger à l’entour de ta maison passe Noir, Blanc, Juif ou Berbère Laisse ton cœur désigner celui qu’il préfère
Ou encore dans J’ai embrassé un flic de Renaud.
Nous étions des millions Entre République et Nation Protestants et catholiques Musulmans, juifs et laïcs Sous le regard bienveillant De quelques milliers de flics
Ou encore dans Oye Sapapaya de Doc Gyneco
Je suis nègre, juif et communiste Allez leur dire aux lepénistes
Dans la géographie imaginaire de Jacques Brel (voir ici), il y a une petite place pour les juifs et les noirs. « Ni le courage d’être juif, ni l’élégance d’être nègre » dit-il dans Voir un ami pleurer. J’observe que le judaïsme est très discret dans l’œuvre de Brel, mais s’il respecte la règle non-écrite consistant à toujours évoquer « juif » avec un autre peuple, il est aussi le seul de tout ce billet qui n’est pas dans une neutralité complète, puisque fidèle à son habitude de prêter une personnalité à tel ou tel peuple, il associe « juif » à une qualité.
Hubert-Félix Thiéfaine utilise aussi le mot juif dans une chanson énumérative. Le titre de la chanson est peut-être une provocation (Je suis partout était un journal antisémite sous l’occupation)… mais peut-être pas, à partir d’une certaine dose de THC dans le sang, c’est difficile de savoir. La chanson aurait eu sa place dans la série sur la Shoah si je l’avais trouvée à temps. Je suis partout.
je suis partout dans le héros, dans le vainqueur le médaillé qui fait son beurre dans la fille tondue qu’on trimbale à poil devant les cannibales dans le train Paris-gare d’Auschwitz entre les corps des amants juifs dans ces millions d’enfants gazés qu’on voudrait me faire oublier je suis partout partout partouze tendresse en s.o.s. eros über alles
Pour conclure ce billet, Philippe Katerine, dont je réalise petit à petit en travaillant à mon blog que toute l’œuvre est une sorte d’analyse critique de la chanson, pousse le dispositif jusqu’à l’absurde dans Juifs Arabes.
Les Juifs et la chanson II – La chanson et le problème de l’éléphant 12/14
Le tableau que j’ai dressé du judaïsme français en trois strates est assez simpliste. Où ranger l’écrivain Albert Cohen par exemple ? Il est issu de communautés romaniotes, les descendants de juifs hellénisés pendant l’antiquité dont il dresse un portrait truculent dans ses romans. Il n’est donc ni séfarade ni ashkénaze, comme les juifs du proche orient, d’Asie ou d’Afrique.
Georges Moustaki est aussi un descendant de juifs romaniotes. À propos de sa chanson Le métèque, dans le magazine Je chante :
Lorsqu’on écrit, on ne maîtrise pas toujours tout ce que l’on va dire. Je suis parti de « ma gueule de métèque » et, pour alimenter le propos, je voulais parler de ce que je suis, c’est-à-dire un juif et un Grec. Et dans la chose écrite, on soigne l’expression. C’est là où je dis qu’il y avait de l’humour et de la dérision, parce que « juif errant » et « pâtre grec » sont des clichés qui mettent un peu une sourdine aux mots juif et grec, qui les adoucissent.
[…]
Je me souviens que les radios ne voulaient pas passer de chansons qui contenaient le mot « juif ».
Plus d’information sur l’histoire de cette chanson, sur le site de Je chante : ici.
C’est la série d’été du Jardin aux Chansons. Je vous rappelle qu’on cherche ce qui se cache derrière 62 chansons… Aujourd’hui, Georges Moustaki nous chante De Shangai à Bangkok.
La chanson qui m’a donné l’idée de cette énigme, Sans la nommer de Georges Moustaki, déjà passée dans les séries sur Mai 68 (ici, mais attention si vous allez voir, il y a un spoil). Je vous propose une version par Cali.
Les militants trotskistes ont joué un rôle important dans les événements de Mai 68. Leurs nombreuses organisations politiques, partis, et mouvements de masse pratiquent un répertoire abondant de chansons, datant plutôt de la révolution russe ou plus généralement liées au mouvement ouvrier. Pour rester dans le typiquement soixante-huitard, je vous propose Sans la nommer de Georges Moustaki, qui rend hommage à un concept inventé par Trotsky : la révolution permanente (voir ici).
Sinon, vous avez surement remarqué, Sans la nommer fait partie de ces chansons à suspens, où c’est tout à la fin de la chanson qu’on comprend de quoi ça parle. Le Jardin va consacrer une série à ce type chansons un de ces jours, fournissez-moi des idées…
Après Chet Baker, proposé par Sylviane Fessieux, à mon tour de vous présenter mon chanteur qui chante faux préféré. C’est Georges Moustaki. Par exemple dans La philosophie.
Selon certaines hypothèses, le chant un peu bizarre de Moustaki vient de ce qu’il a grandi au contact de systèmes musicaux différents du nôtre (arabes, turcs, grecs,…), faisant usage de quart de ton ou de modes inhabituels dans la musique occidentale. Quoi qu’il en soit, Moustaki dit lui-même qu’il chante faux dans une chanson ! C’est assez rare pour être signalé. À la fin du premier couplet, dans Rock’n’roll raté : « Mais j’ai pas d’voix et je chante un peu faux ». Du moment qu’il philosophe juste…
Encore une longue série d’été du Jardin aux Chansons qui Bifurquent, dernière et plus basse tentative pour faire monter l’audience. Vous vous rappelez la série sur l’usage du mot « société » en chanson (ici), un truc typique de la chanson du début des années 1970 ? On en explore une autre caractéristique, une sorte de débat souterrain qui traverse un nombre surprenant de chansons de l’époque : l’âge qui convient aux rapports sexuels, en particulier aux premiers.
On commence en douceur, avec Le Métèque, de Georges Moustaki. On n’est plus à l’époque de Ronsard, il faut donner des chiffres, ici 20 ans.
Tiens, et puis puisque j’ai parlé de Ronsard, lisez plutôt :
Mignonne, allons voir si la rose
À Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.