Aujourd’hui ce coquin de Jean-Pierre Coffe en a toujours un petit bout dans la culotte pour satisfaire ses clientes. Chez le boucher.
Entendre le grand défenseur du bien-manger vendre du faux-filet pour le pot-au-feu, c’est vraiment n’importe quoi. Mais on reparle de Jean-Pierre Coffe très bientôt. Sur le site Bide et musique, vous pouvez écouter une version de Charlotte Julian.
Encore un extrait du Ventre de Paris d’Émile Zola.
Un matin, l’oncle Gradelle fut foudroyé par une attaque d’apoplexie, en préparant une galantine. Il tomba le nez sur la table à hacher. Lisa ne perdit pas son sang-froid. Elle dit qu’il ne faillait pas laisser le mort au beau milieu de la cuisine; elle le fit porter au fond, dans un cabinet où l’oncle couchait. Puis, elle arrangea une histoire avec les garçons ; l’oncle devait être mort dans son lit, si l’on ne voulait pas dégoûter le quartier et perdre la clientèle.
On rentre aujourd’hui dans le vif du sujet (on rentre dans le lard j’allais dire). Avec Les joyeux bouchers de Boris Vian. Ce grand inventeur inaugure le personnage du boucher dans une variante truculente de la chanson d’humour noir.
Les joyeux bouchers, par Catherine Ringer and The renegade brass band.
L’original.
Puisque la chanson se termine par l’hymne de la légion étrangère (« tiens voilà du boudin »), je vous propose un peu de littérature boudinière. Extrait du Ventre de Paris, d’Émile Zola.
Ce soir-là, vers onze heures, Quenu, qui avait mis en train deux marmites de saindoux, dut s’occuper du boudin. Auguste l’aida. À un coin de la table carrée, Lisa et Augustine raccommodaient du linge ; tandis que, devant elles, de l’autre côté de la table, Florent était assis, la face tournée vers le fourneau, souriant à la petite Pauline qui, montée sur ses pieds, voulait qu’il la fit « sauter en l’air. » Derrière eux, Léon hachait de la chair à saucisse, sur le bloc de chêne, à coups lents et réguliers.
Auguste alla d’abord chercher dans la cour deux brocs pleins de sang de cochon. C’était lui qui saignait à l’abattoir. Il prenait le sang et l’intérieur des bêtes, laissant aux garçons d’échaudoir le soin d’apporter, l’après-midi, les porcs tout préparés dans leur voiture. Quenu prétendait qu’Auguste saignait comme pas un garçon charcutier de Paris.
La vérité était qu’Auguste se connaissait à merveille à la qualité du sang ; le boudin était bon toutes les fois qu’il disait : « Le boudin sera bon. »
– Eh bien, aurons-nous du bon boudin ? demanda Lisa. Il déposa ses deux brocs, et, lentement :
– Je le crois, madame Quenu, oui, je le crois… Je vois d’abord ça à la façon dont le sang coule. Quand je retire le couteau, si le sang part trop doucement, ce n’est pas un bon signe, ça prouve qu’il est pauvre…
– Mais interrompit Quenu, c’est aussi selon comme le couteau a été enfoncé.
La face blême d’Auguste eut un sourire.
– Non, non, répondit-il, j’enfonce toujours quatre doigts du couteau ; c’est la mesure… Mais, voyez-vous, le meilleur signe, c’est encore lorsque le sang coule et que je le reçois en le battant avec la main, dans le seau. Il faut qu’il soit d’une bonne chaleur, crémeux, sans être trop épais.
Augustine avait laissé son aiguille. Les yeux levés, elle regardait Auguste. Sa figure rougeaude, aux durs cheveux châtains, prenait un air d’attention profonde. D’ailleurs, Lisa, et la petite Pauline elle-même, écoutaient également avec un grand intérêt.
– Je bats, je bats, je bats, n’est-ce pas? continua le garçon, en faisant aller sa main dans le vide, comme s’il fouettait une crème. Eh bien, quand je retire ma main et que je la regarde, il faut qu’elle soit comme graissée par le sang, de façon à ce que le gant rouge soit bien du même rouge partout… Alors, on peut dire sans se tromper: « Le boudin sera bon ».
Il resta un instant la main en l’air, complaisamment, l’attitude molle ; cette main qui vivait dans des seaux de sang était toute rose, avec des ongles vifs, au bout de la manche blanche.
On verra dans la suite de la série que le boucher dans la chanson moderne est un personnage affublé d’une forte personnalité, une sorte d’Obélix bien pratique pour meubler les répertoires avec sa balourdise vaguement sanguinaire. Mais avant ça, abordons un personnage plus rare, le boucher surréaliste, dont on se demande ce qu’il fabrique dans sa chanson. Et oui, c’est quoi « cette manière de traverser quand elle s’en va chez le boucher » ? Pourtant ça ne manque pas les rimes en [é] un peu plus romantiques que « boucher ». La chanson Elle est d’ailleurs est de Pierre Bachelet, maître de la rime (on avait déjà vu dans ce blog qu’il a osé faire rimer « Verlaine » avec « verveine », voir ici, non mais ça c’est le comble).
Dans ce billet placé sous le signe de la sentimentalité bouchère, je vous propose un extrait du Ventre de Paris d’Émile Zola. À la charcuterie, la belle et grasse Lisa s’éprend de l’ample Quenu.
Cela dura un an, sans une rougeur de Lisa, sans un embarras de Quenu. Le matin, au fort du travail, lorsque la jeune fille venait à la cuisine, leurs mains se rencontraient au milieu des hachis. Elle l’aidait parfois, elle tenait les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et de lardons. Ou bien ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses, du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée.
Tiens, et puis Nadia me signale P… de toi de Georges Brassens, avec le seul personnage de boucher de toute l’œuvre de Brassens si je ne m’abuse. On reviendra un peu plus tard sur cette quasi-absence. Par le groupe Brassens not dead.