Rue de l’Échaudé

Bouchers, boucherie et chanson, 3/16

Aujourd’hui, on s’intéresse à l’histoire des abattoirs. Tout authentique amateur de chanson le sait bien : « à la Villette on tranche le lard », ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jacques Dutronc dans Paris s’éveille. Ce vers du parolier Jacques Lanzmann fait référence aux abattoirs de La Villette à Paris, fermés dans les années 1970. Autrefois les bêtes étaient abattues au cœur des villes. Au XVIIIe siècle plusieurs centaines de boucheries pratiquaient l’abattage dans des « tueries particulières » à Paris, petit à petit remplacées par des abattoirs. Si vous avez l’estomac bien accroché, vous pouvez regarder Le sang des bêtes, documentaire de Georges Franju (et puis enchainez sur Les yeux sans visage…). Ici. Le film est très cru, mais si vous voulez le voir quand même, j’attire votre attention d’amateur de chansons sur un détail : tous ces équarrisseurs, bouchers ou manieurs de merlin, ils travaillaient en chantant ou en sifflant.

Quelques chansons témoignant de cette présence du « sang des bêtes » dans le quotidien nous sont parvenues, comme la Chanson du décervelage, d’Alfred Jarry. La « rue de l’Échaudé » existe bel et bien à Paris. Son nom provient d’un pâtisserie, mais elle a sans doute été choisie par Jarry par référence à l’échaudoir, l’endroit précis de l’abattoir où la bête est tuée. Chantée par Rosy Varte et Georges Wilson, sur une musique de Maurice Jarre.

Puisqu’on parle d’Alfred Jarry et de viande, je vous propose cet extrait d’Ubu roi.

Père Ubu. Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?
Capitaine Bordure. Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ?
Mère Ubu. Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures.
Père Ubu. Des viandes, oui ! De l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.
Mère Ubu. Sagouin toi même ! Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?
Père Ubu. Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.
Mère Ubu. Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.
Capitaine Bordure. Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.
Père Ubu. Est-ce bien vrai ?
Mère Ubu. Oui, oui !
Père Ubu. Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi !

Et puis écoutez ou réécoutez l’excellent documentaire de Catherine de Coppet, Cacher le sang des bêtes : de la tuerie à l’abattoir. Ici. Et puis si vous allez au restaurant Carnegie Hall, Lyon 7e, vous lirez dans le menu que le gigot est servi « selon tuerie ».

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Les fesses

La chanson sexuellement explicite 2/18
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Merci à Loïc, Jacquouille, Catherine, Nadia, Arnaud et Bertrand pour leurs gentils « appels de phares », voir le billet du 24 décembre.

Pas facile de concevoir cette série sur la chanson sexuellement explicite… D’abord, je croule sous le nombre. Le nombre incroyable de chansons parlant de sexe. Toute une psychanalyse de bazar nous explique d’ailleurs que chaque comptine pour enfant recèle un sens sexuel caché : « Il court, il court, le furet » doit en fait s’entendre « il fourre, il fourre le curé », évident. Au clair de la lune, « ma chandelle est morte », « plus de feu », « ouvre moi ta porte » : du sexe. Fais dodo Colas mon p’tit frère, « papa est en haut, maman est en bas », à moins que ça ne soit le contraire. Les parents font comme ils veulent, ce n’est pas l’affaire des enfants. Etc. Le pire en fait, c’est que je pense que c’est vrai…

Autre exemple : Michel Sardou chante en faveur de la peine de mort, scandale national. Il cherche une chanson populaire, pour se réconcilier avec la France. Son parolier lui offre En chantant, chanson naïve et entrainante pour enfin réjouir les chaumières. Mais qu’est-ce qu’il a besoin de dire qu’il fait l’amour dix fois dedans ? Quel fanfaron à la fin. Je la passerai une autre fois, aujourd’hui il est censuré, bien fait pour lui.

Un autre. Le grand capteur d’air du temps, Jacques Lanzman, qui en avril 1968 fait chanter à une sorte de dandy décadent que Paris s’éveille : quelle intuition, quel sociologue, bravo. Mais qu’est-ce que cette « obélisque bien dressée entre la nuit et la journée » ? Vieux dégoutant, on a compris le sens caché de tes glorieuses matinées…

Je peux continuer cette litanie lubrique : La chasse aux papillons, ça consiste en quoi exactement ? La petite entreprise, pourquoi ne connait-elle pas la crise ? Et si vous chantez La quête de Jacques Brel, surtout, ne bégayez pas au moment d’entonner crescendo « Telle est ma quête ! ». Bref, chaque chanteur, chaque chanson, parle de sexe, et quand elle n’en parle pas, c’est bien sûr pour mieux l’évoquer en creux, ou le refouler. Du sexe, du sexe, du sexe, partout de la fesse. Les fesses, par les Frères Jacques,

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Jean-Pierre Bourtayre n’a rien composé pour Nougaro

Ils n’ont rien composé pour Nougaro 6/8
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Nougaro a fait appel aux grands compositeurs de la variété française : Jacques Datin, Marguerite Monnot, Jimmy Walter, ou Maurice Vander. Mais pas à Jean-Pierre Bourtayre, qui savait pourtant composer toutes sortes de chansonnettes, des discos de Claude François jusqu’à des ballades comme Gentleman cambrioleur. Par Jacques Dutronc.

