Rousseau

La CFPQ (chanson française pas de qualité) 6/9

Aujourd’hui, on pousse un peu plus loin l’enquête sur la chanson « pas de qualité ». Je note que le procès en légitimité artistique de tel ou tel ne semble pas aussi intense pour d’autres arts que pour la chanson, dont la légitimité comme art en toute généralité est même parfois questionnée. On a déjà vu dans ce blog que la question de la chanson art majeur ou mineur remonte en fait très loin : on trouve des textes qui posent assez clairement le débat à partir du XVIIe siècle, voir le billet qu’on a consacré à Molière (ici), et plus généralement la série Archéologie d’une question qui rassemblait des textes de Rousseau, Lamartine, Proust, Gide, etc (ici).

On va explorer à partir d’aujourd’hui une dimension plus intime ou psychologique de la question. Pour commencer, la chanson qui nous remue les tripes indépendamment de sa valeur artistique formelle, la chansonnette qu’on adore tout en reconnaissant sa nullité par exemple. S’agit-il d’un simple effet de la nostalgie ? Ou faut-il y voir la signature d’un art obscène, d’une espèce de pornographie du sentiment ? Le plus ancien témoignage que j’ai pu trouver à ce propos se lit au premier chapitre des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, à propos de sa tante :

Je suis persuadé que je lui dois le goût ou plutôt la passion pour la musique, qui ne s’est bien développée en moi que longtemps après. Elle savait une quantité prodigieuse d’airs et de chansons avec un filet de voix fort douce. La sérénité d’âme de cette excellente fille éloignait d’elle et de tout ce qui l’environnait la rêverie et la tristesse. L’attrait que son chant avait pour moi fut tel que non seulement plusieurs de ses chansons me sont toujours restées dans la mémoire, mais qu’il m’en revient même, aujourd’hui que je l’ai perdue, qui, totalement oubliées depuis mon enfance, se retracent à mesure que je vieillis, avec un charme que je ne puis exprimer. Dirait-on que moi, vieux radoteur, rongé de soucis et de peines, je me surprends quelquefois à pleurer comme un enfant en marmottant ces petits airs d’une voix déjà cassée et tremblante ? Il y en a un surtout qui m’est bien revenu tout entier quant à l’air ; mais la seconde moitié des paroles s’est constamment refusée à tous mes efforts pour me la rappeler, quoiqu’il m’en revienne confusément les rimes. Voici le commencement et ce que j’ai pu me rappeler du reste :

Tircis, je n’ose
Écouter ton chalumeau
Sous l’ormeau ;
Car on en cause
Déjà dans notre hameau

………………
……………… un berger
……………… s’engager
……………… sans danger

Et toujours l’épine est sous la rose.

Je cherche où est le charme attendrissant que mon cœur trouve à cette chanson : c’est un caprice auquel je ne comprends rien ; mais il m’est de toute impossibilité de la chanter jusqu’à la fin sans être arrêté par mes larmes. J’ai cent fois projeté d’écrire à Paris pour faire chercher le reste des paroles, si tant est que quelqu’un les connaisse encore. Mais je suis presque sûr que le plaisir que je prends à me rappeler cet air s’évanouirait en partie, si j’avais la preuve que d’autres que ma pauvre tante Suson l’ont chanté.


J’ai retrouvé la partition de ce « rigaudon villageois » sur Gallica, la bibliothèque numérique nationale. Ici. Ce qui permet de reconstituer le charme désuet du couplet caviardé :

L’amour expose
Souvent au danger,
De trop s’engager
Avec son berger

On écoute.

Je vous passe aussi une chanson écrite par Rousseau lui-même (ses compositions ont toujours été assez dénigrées, il a tout à fait sa place dans cette série). À peu près deux siècles avant la Samba de uma nota só de Carlos Jobim et Sur deux notes de Paul Misraki, la simplicité du thème est annoncée dans le titre. La romance sur trois notes.

1 – L’hérésie simoniaque
2 – Sardou le détesté
3 – Chantal Goya
4 – Brassens contre Tino Rossi
5 – André Bézu
6 – Rousseau
7 – HAL
8 – Patrick Bruel
9 – Le fan club de Serge Lama

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La rue Watt

Lieux possibles, impossibles et imaginaires de la chanson 6bis/17

Merci à Patrick Hannais de me signaler le générique du film de Jean-Pierre Melville, Le doulos, tourné rue Watt à Paris. La musique est de Paul Misraki (plus connu pour Tout va très bien madame la marquise !). L’homme qui marche, c’est Serge Reggiani.


