Mes bouchers

Bouchers, boucherie et chanson, 14/16

Le boucher d’la rue de Flandres, de Jacques Debronckart. Par un chanteur venu des Flandres, Christian Camerlynck.

Toujours de Jacques Debronckart, je vous propose Le mariage de ma tante, qui n’évoque pas directement la boucherie, mais parle un peu de beaucoup de viande.

De parler de ces chansons de boucherie, ça m’a fait repenser à tous les bouchers que j’ai connus.

J’en ai connu quelques uns quand j’étais enfant à Paris. Il restait quelque chose de l’effervescence du quartier des halles pas si éloigné. Il y avait une boucherie chevaline avec de la sciure de bois par terre. Tous les samedis, on pouvait acheter un met rare : du rôti de mulet. Un steak coutait 10F, ça n’a pas augmenté tant que ça depuis. Dans le quartier, il y avait un tripier qui faisait éditer des poèmes à compte d’auteur, un marchand de gibier avec des têtes de sangliers empaillées. Et puis tout ça a fermé, le quartier est mort jusqu’à ce que les bobos ne le ressuscitent, gloire à eux.

J’en ai connu un pendant mes premières vacances avec des copains. La mère de l’un deux était intendante dans un lycée, elle avait calculé notre budget au plus juste. On avait économisé sur chaque repas pour acheter un gros steak chez le boucher du village le dernier jour. Or, il avait d’énormes verrues aux mains, on s’est demandé pendant tout le repas si une verrue ne s’était pas glissée au milieu du plat de lentilles.

J’en ai connu un que je n’ai pas connu. J’étais étudiant à Paris, ma fiancée ramenait des saucissons du village. Ficelle rouge : haché gros. Ficelle grise : haché fin. Tout le monde s’accordait pour préférer la ficelle rouge, au point que je me suis demandé si la ficelle grise n’était pas qu’un faire-valoir. Et avant que je n’ai eu le temps de connaitre le village, la boucherie a fermé « au grand soupir des gens du lieux ». Je n’ai plus jamais vu de boucher qui propose deux calibrages de saucisson, voilà un de ces micro-désastres qui scandent l’agonie des campagnes, avec la disparition des moisissures rouges dans les fourmes, la raréfaction des giroles etc.

J’en ai connu un dans un quartier résidentiel et peu commerçant d’une grande ville. J’étais jeune père de famille, et je faisais plus souvent les courses qu’auparavant. Un professionnel méticuleux : chaque morceau, chaque préparation, était soigneusement emballée dans un cellophane. Il y avait peu de choix, un choix choisi justement. La clientèle venait nombreuse, la boucherie se portait bien dans ce quartier où d’ordinaire les commerces périclitaient. Chaque fois que je demandais à monsieur le boucher une recette ou ce qu’il pensait de tel ou tel morceau, il me répondait avec une grimace qu’il ne l’aimait pas trop tout ça. J’ai fini par lui demander s’il était végétarien, il m’a répondu « presque, si vous saviez ». Madame la bouchère s’habillait un peu court, se maquillait beaucoup et des clients rapportaient à monsieur le boucher qu’elle se donnait à voir la nuit dans les bars alentour. Madame la bouchère faisait son marché chez un primeur qui avait obtenu de la mairie une patente exclusive : un marché à son seul bénéfice, sans concurrence. Madame la bouchère entendait y faire jouer la solidarité entre commerçants pour doubler tout le monde, et en parlant bruyamment à la cantonade, suscitant la désapprobation générale. Les médisances sur madame la bouchère ne décourageaient pas la clientèle qui se pressait toujours plus nombreuse pour acheter de la viande soigneusement remballée sous cellophane après chaque manipulation. Monsieur et madame la bouchère ne pouvaient pas avoir d’enfants, et ils avaient fini par adopter en Asie. Il y avait une photo de l’enfant juste sous une publicité : « le veau élevé sous la mère ».

J’en ai connu un au village, qui a capté le gros de la clientèle des ficelles rouges et grise dont je parlais plus haut. Un des pires professionnels de la profession. On raconte encore dans la famille quarante ans après comment cet énergumène (alors seulement commis) a débité une fois un veau entier. En cubes ! et sans égard pour les morceaux. On y revenait pourtant. Il y avait un calendrier avec une femme à poil bien en vue dans l’arrière-boutique. On demandait quatre escalopes, il y en avait une carrée, une ronde, une fine, une épaisse. Bien heureux que la même ne fût pas épaisse par-ci, ronde par-là et puis carrée et fine de l’autre côté. Il découpait tout avec franchise et bonne humeur, la boutique ne désemplissait pas. C’était frais au moins. Il devait bien se fournir au moins. Ce triomphe de l’incompétence était un sujet de discussion. J’insistais un peu : mais pourquoi tout le monde y va ? Une voisine, une dame très âgée m’a dit avec presque des larmes dans les yeux : « mais c’est l’enfant du pays ». Il a pris sa retraite. J’ai appris tout récemment que sa fille était batteuse dans le groupe de rock du coin. Je promets une chanson dans le blog un de ces jours.

J’en ai connu un qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 1 645 100 €, on trouve facilement ce genre d’information de nos jours. Dans un minuscule village. Ayant réalisé l’énormité de la somme, j’ai subodoré qu’il ne vendait pas qu’à l’étalage, qu’il devait fournir je ne sais pas quelle cantine, ou plus sûrement maison de retraite, l’industrie la plus florissante dans cette région. Mais non, j’ai demandé. Il n’a pas eu l’air surpris de la question, je ne devais pas être le premier. Je confirme que presque deux millions d’euros de bidoche transitent chaque année par l’unique comptoir de sa petite boutique. Il faut dire que ça vend. Les prix sont d’avant guerre, à n’importe quelle heure de n’importe quel jour, il y a la queue. On vient de plusieurs dizaines kilomètres à la ronde se fournir en colis de veau, promotion sur le bœuf, bêtes de concours, etc. La réputation de la maison est telle que j’ai même entendu un boucher de la ville se vanter d’avoir eu comme commis le nouveau prodige de la profession. Ce sera mon dernier boucher avant de devenir végane.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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C’est cher le whisky, mais ça guérit

Vin, alcool et ivrognerie 11/24

Oscar Wilde a écrit : L’absinthe apporte l’oubli, mais se fait payer en migraines. Le premier verre vous montre les choses comme vous voulez les voir, le second vous les montre comme elles ne sont pas ; après le troisième, vous les voyez comme elles sont vraiment.

Dans Je suis comédien, Jacques Debronckart a un avis un peu différent sur le troisième verre. Il fait son entrée dans le blog au 1228e billet…

1 – Le vin
1bis – Je bois la bouteille
2 – J’ai bu
3 – Un ivrogne appelé Brel
4 – Chanson à boire
5 – En titubant
6 – Le vin me saoule
7 – La santé, c’est la sobriété
8 – Si tu me payes un verre
8bis – Le vin que j’ai bu
9 – Tango poivrot
9bis – Sur le Pressoir
10 – L’alcool de Gainsbourg
11 – C’est cher le whisky, mais ça guérit
12 – L’eau et le vin
13 – Sous ton balcon
13bis – Le sous et Le Houx
14 – Sacrée bouteille
15 – Le dernier trocson
15bis – Java ferrugineuse
16 – Commando Pernod
16bis – Cereal killer
17 – Six roses
18 – 1 scotch, 1 bourbon, 1 bière
19 – Vins d’appellation
20 – On boira d’la bière
21 – Ponchon pochtron
22 – Copyright apéro mundi
23 – Rapporte moi des alcools forts
24 – Je vais m’envoler

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