Signé Furax

Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 18/23

Mes lectrices et lecteurs seront peut-être surpris d’entendre de la chanson comique dans cette série. Car l’humour et la dérision sont parfois présents dans l’évocation des camps ou même de la Shoah, on en a déjà un exemple avec l’opérette de Germaine Tillion, Le Verfügbar aux enfers.

L’un des comiques les plus populaires du milieu du XXe siècle était Pierre Dac, qu’on a déjà rencontré plusieurs fois dans ce blog : inventeur du mot « loufoque » (fou en Loucherbem, l’argot des bouchers de Paris), juif d’origine alsacienne qui a réussi à rejoindre Londres en 1943, d’où il a présenté une émission à la BBC, voir le billet qu’on lui a consacré, ici. Et l’un des plus grands succès de Pierre Dac est le feuilleton radiophonique Signé Furax. En fait, Signé Furax est la deuxième version d’un premier feuilleton moins connu, Malheur aux barbus !, diffusé de 1951 à 1952 sur la Radiodiffusion-télévision française. Il raconte comment le génie du mal Edmond Furax a planifié l’enlèvement de tous les barbus de la terre. Au tout début de L’heure d’exactitude d’Annette Wieviorka (née en 1948) je lis ses souvenirs d’enfance :

Nous écoutions sur notre gros poste de TSF le feuilleton Malheur aux barbus !, et j’associais la photo de mon grand-père [Wolf Wieviorka, mort à Auschwitz] à cette expression « malheur aux barbus ». Nos entretiens m’ont incité à aller y voir de plus près, et j’ai lu le texte des émissions radiophoniques de Pierre Dac et Francis Blanche. Ce feuilleton « loufoque », diffusé en 1951 et 1952, a été repris quelques années plus tard sur Europe N°1. C’est cela à l’évidence que nous écoutions. Le lien que mon intuition enfantine établissait entre Furax (dont l’un des prénoms est Pandolphe), tentant de devenir le maître du monde, et Hitler, avide de faire disparaître tous les barbus de la terre, me semble aujourd’hui évident. Le génocide des Juifs était une des obsessions de Pierre Dac, de son vrai nom Isaac. Et les modes des disparitions des barbus (recensés, obligés d’estampiller leur barbe, enlevés dans les rues, convoqués, rassemblés, engloutis dans les autobus où ils montaient) font écho au sort des Juifs pendant la guerre. Jacques Pessis, le biographe de Pierre Dac, note qu’il écrivait son texte chaque jeudi et que ce jour-là, il ne se rasait pas, une des modalités du deuil chez les Juifs, mais qui signait aussi son appartenance aux barbus.

Extrait de Malheur aux barbus (je pense qu’il ne s’agit pas de l’enregistrement original dont il n’existe plus de copie me semble-t-il).

Je vous propose comme chanson du jour L’hymne des babus. Les « babus » (à ne pas confondre avec les barbus) sont une secte maléfique, alliée à Furax et dirigée par le « grand babu ».

Signé Furax a été adapté au cinéma au début des années 1980, mais le film a fait un flop. Je vous propose le générique de fin, avec Pierre Desproges qui joue le rôle du présentateur du journal télé.

Cette réminiscence de la Shoah me rappelle ce souvenir que j’ai entendu raconter quelquefois. Dans les cours de recréation des écoles parisiennes des années 1950, au lieu de jouer aux gendarmes et aux voleurs, ou aux cowboys et aux indiens, les enfants « jouaient à la Saint-Barthélémy ». Je n’ai jamais bien compris en quoi consistait ce jeu exactement, je note simplement que la Saint-Barthélémy est l’événement du manuel d’histoire de France qui ressemble le plus aux rafles encore toute récentes à l’époque. Je me permets d’ajouter un souvenir personnel sur ce types de réminiscence : au début des années 1980 sévissait dans les lycées-collèges parisiens une coutume. Un groupe de « grands » s’emparait d’un « petit » et lui pinçaient un testicule en lui demandant de chanter La Marseillaise le plus fort possible. J’en ai été témoin, et je pense que cette tradition en était à sa toute fin, c’était tout à fait marginal, et je n’en ai plus jamais entendu parlé. À mon avis, c’était une réminiscence de la guerre d’Algérie, encore assez récente à l’époque.

