Comme texte du jour, je propose quelques vers d’Omar Khayyam, poète, astronome et mathématicien persan du XIIe siècle.
Debout ! Car le matin dans la coupe de la nuit A jeté la pierre qui fait s’envoler les étoiles. Et vois ! Le chasseur de l’orient a pris Le minaret du sultan dans un lasso de lumière.
En songe, quand l’aurore levait sa main gauche dans le ciel, J’entendis une voix crier de la taverne « Éveillez-vous mes petits et remplissez la coupe Avant que dans sa coupe, la liqueur de vie ne se tarisse ».
Un de ses poèmes est lu par Bernard Lavilliers au début de sa chanson Femme.
Aujourd’hui, Bernard Lavilliers nous chante Est-ce ainsi que les hommes vivent. Musique de Léo Ferré sur un poème de Louis Aragon. Passé dans le blog le 14 août 2019.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 3bis/19
Cette série suscite de nombreux commentaires, merci à tous. Simon me propose Et si en plus y’a personne d’Alain Souchon. Je note que la chanson s’inscrit bien dans le répertoire « anticlérical œcuménique », avec bien sûr le supplément de finesse du grand Souchon.
Patrick Hannais me propose Marizibil, poème de Guillaume Apollinaire, qui a été mis en musique par plusieurs compositeurs (sur le site de la SACEM, je trouve parmi quelques autres Léo Ferré, Bernard Lavilliers, François Béranger et George van Parys).
Elle se mettait sur la paille Pour un maquereau roux et rose C’était un juif il sentait l’ail Et l’avait venant de Formose Tirée d’un bordel de Changaï
Ce texte vieux de plus d’un siècle ne suit pas du tout les sortes de règles non-écrites qui (probablement depuis la Shoah) régissent l’évocation des juifs en chanson, et que j’ai découvert en préparant cette série. Il me sembler dater d’un temps révolu, où les juifs vivant aux marges de la société évoquaient un monde interlope, la prostitution ou la délinquance. Procurez-vous le roman Les contrebandiers d’Oser Warszawski traduit du yiddish par Aby Wieviorka et Henri Raczymow pour un témoignage sur ce monde perdu. Marizibil par le groupe Entre 2 Caisses.
Je connais gens de toutes sortes Ils n’égalent pas leurs destins Indécis comme feuilles mortes Leurs yeux sont des feux mal éteints Leurs cœurs bougent comme leurs portes
C’est l’été 2019, chaque jour un poète. Aujourd’hui Louis Aragon, né en 1897.
Bernard Lavilliers nous chante Est-ce ainsi que les hommes vivent, sur une musique de Léo Ferré. Attention à ne pas vous laisser rebuter par le son, je recommande une écoute au casque.
La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 5/18 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18
On a vu dans les billets précédents des jugements contrastés : la chanson de variété, véhicule des « clichés les plus éculés » selon Ulrich Michels, opposée à la « musique morte, impuissante et statique » dénoncée par Bernard Lavilliers. Et dans la série consacrée à l’histoire ancienne de la controverse art majeur / art mineur, on a vu que dès le XVIIe siècle, on opposait art savant et art populaire, bien souvent pour préférer (ou prétendre préférer) le second. Voir les citations de Molière ici, Rousseau ici ou Lamartine ici. On ne va pas épiloguer là-dessus plus longtemps… Dans ce billet, je voudrais juste insister sur une dimension purement musicale de l’opposition chanson/musique classique, apparu au tournant du XIXe et du XXe siècle, dimension à l’origine de certains malentendus.
Les coupables sont deux grandes innovations. Première innovation, du côté de la musique classique : le phrasé rubato, en plein siècle romantique, le XIXe. Le rubato, c’est l’art de ne pas suivre un tempo figé : ralentir ou accélérer au gré de l’émotion, se décaler un peu pour faire ressortir le soliste, etc. Deuxième innovation, du côté de ce qui allait devenir le jazz : le métissage entre musiques occidentales et africaines, initié par le ragtime et suscitant de nombreuses inventions rythmiques au tournant du XIXe et du XXe siècle. Extrait de La partition intérieure, de Jacques Siron, extraordinaire ouvrage sur les musiques improvisées modernes :
La conception du rythme est un point de désaccord majeur entre les musiciens de jazz et les musiciens qui n’ont baigné que dans la tradition rythmique de la musique classique. Faute de connaissance et de reconnaissance réciproque, de nombreux malentendus existent entre ces deux univers rythmiques.
