La lolutionsec

L’énigme B 12/12

Voilà venue l’heure tant attendue de la solution, pardon de la lolutionsec. Vous l’avez tous deviné, toutes les chansons de l’énigme ont recours au loucherbème, l’argot des bouchers de Paris. Voilà ce qu’en dit Marcel Schwob dans son Étude sur l’argot français.

Une des déformations du langage qui frappe le plus vivement celui qui étudie l’argot, c’est le procédé artificiel connu sous le nom de loucherbème (boucher). Il porte le nom de boucher parce qu’il est employé par la corporation des garçons bouchers concurremment avec les classes dangereuses. Ce procédé consiste à remplacer la première lettre d’un mot par l, à la rejeter à la fin du mot, et à la faire suivre d’un suffixe. Ici le suffixe est ème; ailleurs il sera différent […].

Reprenons. Partons du mot « boucher ». On enlève la première lettre « b », ça donne « oucher ». On met le « l » au début, ça donne « loucher ». On remet la première lettre à fin, ça donne « loucherb ». On ajoute le suffixe arbitraire « ème », ça donne bien « loucherbème ».

Appliquons le procédé à « douce ». Avec le suffixe « é », ça donne « loucedé », et donc « en loucedé », expression entendue dans Jojo la fleur bleue, première chanson de l’énigme. Appliquons le précédé à « fou ». Avec le suffixe « oque », ça donne « loufoque », mot entendu dans Les recalés, deuxième chanson de l’énigme. « Portefeuille » donne « lortefeuillepem », plutôt rare, mais dont le dérivé « larfeuille » est en usage, par exemple dans Ton jean bleu, troisième chanson de l’énigme (dont la présence est donc discutable puisque « larfeuille » n’est pas du pur loucherbème).

Autrefois, un franc se décomposait en vingt sous. Or « vingt » en loucherbème se dit « linvé » ce qui fait que « un linvé » c’est une pièce de un franc. « Faut six mois pour faire un linvé » nous chante Bruant dans À Saint-Lazare, quatrième chanson de l’énigme. Marcel Schwob signale que sur la même construction, la pièce de deux francs (quarante sous), c’est un « larante ». Je propose de généraliser le dispositif à l’euro, ça nous changera de la pièce de deux lalleboudifs.

Appelez ça comme voulez, cinquième chanson de l’énigme recoure à « loucedé ». « À poil » se dit en loucherbème « à loilpé », entendue dans Berceuse pour un raté, sixième chanson de l’énigme. J’ai trouvé cette chanson alors que l’énigme était déjà prête, et elle a pris la place de Nadine a oilpé de Gotainer qui recoure à une variante qui n’est peut-être que du verlan et pas de l’authentique loucherbème. Je la passe aujourd’hui.

Bruant dit « lacromuche » pour « maquereau » dans À la place Maubert, septième chanson de l’énigme. Le dernier trocson, huitième chanson de l’énigme utilise « loucedé ». Et je hasarde l’hypothèse que le mot « trocson » lui-même est l’aphérèse de « listrobscon », soit « bistrot » en loucherbème. Les quatre chansons de Renaud du neuvième billet de l’énigme utilisent « loucedé » ou « larfeuille ». Le rap Sale argot du dixième billet comporte un couplet entier en loucherbème (vers 3:00 sur la vidéo). Enfin, la Lansonchouille du dernier billet est entièrement en loucherbème, y compris le titre.

L’histoire du loucherbème n’est pas entièrement connue. Le premier mot en loucherbème dont on trouve une trace écrite semble dater de 1881, avec Au pays de largonji (largonji = jargon en loucherbème), titre d’un chapitre de La chanson des gueux de Jean Richepin. Je l’ai lu, il ne comporte pas un seul mot de loucherbème, à part le titre bien sûr. Dans son Étude, Marcel Schwob retrace l’usage de divers procédés argotiques automatiques. Les seuls d’usage courant aujourd’hui sont le verlan et l’ajout de suffixes (« troquet » transformé en « trocson »). L’anagramme, aujourd’hui cantonnée aux amusements oulipiens, est sans doute le plus ancien. Schwob parvient à en remonter la piste jusqu’à François Villon qui utilisait par exemple « tabart » pour « manteau, « rabat » en ancien français.

Item au Loup et à Chollet
Je laisse à la foys un canart,
Prins sous les murs, comme on souloit,
Envers les fossez, sur le tard;
Et à chacuns un grand tabart
De cordelier, jusques aux pieds,
Busche, charbon et poys au lart.
Et mes housaulx sans avant piedz.

François Villon, Petit Testament, XXIV.

On reparlera de tout ça dans une prochaine série sur l’argot en chanson, vaste sujet. En attendant, il faut une chanson, et je vous ai déjà livré toutes celles que je connais avec du loucherbème dedans. Puisqu’on parlait de Jean Richepin, je vous propose pour bien finir l’année une mise en chanson des Oiseaux de passage, par Rémo Gary qui, à la différence de Brassens, adapte le texte intégral.

1 – Jojo la fleur bleue
2 – Les recalés
3 – Ton jean bleu
4 – À Saint-Lazare
5 – Appelez-ça comme vous voulez
6 – Berceuse pour un raté
7 – Place Maubert
8 – Dernier trocson
9 – Renaud
10 – Sale argot
11 – Lansonchouille
12 – La lolutionsec

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Le combat de rock

Paralipomènes (de vache) 8/8
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Dernier billet sur les compétitions musicales. Dans les films français, la compétition n’est pas prise au sérieux. Si vous ne me croyez pas, regardez Gotainer et Jango Edwards, Le combat de rock, extrait du film Rendez-vous au tas de sable. Notez que c’est le perdant qui gagne. Je vous laisse à vos méditations sur la France et l’Amérique.

Contrairement à ce qui a été annoncé, j’interromps aujourd’hui ces paralipomènes (de vaches). Car à partir de samedi, je vous propose un dernière série (sur Pierre Delanoë) avant l’énigme d’été. Sinon, à propos des chansons de vache, notre « best problem solver », celui qui résout toutes les énigmes, j’ai nommé Pierre C., internaute de Paris, m’a signalé l’excellent Ma vache a grossi, des VRP.

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