Érotisme des mathématiques

Paralipomènes de maths 2

En réunissant des chansons sur le thème des mathématiques, j’ai été frappé par le nombre d’allusions sexuelles qu’on y trouve. Par exemple, ce passage de C’est bien ma veine d’Arnold Turboust :

Une équation sexuée à l’évidence,
Aussi logique que E=MC2
Mise en scène par un gars prénommé Murphy
Serait la cause de tous mes tourments
.


Je ne cherchais pas spécialement ces allusions explicites ou implicites dans le répertoire mal défini des chansons mathématiques. Mais le charme ultime de la recherche est bien sûr de trouver ce qu’on ne cherche pas. Après quelques ruminations, je propose dans ce billet des explications à cette convergence inattendue.

Il y a tout d’abord le pouvoir du contraste, une astuce classique dans la chanson comique ou légère. On rapproche deux opposés, comme le charme et des petits calculs, ce qui capte l’attention de l’auditeur. Écoutez bien Ah ! Les p’tites Femmes de Paris, chanson du film Viva Maria !, par Brigitte Bardot et Jeanne Moreau.


Chez Mademoiselle K, dans Pas des carrés, l’opposition aux mathématiques est une métaphore d’un conflit conjugal.

C’est pas des carrés pas des losanges
Pas des conneries
Tu m’manques tu m’manques

Le sol est pas plat je suis pas aux anges
C’est pas c’qu’on m’avait dit
Tu m’manques tu m’manques

J’suis pas si tarée pas si carrée
J’déteste les mathématiques
Toujours autant toujours pourtant
Note et retiens combien de fois
J’me suis déduis de toi
De tout c’que t’aimeras pas


L’opposition de deux univers supposément incompatibles est parfois poussée plus loin dans un dispositif qu’on a déjà vu dans les chansons-blagues un peu lourdes sur les bouchers (le boucher amoureux, la femme du boucher, etc). Le Jardin y a consacré toute une série. Ici donc, on « matte la prof de maths », à la réputation pourtant peu sexy en général, dans La prof de maths du Grand Orchestre du Splendid.


Je parlais plus haut des bouchers. Et bien, j’ai même trouvé une chanson qui mange aux deux râteliers : poncifs sur les maths et sur les bouchers. C’est Acne vulgaris, d’Ingrid Caven. Ça raconte l’histoire d’une prof de maths (et de latin) couverte d’acné qui connait enfin l’amour « à plus de cinquante berges ». Mais circonstance aggravante, c’est avec un boucher, quelle horreur. Elle finit donc par se suicider. Les paroles originales (que je n’ai pas pu consulter) ont été écrites en allemand par Rainer Werner Fassbinder. On doit l’adaptation en français à Pierre Philippe qui commençait là sa carrière de parolier. Voir la série que l’émission Tour de chant sur France Musique lui a consacré.

Dans La Vénus mathématique de Guy Béart, l’opposition entre mathématiques et un érotisme vaguement graveleux est filée tout au long de la chanson. Bon, moi ça me touche un cosinus sans faire bouger l’autre, mais avis aux amateurs qui voudraient décortiquer ce salmigondi mi-paillard mi-mathématique. Notez que Guy Béart s’y connaissait un peu en maths puisqu’il était ingénieur de la prestigieuse école des Ponts et chaussées.


Marie Mathématique est plus subtile. Elle est carrément la petite sœur de l’icône érotique Barbarella. La jeunesse de l’héroïne (son âge est déjà une hyperbole permise par un paradoxe mathématique puisqu’elle aura « 16 ans dans mille ans ») empêche de trop expliciter les allusions érotiques. L’aspect mathématique n’est pas très développé non plus et reste voilé de mystère. Tout au plus, les motifs géométriques de la « robe de frisson » sont suivis de quelques images suggestives vers la fin de la vidéo. Gainsbourg est à la composition et au chant, les paroles sont d’André Ruellan et les rires de France Gall.


Marie Mathématique nous amène tout droit à une autre modalité de l’usage érotique des mathématiques en chanson : le mystère, ou même l’ésotérisme. Dans un registre où il est de meilleur goût de suggérer que d’expliciter, le vocabulaire abstrait et sonore des mathématiques, voire le mot « mathématiques » lui-même, est évidemment une ressource. Hubert-Félix Thiéfaine appelle par exemple Mathématiques souterraines une chanson plus sexuelle que scientifique, sans que l’on sache bien ce que les mathématiques viennent y faire.