Dans la musique classique, on n’utilise pas la très grande stabilité de la pulsation recherchée dans les musiques syncopées. Très souvent, les pulsations suivent le phrasé, ralentissent à la fin des phrases, introduisent de subtiles césures ; depuis la tradition romantique du XIXe siècle, le phrasé rubato est utilisé pour donner plus de souplesse et plus de vie à la phrase ; la plupart des interprètes classiques l’utilisent de manière expressive au détriment de la stabilité de la pulsation de base. Dans les orchestres classiques, la présence d’un chef d’orchestre responsable du tempo général ne favorise pas la prise en charge individuelle et collective du tempo ; de plus la précision rythmique de l’oreille est de beaucoup supérieure à la vue du geste silencieux de la baguette.
La stabilité de la pulsation du jazz est souvent perçue comme rigide ou redondante par des oreilles classiques, alors que, pour les musiciens de jazz, le phrasé classique passe pour anémique et totalement dépourvu des qualités du swing : il n’est que rarement en place, les syncopes sont sautillantes, hachées et précipitées, le rythme est décollé de la terre et perd ses qualités dansantes.
Pour illustrer cette citation, je vous propose de réécouter la reprise de J’m voyais déjà par Jaroussky & friends. Si vous prêtez attention au rythme, vous entendrez que les chanteurs ne se fondent pas complètement dans la métrique dansante du morceau. Ils préfèrent faire valoir leur timbre ou leurs émotions par de subtils ralentissements ou des notes tenues qui cassent le groove (sauf Natalie Dessay qui semble avoir réfléchi à la question, cf le billet précédent, et fait bien le job, enfin je trouve …).
À comparer avec Aznavour. Lui aussi prend quelques libertés avec le rythme, mais en respectant la métrique, et donc sans que l’orchestre ait à ralentir…
En plus de l’opposition musique populaire / musique savante, présente dans notre culture depuis le XVIIe siècle au moins, il y a donc une opposition musicologique, plus discrète dans les débats, mais qui saute aux oreilles prévenues… Entre deux conceptions du rythme donc, disons conception « expressive » (avec le phrasé rubato, et la nécessité d’un chef d’orchestre) et conception « stable » faute de meilleures appellations. Cette deuxième opposition date en gros de la fin du XIXe siècle. Il se trouve que les contingences de l’histoire ont mis la conception expressive du rythme du côté de la musique classique, et donc savante. Tandis que la conception stable, plus dansante, a petit à petit conquis le grand public et a relégué la conception expressive au répertoire classique et à ses amateurs éclairés. Le « stable » s’est donc retrouvé du côté des musiques populaires. Mais il n’y a aucune nécessité, musicale en tout cas, à cet appariement qui admet d’ailleurs tant d’exceptions qu’on peut dire qu’il semble en fait un déplacement conventionnel de la grande querelle savant/populaire. Cette vieille guerre a de temps à autres besoin de nouveaux champs de bataille. Et au fait, puisqu’il y a deux oppositions, il devrait y avoir 2×2 = 4 sortes de musique. Voyons cela.
1. Musique savante / stable, avec bien sûr le jazz, musique qui n’a plus rien de populaire depuis longtemps. Mais on pourrait ranger dans la catégorie « stable » toute la musique baroque, qui a de nombreux points communs avec le jazz (sophistication, musique improvisée et dansée, ce qui nécessite structures répétitives et stabilité rythmique).
2. Musique savante / expressive : musique classique, confondue pour les besoins de la présente démonstration avec la période romantique de la musique classique.
3. Musique populaire / stable : à peu près tout ce qui se vend, tout ce qui groove, tout ce qui balance à Paris, depuis Scott Joplin (ou Charles Trenet en chanson française), en passant bien sûr par le rock et jusqu’au rap.
4. Musique populaire / expressive : courant plus ou moins porté disparu… On peut réécouter Barbara peut-être, ou les grandes chanteuses réalistes. Tout fout le camp. Par Damia, la tragédienne de la chanson, qui fait son entrée au 817e billet du blog…
Cette classification de la musique en quatre cases est bien sûr grossière… Son seul mérite est de clarifier certains malentendus dans l’opposition musique classique / chanson.
Pour conclure, trois versions d’un même morceau, pour un peu entendre différentes manières d’aborder le rythme. Si vous voulez ressentir l’émergence d’une pulsation stable au milieu d’un phrasé plus confus, je vous recommande Caravan, par Michel Petrucciani. Confusion, puis swing, jusqu’à la mise à nu du thème, encore porté par l’imprégnation de la pulsation… et puis voyage en dissonance, magnifique.
