Échouer avec cette dignité grammaticale, procédurière

Peut-on chanter en français – 7

On lit aujourd’hui un extrait de la Lettre de Cole Porter à Alan Broderick, du 5 novembre 1934 (j’ai trouvé ça dans Variétés : littérature et chanson, sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest. N°601 de la NRF).

Mes amis français, ceux qui ont des lettres et un livre en librairie, envient parfois la langue anglaise, sa superbe trivialité, ses diphtongues et ses triphtongues – je les vois se pencher par dessus les originaux de William Shakespeare pour tenter d’en trouver l’équivalent français, puis échouer avec cette dignité grammaticale, procédurière, typiquement parisienne. Ce qu’ils m’envient par dessus tout, ce sont mes monosyllabes, comme s’ils étaient la formule pour séduire les jolies filles et percer les secrets du monde : quelque chose que le diable aurait cédé aux Anglais en échange de leurs chansons. S’il n’y avait pas toutes ces monosyllabes, je devrais changer de métier, devenir philosophe allemand au lieu d’être simple parolier ; eux seuls me donnent ce pouvoir nonchalant de tout dire dans des vers de six pieds ; une fois traduit en français, mon Anything Goes aurait quelque chose de proustien : le sens de l’observation et le choix des verbes exacts, mais étalé comme une promenade le long d’un fleuve, après manger — (le déjeuner lui-même est accompli grammaticalement).

Avez-vous remarqué que « Tout dir’ dans des vers de six pieds » est un magnifique octosyllabe, bien rythmé, et constitué à 100% de ces fameux monosyllabes dont nous autres Français déplorons la cession par le diable aux Anglais ? Je vous propose deux version d’une célèbre chanson de Cole Porter utilisant quelques mots de français : My heart belongs to daddy. Par des chanteurs et chanteuses bien de chez nous. D’abord le duo Beau Catcheur et sa réjouissante walking bass, pardon basse marchante.

Puis par Colette Magny.

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