1 – La chanson de Simon Srebnik
2 – La chanson de Treblinka
3 – Yisrolik
4 – Le chant des marais
5 – Le Verfügbar aux Enfers
6 – Casimir Oberfeld
7 – Êtes-vous heureux ?
8 – La fontaine endormie
9 – Il n’y a plus de roses rue des Rosiers
10 – Le petit train de Rita Mitsouko
11 – Comme-toi
12 – Nuit et brouillard
13 – Smoke gets in your eyes
14 – Pitchipoï
15 – Évariste
16 – Au fil du temps
17 – Les Ramones à Bitburg
18 – Signé Furax
19 – Des voix off
20 – Roméo et Judith
21 – Culture du camp
22 – La troisième symphonie de Górecki
23 – Beltz

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La complainte des nazis

Les Juifs et la chanson II – La chanson et le problème de l’éléphant 6/14

Pierre Dac était déjà un comique très connu au début de la seconde guerre mondiale. Ses origines juives l’ont obligé à fuir la France occupée. Il a pu rejoindre Londres, où il a travaillé pour les émissions de radio de la France Libre. Il a alors écrit quelques chansons parodiques sur les nazis ou les collaborateurs.

Les fils de Pétain.

La complainte des nazis.

Tant qu’on y est, je vous passe La romance de Paris de Charles Trenet, à laquelle Pierre Dac a emprunté la musique de sa Complainte des nazis.

Extrait très connu d’une joute entre Pierre Dac et un propagandiste antisémite.

1 – Gypsies rock’n roll band
2 – Isaac Gorni, le troubadour juif
3 – Jacques Offenbach
4 – Norbert Glanzberg
5 – Mireille
6 – La complainte des nazis
7 – Le neveu du capitaine Dreyfus
8 – Chanson d’Exil
9 – Des moyens légaux
9bis – Serre les poings
10 – Yellow star
11 – Juif espagnol
12 – Juif errant et pâtre grec
13 – Les juifs de Stéphane Golmann
14 – Les comedian harmonists

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La truite et la violoncelliste

La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 8/18
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On en a eu un aperçu dans le dernier billet avec Pierre Dac et Francis Blanche : la musique classique est une ressource inattendue pour la chanson comique. Il est vrai que rien n’est comique comme le sérieux. Le complexe de la truite, par les Frères Jacques, sur La truite de Franz Schubert.

Sacrés Frères Jacques. Mais au fait, qu’est-ce qu’ils ont contre les violoncellistes ?

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Le Boléro de Ravel

La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 7/18
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Le Boléro de Ravel, plus grand tube de la musique classique, et pendant longtemps plus grosse source de revenu de la SACEM, a été plusieurs fois utilisé en chanson. Tout d’abord par Pierre Dac et Francis Blanche, Le parti d’en rire.

« Réconcilier les œufs brouillés », le jaune et le blanc donc, vaste programme. On entend le Boléro à l’arrière plan de Et maintenant de Gilbert Bécaud. Paroles de Pierre Delanoë.

On entend aussi comme un écho du Boléro chez Charles Aznavour, Dans tes bras.

Un petite dernière, Le batteur du Boléro, avec Jacques Villeret.

 

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La décadanse

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 6/13
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Nous sommes toujours en quête d’expressions courantes de la langue française venant de la chanson. Nous avons vu des phrases toute faites, moitié proverbe, moitié expression, bref un peu à côté. Nous avons vu le rickroll et la franck-mickaélisation, deux expressions intéressantes mais plutôt confidentielles et spécialisées. Et qui ne viennent pas tant de la chanson que de la politique et de l’internet, grands pourvoyeurs d’expressions nouvelles. Explorons d’autres grandes sources de néologismes, expressions, phrases toutes faites, etc.

