La Molvanie

Lieux possibles, impossibles et imaginaires de la chanson 4/17

La Molvanie, est un pays balkanique imaginé par le comique australien Santo Cilauro, pour les besoins d’un guide touristique parodique rempli de bonnes grosses blagues. Après la Syldavie et la Bordurie, inventées par Hergé. Ou encore la Poldévie, imaginée par des militants d’extrême-droite dans les années 1930 pour les besoins d’un canular, avant d’être intégrée au folklore de l’École normale supérieure. Et puis la Slovanie imaginée par Julien Donadille pour son roman Vie et œuvre de Constantin Erőd. Ah, les Balkans : « cet espace qui produit plus d’histoire qu’il n’en peut consommer » disait Winston Churchill. Et on nous en rajoute encore, merci.

La Syldavie et la Slovanie ont leur roi : Ottokar et Constantin, seul roi Rom d’Europe. La Bordurie a son dictateur, le maréchal Plekszy-Gladz. La Poldévie a un consul, qui apparait brièvement dans l’album de Tintin Le lotus bleu, et surtout un grand scientifique : Nicolas Bourbaki, pseudonyme d’un groupe de mathématiciens, adopté pour l’écriture d’un célèbre (et véritable) traité reprenant les mathématiques « à leur début ». J’aime bien cette expression, qu’est-ce que reprendre les mathématiques « à leur début » ? Beau sujet pour le bac philo, qui nous éloigne un peu de notre propos. La Molvanie est à ma connaissance la seule de toutes ces contrées imaginaires ayant un chanteur, Zladko Vladcik, plus connu sous le pseudonyme de « Zlad! ». On écoute son tube, Supersonic electronic.

Pfff, on t’a reconnu Santo Cilauro déguisé en Zlad!. Cette vidéo relève bien sûr d’une forme de racisme de basse intensité dont sont victimes les Balkans, de Monsieur Preskovitch, le voisin bulgare du Père Noël est une ordure jusqu’aux films de Kusturica qui forcent un peu le trait. Je vous propose une inspiration possible de Zlad!, une authentique chanson qui date de l’époque du programme spatial yougoslave.

Gordana Lana Adamov, Vanzemaljac

Au fait, les Français savent aussi faire des vidéos pseudo plouc des Balkans, mais moins bien que les Australiens, on est toujours le plouc de quelqu’un. Michael Youn, créateur du groupe parodique slovakistanais Bratisla Boys, Stach Stach

Lieux possibles, impossibles et imaginaires de la chanson
1 – Entre Cuba et Manille
2 – Ménilmontant
3 – Le paradis
4 – La Molvanie
4bis – Le kamklep
5 – Chez Laurette
6 – L’underground café déménage rue Watt
6bis – La rue Watt
7 – Café Pouchkine
8 – Rue de la Grange aux Loups
9 – Le café des délices
10 – Quand la RATP invalide les chansons
11 – Les chants du Pelennor
12 – Comment se rendre en Transylvanie Transsexuelle
13 – Leindenstadt
14 – Porte des Lilas et Paimpol
14bis – Porte des Lilas (bis)
15 – La gare Saint Lazare de Brel
16 – San Francisco
17 – Rochefort
17bis – Saint-Lazare, bis
17ter – Gare du nord et Lountatchimo

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Du rock pour dans dix siècles

Les péchés originels du rock français 8/8
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Nous voilà au terme de cette série sur les origines du rock français. Ses faiblesses tiennent-elles à ses origines parodiques ? Peut-être pas, le péché originel a bon dos … difficile à dire. L’affaire est complexe, comme le montrent certains musiciens qui suivent des chemins inattendus avant d’en venir au rock. Par exemple Frank Zappa, ici interviewé alors que Pierre Boulez s’apprêtait  à diriger sa musique.

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Peu de gens savent qu’avant de faire du rock, j’écrivais de la musique de chambre depuis l’âge de 14 ans. Je me suis seulement dirigé vers le rock à 21 ans. Ma passion initiale était la musique contemporaine. Mais personne ne voulait jouer mes partitions. Aux États-Unis, il est très difficile d’être joué. J’ai dû me consacrer au rock pour pouvoir tout simplement faire entendre ma musique.

Frank Zappa, Libération, le 9 janvier 1984
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Pour revenir à la France, il y a d’autres thèmes autour du rock qu’on explorera dans de prochaines séries.  Par exemple, la tradition française que veut que petit à petit, nos artistes « rockeurs » se transforment en chanteurs de variété (on avait déjà noté ça dans le blog, ici). La liste est longue : Johnny Halliday, Eddy Mitchel, Kent, Elli Medeiros, même dans une certaine mesure Bashung.  D’autres parcours sont plus tortueux, comme ceux d’Higelin et Lavilliers, qui commencent comme chanteurs à texte rive gauche, deviennent rockeurs, puis retournent à de la chanson plus classique. Bref, comme dit le proverbe, « En France, tout finit par une chanson », même le rock.

Pour conclure, un chanteur de la plus pure tradition « chanson française » : ce bon Léo Ferré. Lui, il a pris le rock au sérieux (à la fin des années 1960, il n’y avait plus tant de mérite, d’autant qu’entre nous, Léo, il prenait tout au sérieux j’ai l’impression). Il a fait accompagner son poème Le Chien par un groupe de rock français, Zoo.

 

Plutôt réussi, avec ce gros riff qui produit son effet quand il faut (vers 4:00)… En fait, un texte parlé en rythme sur de la musique, ça anticipe peut-être plus le rap que ça ne conclut le rock ? Mais on parlera de rap une autre fois.  Vers 4:40, Ferré dit qu’il faut « mettre Euclide dans une poubelle ». Quelle drôle d’idée. Léo Ferré semble faire allusion aux géométries non euclidiennes, où les droites sont « courbes », ce qui est d’un grand soulagement poétique, parce que les droites droites, et bien elles sont désespérément droites.

Troublante coïncidence, la même année que Le Chien, 1969, le célèbre mathématicien Jean Dieudonné, éminent membre du groupe de mathématiciens Bourbaki, lançait son slogan « À bas Euclide », dont le sens était qu’il fallait enseigner autre chose que de la géométrie aux petits enfants, et aussi peut-être dégager le raisonnement géométrique de l’intuition trompeuse issue des figures. Les nouveaux programmes de maths, les fameuses « maths modernes » s’apprêtaient à débouler dans les écoles, voir ici pour en savoir plus. Ça doit être l’ébullition révolutionnaire qui faisait tout se mélanger (à la même époque, la révolution culturelle chinoise condamnait les « quatre vieilleries »…).  Si cette intrusion de la science dans la chanson vous intéresse, allez donc voir la série de ce blog consacrée aux scientifiques dans la chanson : ici.

Léo Ferré a essayé d’autres genres de musique pour accompagner Le Chien. Une polyphonie de la Renaissance : le motet O vos Omnes, de Tomás Luis de Victoria. Et aussi du piano qui sonne très « musique contemporaine ». Je vous mets tout ça, d’abord Le Chien sur le motet.

Le motet sans les paroles de Ferré (une merveille) :

Et la version qui sonne contemporain. Vers 2:38, Ferré a un « trou », mais il s’en tire bien. Très pro Léo.

 

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