Hubert-Félix Thiéfaine est aussi le plus numérologue des chanteurs. Il entrelace des allusions sexuelles avec les nombres mystérieux dont il parsème ses paroles. Par exemple dans Chambre 2023 (et des poussières) :

J’étais Caïn junior le fils de Belzébuth
Chevauchant dans la nuit mes dragons écarlates
Et m’arrêtant souvent chez les succubes en rut
J’y buvais le venin dans le creux de leur chatte
Et les ptérodactyles me jouaient du trombone
Au quatorzième sous-sol quarante-deuxième couloir
Où les anges déchus sous un ciel de carbone
Aux heures crépusculaires sodomisent les miroirs


Le temps d’une chanson, Thiéfaine quitte les mathématiques pour la physique, avec les quarks et quasars, aux deux extrêmes de l’univers. Le quark est la plus petite des particules élémentaires et le quasar l’un des objets les plus énergétiques et lointains du cosmos ! Que ce grand écart conduise à devenir « cunnibilingue » est tout de même une ellipse… Amants destroy :

Travail de nuit, petit matin
Jouissance, violence entre ses seins
Visage éclaboussé de nacre
Amour, bagatelle et massacre

Sur les fusibles du hasard
Entre les quarks et les quasars
Elle détruira son teddy boy
Cunnibilingue et lousy toy


Dans la chanson au titre suggestif, Ad orgasmum æternum, Thiéfaine invoque l’abstraction de l’inconnue X des mathématiques. À moins que ça ne soit le X du classement X au cinéma ?

Dans cité X, y a une barmaid
Qui lave mon linge entre deux raids
Si un jour elle apprend mon tilt
Au bout d’un flip tourné trop vite
Je veux pas qu’on lui renvoie mes scores
Ni ma loterie ni mon passeport

Gainsbourg lui aussi utilise l’inconnue X et des listes de nombres dans L’hôtel particulier, l’un des titres du célèbre album Melody Nelson. Je note qu’il date de 1971 et la loi sur le classement X de 1975. En France du moins, car au Royaume-Unis, le « X-certificate » a remplacé le « H-certificate » en 1951. Le clip est de Jean-Christophe Averty (je ne peux pas l’incruster car Youtube a posé une limite d’âge, cliquer ici si vous êtes majeur).

Au cinquante-six, sept, huit, peu importe
De la rue X, si vous frappez
À la porte
D’abord un coup, puis trois autres
On vous laisse entrer
Seul et parfois même accompagné

Après Thiéfaine, l’auteur de chanson qui entrelace le plus sexe et mathématiques est certainement Léo Ferré. Lui aussi tire parti de l’ésotérisme des maths, source inépuisable de sonorités et d’allusions plus ou moins heureuses. Il entre un peu plus dans la signification des concepts, lui qui écrivait : « Je me propose dans ma solitude définie, une morale non euclidienne. » Dans Des mots, il y a tout un vocabulaire mathématique ou issu des sciences physiques. Par exemple :

MC2, MC2 aime-moi donc, ta parallèle
Avec la mienne, si tu veux, s’entrianglera sous mes ailes
Humant un peu par le dessous, je deviendrai ton olfacmouette
Mon bec plongeant dans ton égout quand Dieu se vide de la tête

Dans La mémoire et la mer :

Quand j’allais géométrisant
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans les draps d’aube fine


Dans cette dialectique de l’inexorable et du voluptueux, les mathématiques avec leurs vérités définitives sont bien sûr dans la région de l’inexorable et de la virilité. Mais dans La preuve par trois, Zazie géométrise de manière plus féminine, en traçant à même les corps une sorte de carte du tendre :

Si je reprends tout depuis le début
Pour résoudre le problème
De cette équation à 2 inconnus
Suffit de savoir qu’ils s’aiment
Si j’ajoute à ça que le point G
Se trouve à l’intersection
De 2 corps en position allongée
Tu auras la solution

Les mathématiques sont aussi parfois neutres, lorsqu’elles illustrent simplement une réalité objective dans laquelle se déploient des histoires plus humaines. Pas besoin alors d’espaces abstraits ou de concepts abscons, de bonnes vieilles parallèles font très bien l’affaire. Les amants parallèles de Vincent Delerm.