Tout d’abord, les antonomases, figures consistant en la transformation d’un nom propre en nom commun, ce qui a donné silhouette ou poubelle. Ensuite la bande dessinée. Saviez-vous que le mot « pied » a été inventé par un personnage de bande dessinée ? La dame assise, dans Les poulets n’ont pas de chaise, de Copi.

pouletPasDeChaise

 

Bécassine fut une bande dessinée avant d’être une chanson ou un synonyme d’idiote évidemment. On doit « ils sont fous ces romains » et « il est tombé dedans quand il était petit » au grand René Goscinny. Le génial Franquin nous a laissé, « m’enfin » et « rogntudju ». Quant aux « pieds nickelés » c’est bien sûr une bande dessinée, quoique le titre provienne selon certains d’une pièce de théâtre. La palme du genre revient à Cabu, le plus merveilleux des dessinateurs de presse, assassiné le 7 janvier 2015, et qui a inventé un mot passé dans le langage courant : « beauf ». Le 25 juillet 1980, Cabu invité de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophe. Regardez notamment la fin de la vidéo.

Plus généralement, la littérature est bien sûr une bonne source d’expressions toutes faites, comme d’innombrables moralités de fables de La Fontaine. Si vous êtes un Don Juan, vous devez quelque chose à Molière… à moins que ne soyez un tartuffe ou que vous ne vous embarquiez dans une galère ?

J’aime beaucoup l’expression « élémentaire mon cher Watson » parce qu’il paraît qu’on ne la trouve dans aucune aventure de Sherlock Holmes. C’est le comble de l’inventeur d’inventer ce qu’il n’invente pas. Notez que dans un précédent billet, on a eu un cas similaire. Comme me l’a fait remarquer Daniel Maillot dans un commentaire, Georges Marchais  n’a jamais dit « taisez-vous Elkabbach ». La citation est en fait une invention de Thierry Le Luron ! Ce qui nous amène aux comiques…

Les comiques ne sont pas en reste donc : le schmilblick, « faire chauffer la colle », ou loufoque (qui n’est autre que le mot fou traduit en loucherbem, voir ici) sont des expressions inventées par Pierre Dac. « C’est étudié pour », « tonton, pourquoi tu tousses ? » ou « ça eu payé, mais ça paye plus » furent inventées par Fernand Raynaud. On doit à Coluche « C’est l’histoire d’un mec », ou « sans blague merde ». Les Deschiens nous ont laissé le gibolin. N’oublions pas Nabila qui a su renouveler le mot allô.

C’est triste à dire quand on aime la chanson, mais les paroliers paraissent bien faibles à côté de Cabu, Goscinny, Pierre Dac, Fernand Reynaud, Charles de Gaulle ou Nabila. Ces prétendus génies du mot ont l’oreille du peuple tout entier. Radio Nostalgie nous bourrent le crâne de leurs ritournelles. Résultat : le sociologue Michel Delpech, le provocateur Serge Gainsbourg, l’amoureuse Véronique Sanson, l’ado révolté Renaud, le droitiste Michel Sardou, l’idole des vieux/jeunes Johnny… quelles expressions toutes faites nous ont-ils laissées ? « Que je t’aime » ? Soyons sérieux : pas grand chose.

Ont-ils seulement essayé ? Je le crois. Par exemple, Serge Gainsbourg a essayé d’inventer tout ensemble une nouvelle chanson, un nouveau mot et une nouvelle danse : La décadanse, tentative contre-nature de rétrograder ce bon vieux slow au niveau de ringardise de la position du missionnaire. Jane Birkin et Serge Gainsbourg, La décadanse, en 1972.

 

Vidéo de l’Ina qui atteste le côté « plan com » de l’opération : ici ! Cette danse, je l’aurais plutôt appelée slowrette… Le plan n’était pas mauvais toutefois, j’en conviens. Mais l’échec fut complet : la chanson, quoique sulfureuse et bien écrite, n’a pas marché. Et surtout, la danse n’a rencontré aucun succès, je ne connais personne qui danse la décadanse (si vous en connaissez, balancez, hashtag balance ton décadanseur). Pourquoi cet échec ? Le public était peut-être rassasié de scandale après le succès de Je t’aime moi non plus ? Le contraste entre érotisme torride et jeu de mot bidon a dû plomber le concept « décadanse ». Et puis franchement, je ne suis pas danseur, mais ça m’a l’air un peu nul comme danse, je veux dire d’un point de vue strictement dansant, non ? Aller, on remet ça.

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