 

Jean-Pierre Bourtayre savait même écrire des musiques de film à l’occasion. J’aime bien le final des Maitres du temps, film d’animation de Laloux (encore) sur des dessins de Mœbius. Admirez en prime la toute première animation 3D en images de synthèse de l’histoire du cinéma. Et regardez à 4:06, le nom du parolier Jacques Lanzmann est mal orthographié !

Bourtayre savait même composer des chansons à boire galactiques (répertoire qui ne comporte hélas qu’une seule chanson). Paroles de Jacques Lanzmann, La chanson du pochard, encore extraite des Maitres du temps (ce qui explique sa présence au générique…).

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Paris s’éveille

Les chansons de Mai 5/9
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On continue avec Jacques Dutronc et une chanson de Mai 68 assez surprenante, car plutôt classée de nos jours dans l’immense et vague répertoire des chansons de « variétés » : Il est cinq heures, Paris s’éveille. La chanson est sortie en mars 1968, sur le même disque que L’augmentation et Fais pas ci, fais pas ça vues dans le dernier billet. On est bien dans l’esprit de mai, combinaison paradoxale d’individualisme, d’hédonisme et de conscience sociale : un fêtard rentrant se coucher au petit matin croise des « ouvriers déprimés » qui partent trimer. On retrouve ce mélange dans Et moi et moi par exemple (déjà vue ici), du même parolier, Jacques Lanzmann qui a parfaitement capté l’air du temps.

Mais ce qui a dû parler au cœur du manifestant soixante-huitard, c’est cette vision de Paris, si belle dans le petit matin… Avec quelques barricades, ça devait être encore mieux. Et bien sûr, l’expression « Paris s’éveille » prend un sens tout à fait différent en pleine « révolution »… Il est cinq heures, Paris s’éveille, vidéo du 18 avril 1968.

Notez que ce n’est pas la première fois qu’une chanson au premier abord légère se trouve propulsée au rang de chanson révolutionnaire : il y a eu Le temps des cerises, avec la Commune de Paris, mais c’est une autre histoire. Il paraît que dès Mai 68, les paroles un peu trop petites bourgeoises de Il est 5 heures ont été adaptées aux événements par Jacques Le Glou :

Les 403 sont renversées
La grève sauvage est générale.
Les Ford finissent de brûler
Les enragés ouvrent le bal.
Il est cinq heures… Paris s’éveille,
Paris s’éveille

Cette version révolutionnaire a été enregistrée plus tard. Il est cinq heures, Paris s’éveille par Jacqueline Danno.

Cette chanson est parue sur le disque Pour en finir avec le travail dont on va voir plusieurs titres dans les prochains billets.

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Et moi ?

Quel est le plus grand nombre (dans une chanson) ? (5/6)
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On cherche toujours le plus grand nombre cité dans une chanson (merci pour vos nombreuses propositions, je ferai le best-of bientôt). Grâce à Sardou, on a repoussé bien des limites en dépassant le milliard. Qui dit mieux ? Dutronc : cinq cents milliards ! Dans les commentaires ou sur Facebook, vous avez été plusieurs à penser à cette chanson, mais beaucoup moins nombreux à citer le bon nombre !  Et moi, et moi et moi, paroles de Jacques Lanzmann, musique de Jacques Dutronc.

 

Mais ce n’est pas fini, il y a encore mieux dans le prochain post ! En attendant, je vous donne une petite astuce pour gagner le concours du plus grand nombre : il suffit de trouver une chanson avec le mot « google » dedans, ça ne doit pas être trop difficile vu l’époque. Il est ensuite possible d’arguer que le mot chanté est en fait « googol », qui désigne le nombre écrit en mettant une liste de 100 zéros après un « 1 », 10 à la puissance 100 si vous préférez. Ce nombre a été popularisé par le mathématicien Edward Kasner dans les années 1940, et le nom du célèbre moteur de recherche en provient directement (moyennant une petite faute d’orthographe accidentelle). C’est donc tout à fait défendable, mais le tribunal arbitral du blog considère dans sa sagesse que c’est de la triche (même si une solution valable dans ce style a été trouvée… on voit ça à la fin de la série).

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