Lieux possibles, impossibles et imaginaires de la chanson

1 – Entre Cuba et Manille
2 – Ménilmontant
3 – Le paradis
4 – La Molvanie
4bis – Le kamklep
5 – Chez Laurette
6 – L’underground café déménage rue Watt
6bis – La rue Watt
7 – Café Pouchkine
8 – Rue de la Grange aux Loups
9 – Le café des délices
10 – Quand la RATP invalide les chansons
11 – Les chants du Pelennor
12 – Comment se rendre en Transylvanie Transsexuelle
13 – Leindenstadt
14 – Porte des Lilas et Paimpol
14bis – Porte des Lilas (bis)
15 – La gare Saint Lazare de Brel
16 – San Francisco
17 – Rochefort
17bis – Saint-Lazare, bis
17ter – Gare du nord et Lountatchimo

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Pour tout maillot, j’avais la peau

La chanson sexuellement explicite 18/18
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Les meilleures choses ont une fin. À partir d’après-demain : punition, on reparle d’art majeur et d’art mineur. Pour conclure en beauté cette série, une plongée dans le passé. Brassens ne disait-il pas :

Eh bien, messieurs, qu’on se le dise
Ces belles dames de jadis
Sont de satanées polissonnes
Plus expertes dans le déduit
Que certain’s dames d’aujourd’hui,
Et je ne veux nommer personne !

D’abord, Bessie Smith, I need a little sugar in my bowl. Je vous laisse découvrir les paroles à double sens.

Il m’a vue nue, petit trésor explicite du temps jadis. Par Mistinguett.

Par Emma Liebel.

Je voudrais en savoir d’avantage, une chanson d’André Hornez et Paul Misraki, que j’ai découvert en écoutant l’excellente émission Tour de chant, sur France Musique. Par Lyne Clevers.

Trouver sur le Facebook de Floréal Melgar, un texte paillard de Voltaire en personne. Gaillardise, par Lionel Rocheman.

Perle d’un passé plus lointain encore, Le lion amoureux, fable de La Fontaine récitée par Fabrice Luchini. Je lui emprunte un titre rétrospectif pour la série : « Si la vérité vous offense, la fable au moins se peut souffrir ».

Plongeons encore plus loin dans le passé…  Les Stances de Ronsard, sur une musique de Guy Béart,  chantées par un certain Pierre Desproges avant qu’il ne se lance dans la blague. Les paroles sont un peu massacrées, la musique aussi, mais le document est exceptionnel.

Mais quand au lit nous serons
Entrelacés, nous ferons
Les lascifs selon les guises
Des amants qui librement
Pratiquent folâtrement
Dans les draps cent mignardises.

Encore quelque chose sur ce sujet qu’on ne quitte qu’à regret. La Fricassée parisienne, recueil de chansons de la Renaissance, avec de magnifiques polyphonies. Je vous recommande l’avant dernière piste, mise en musique par Clément Janequin d’un poème de Clément Marot, Un jour Robin vint Margot empoingner. On est quatre ou cinq siècles avant Gainsbourg… Par l’Ensemble Clément Janequin.

Un jour Robin vint Margot empoingner
En luy monstrant l’oustil de son ouvraige
Et sans parler la voulut besoingner.
Mais Margot dit « vous me feriez oultraige
Il est trop gros et long a l’avantaige ».
« Bien, dist Robin, tout en vostre fendasse
Je n’y mectray » ; adoncques il embrasse
Et seullement la moytié y transporte.
« Ha, dist Margot, en faisant la grimace,
Boutez y tout, aussy bien suys je morte ».

La vidéo de Matthias Bouffay sur la chanson de sexe m’a bien aidé à préparer cette série. Allez voir la chaine YouTube de ce grand connaisseur de la chanson. Ici.

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Tout va très bien madame la marquise

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 13/13
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Depuis plusieurs jours, on cherche la meilleure expression venant de la chanson. On a eu le rickroll, la franck-mickaélisation, « on connait la chanson », la décadanse, hakuna matata, les copains d’abord, « se faire chanter Ramona », bidasse, « chauffe Marcel », « marche à l’ombre », « zazou », etc. Et le vainqueur (deviné sur Facebook par Pierre A.) est…

Tout va très bien madame la marquise !

Paroles et musique de Paul Misraki. Par Ray Ventura et ses Collégiens.

 

Sur la page wikipedia de la chanson, je lis :

Tout va très bien madame la marquise est devenu un raccourci historique pour dépeindre l’immédiate avant-guerre (années 1935-1939) en France et peut-être plus particulièrement les accords de Munich (septembre 1938). Dès l’année suivant son enregistrement (22 mai 1935), la formule fait déjà florès auprès des journalistes. L’expression « Tout va très bien monsieur Herriot » est employée au moment des grèves de juin 1936. Ce sera ensuite « Tout va très bien Monsieur Mussolini. » Et enfin Tout va très bien mon Führer sur les ondes de Radio-Londres.

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