Substitutions

La chanson, art majeur ou art mineur, III. Les expressions toute faites chez Brassens 9/10
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Pour finir, Brassens opère souvent des substitutions d’un mot pour un autre dans des expressions toute faites. Le mot le plus fréquemment passé de la sorte en contrebande est « cœur ». Dans Une jolie fleur, « mener par le bout du nez » devient « mener par le bout du cœur » et « mettre un pays à feu et à sang » devient « mettre mon cœur à feu et à sang ». Dans Pénélope, « il n’y a pas de quoi fouetter un chat » devient « il n’y a pas de quoi fouetter un cœur ». Dans Les Lilas, le cheval d’Attila, après qui l’herbe ne repousse pas, nous donne à propos du temps : « au cœur où son cheval passe, l’amour ne repousse pas ». Le mot cœur prend donc souvent la place d’un autre, mais il peut aussi disparaître au profit d’un autre : dans Les croquants, « à contre-cœur » devient « à contre-sous ».

On notera que chez cet auteur volontiers paillard, le cœur est plus à l’honneur que le cul et ses variantes, qui participent quand même à quelques détournements. Dans Grand-Père : « avoir un œil qui dit merde à l’autre » devient « avoir une fesse qui dit merde à l’autre ».

Un grand nombre de détournements d’expressions concernent la mort. Dans Les funérailles d’antan « péter plus haut que son cul » devient « mourir plus haut que son cul ». Dans Le testament : « va voir là-bas si j’y suis » devient « va-t-en voir la-haut si j’y suis », dit par Dieu en personne, « faire l’école buissonnière » devient « faire la tombe buissonnière » et « effeuiller la marguerite » devient « effeuiller le chrysanthème ». Dans Les deux oncles, « trois petits tours et puis s’en vont » devient « trois petit morts et puis s’en vont ». Dans Mourir pour des idées, « tourner autour du pot » devient « tourner autour du tombeau ». Dans Grand-père « empêcheur de tourner en rond » devient « empêcheur d’enterrer en rond »

Il y a plusieurs détournements autour du mot bouche – j’attends les interprétations de mes lecteurs psychanalystes. Je me contente de noter que trois fonctions de la bouche sont évoquées : embrasser, parler, ingurgiter. Il manque la plus impérieuse : respirer (mais on aussi le nez pour ça). Dans Une jolie fleur, « ne plus savoir où donner de la tête » devient « ne plus savoir où donner de la bouche ». Dans Le vin, on « tourne sept fois sa langue » non pas dans sa bouche mais dans sa gueule de bois. Et dans La ronde des jurons, « à bras raccourcis » devient « à langue raccourcie ».

Quelques autres détournements. Dans Le temps passé, le nez au-delà du bout duquel on ne voit pas est un lit. Dans Les amours d’antan, « faire feu de tout bois » devient « faire flèche de tout bois ». Dans Mourir pour des idées, on le voit venir « avec ses gros drapeaux » en place des habituels gros sabots. Dans À celle qui est restée pucelle, on rencontre des « Vénus de Panurge », ça nous change des moutons.

Voilà, je crois que c’est tout. Une vidéo qui n’a rien à voir pour fêter ça : « That- that’s about it.».

Devant ce tsunami de chansons de Brassens, je ne sais plus laquelle choisir. Puisqu’on parlait de cœur et de cul dans ce billet, je vous passe Y’a des coup pieds au cœur qui s’perdent, de Rémo Gary, hommage conscient ou non à tous les détournements d’expressions du bon Maître Georges.

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