Intéressant à comparer avec la version d’un autre grand pianiste, Art Tatum, le maitre du piano « stride », héritier en jazz du ragtime. Je trouve l’approche rythmique intéressante aussi, sans swing, un peu saccadée.
Si vous n’avez pas eu votre dose de rythme, essayez cette dernière version de Caravan. À la batterie, Charly Antolini. J’aime bien l’air consterné du contrebassiste qui aimerait bien jouer un peu lui aussi, vers 2:20 …
La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 1/18 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18
Voici l’avant-dernière série consacrée à notre lancinante question : la chanson est-elle un art majeur ou un art mineur ? Dans notre quête désespérée d’une absence de réponse, on étudie à partir d’aujourd’hui la relation entre la chanson et l’un des arts les plus majeurs du monde : la musique classique.
Dans son altercation avec Béart, Gainsbourg invoque la musique classique comme art majeur indiscutable. Il est vrai que dans notre imaginaire, elle est un absolu : composée par des génies comme Bach ou Mozart, exécutée par des virtuoses comme Liszt ou Paganini, elle nous propose une intercession directe avec Dieu, l’univers, ou encore plus difficile avec soi-même. Les non-croyants, et jusqu’aux scientistes, peuvent idéaliser cet exemple unique d’art abstrait séculaire. Critiquer la musique classique, c’est le blasphème total, voilà bien sur quoi Homais et Bournisien ont fini par s’entendre. Pas facile donc de trouver des critiques à l’encontre de la musique classique, notamment dans des paroles de chansons… Dans La samba de Bernard Lavilliers, on entend au détour d’une sociologie un peu sommaire de la musique :
Une musique morte impuissante et statique Suintait par le plafond très aristocratique
Morte, impuissante ? Peut-être… Claude Nougaro est plus indulgent, lorsqu’il imagine les aller-retour d’un pauvre piano, de la salle Pleyel à un club de jazz ! Je vous propose une interprétation par Jacqueline François du Piano de mauvaise vie, à écouter en détail pour sa belle collection de poncifs.
J’ai eu quelques commentaires à propos du premier billet sur Mai 68. Presque toutes les chansons et liens que vous m’avez proposés vont passer dans les prochaines séries. À propos du sondage, un internaute me signale La complainte du partisan. En cherchant cette chanson, je découvre qu’elle a été écrite en 1943 par Emmanuel d’Astier de La Vigerie sur une musique d’Anna Marly. Il semble qu’elle ait été plus connue en son temps que Le chant des partisans, qui l’a détrônée après-guerre. Avant que Leonard Cohen ne la reprenne en anglais (je croyais que c »était de lui …).
Sinon, si vous ne savez pas quoi faire ce dimanche, écoutez donc l’émission Étonnez-moi Benoît du samedi 16 septembre 2017 sur France Musique, consacrée à la Fête de l’Humanité en chansons. Il y est un peu question de Mai 68. Ici.
Allez aussi chez France Culture écouter Bernard Lavilliers qui reprend des chansons de Léo Ferré, ici. Il y a quelques bijoux…
Dans une prochaine série sur Mai 68, je vous parlerai de Claire Bretécher. En attendant, vous pouvez l’écouter, sur les Nuits de France Culture, ici.
Voici l’heure tant attendue de la solution. On cherchait le fil directeur qui reliait Capdevielle, Lavilliers, Cabrel et Renaud. Tous les fans de Renaud ont deviné que le lien secret est Ma chanson leur a pas plu, de Renaud, qui nous montre ses talent de pasticheur, y compris de lui-même ! Écoutez si vous ne connaissez pas.
Bravo à Pierre C., internaute de la Barbade, qui a le premier trouvé la réponse à l’énigme (voir dans les commentaires). S’il pouvait m’obtenir une interview avec sa compatriote Rihanna, ça m’arrangerait beaucoup pour faire buzzer un peu…
Quatrième et dernier volet de l’énigme pour ceux qui voudraient encore chercher : il faut trouver le lien entre Cabrel, Lavilliers, Capdevielle, et donc Renaud. Pas compliqué pour ceux qui connaissent bien Renaud ! Les aventures de Gérard Lambert, version banlieusarde du Petit Prince.
Le clip, c’est des extraits du dessin animé Akira.
Aujourd’hui, je vous passe le plus grand tube de Jean-Patrick Capdevielle, Quand t’es dans le désert. Alors quel est le lien avec Cabrel et Lavilliers ? Ceux qui ont trouvé peuvent se demander ce que veut dire JB…
Vous avez bien écouté les paroles ? Aucun lien avec l’actualité, ce sont les hasards de la programmation.