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Accent tonique contrarié

Peut-on chanter en français – 23

Puisqu’Yves Simon nous parlait d’accent tonique dans le dernier billet, je vous propose une sélection de chansons françaises qui ont la particularité que la chanteuse ne respecte pas l’accent tonique habituel du français. Celui-ci n’est pas très marqué, ne change jamais le sens des mots comme dans certaines langues, et tombe sur la dernière syllabe des mots. En chanson, on peut contrarier ces règles dans une certaine mesure.

Musique, de Michel Berger, par France Gall, qui tape fort sur le « mu » au détriment du « sique ». Ou au détriment de la ‘zique peut-être ?

Dans Est-ce que ce monde est sérieux de Francis Cabrel, l’accent tonique tombe sur la première syllabe de « sérieux », de « commence », « pantin », « minus », etc etc. Accent du sud-ouest ou accent tonique à l’anglaise ? À moins que ça ne soit tout simplement une réminiscence de la Gascogne anglaise.

Oh Gaby de Bashung. L’accent tonique est léger, mais il tombe bien sur « Ga » et par sur « by » on dirait.

Un peu pareil dans Madame rêve, on est un peu plus sur « ma » que sur « dame », enfin faites ça où vous voulez à la fin.

Le pénitencier, accent tonique sur « ten ».

Puisque tout ça commençait par d’une citation d’Yves Simon, je note que dans New York, il respecte assez scrupuleusement l’accent tonique bien de chez nous sur la fin des mots, en contradiction avec l’américanisme proclamé de la chanson.

Pour conclure ce billet sur l’accent tonique, un travail intéressant de Camille sur les accents rythmiques. J’ai tout dit.

Ce billet est pour l’essentiel tiré d’un cours donné par Jérôme Rousseau alias Ignatus à l’École Nationale de Musique de Villeurbanne.

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Marie Mathématique

Mathématiques et chansons 1/44

Chères lectrices et lecteurs du Jardin,

Vous avez peut-être noté une interruption de la série Gainsbourg pendant l’été. C’était trop de travail pour des vacances. Je la reprendrai à l’occasion. En attendant, les séries thématiques redémarrent en cette rentrée. Il y aura une série sur le handicap, plusieurs séries sur les chansons qui parlent de chansons. Et bien sûr, chaque week-end, la chronique « la balade aux jardins actuels » de Jean-Christophe.

On commence l’année par une série sur les liens entre mathématiques et chansons. Dans la série d’été, j’observais la diversité des inspirations de Gainsbourg et constatais que sur n’importe quel sujet, on trouvait toujours l’une de ses chansons. Qu’en est-il des mathématiques ? Je vous propose le dessin animé Marie Mathématique, une émission de télé de 1965. Textes d’André Ruellan, dessins de Jean-Claude Forest, musique et interprétation des chansons de Serge Gainsbourg. On entend le rire de France Gall.

À part le nom, le rapport entre Marie et les mathématiques n’est pas très clair. Je retiens l’onirisme abstrait en général et les motifs géométriques de la robe de frissons en particulier. Je n’ai pas trouvé l’intégrale du dessin animé. Intégrale de l’audio ci-dessous.

1 – Marie Mathématique
2 – Parallèles
3 – Booba, mathématicien du 100-8
4 – Tu fais trop de mathématiques
5 – Seul
6 – Si j’avais un piano
7 – Pourquoi la fatma l’a mis le feu ?
8 – Évariste
9 – Avec moins de clarté que de ferveur
9bis – Le chien du pope
10 – C’est quand qu’on va au pont-aux-ânes ?
11 – Pi
12 – Le théorème de l’électeur médian, l’art majeur et l’art mineur
12bis – Les arbres de Corot
13 – C’est bien ma veine
14 – Trois est un nombre magique
14bis – Great Teacher Issapa
15 – Pas des carrés
16 – Common knowledge
16bis – Everybody knows
17 – La preuve par trois
18 – Un zéro
19 – Rien
20 – New math
21 – Ma thématique
21bis – There a delta for every epsilon
22 – Compter
23 – La prof de math
23bis – L’enfant et les additions
24 – Deux fois deux font quatre
25 – Groupe d’automorphismes des chansons
26 – L’homme orange
27 – Mettre Euclide dans une poubelle
28 – La mémoire et les maths
29 – Lobachevsky
30 – Les valeurs approchées
31 – La vénus mathématique
32 – Mathématiques souterraines
33 – Logarithme 70
34 – Humour tautologique
35 – Quand j’étais petit, je n’étais pas grand
36 – Logical
37 – Permutation circulaire
38 – Contraposée
39 – Je serais pas Mistinguett si j’étais pas comme ça
40 – Les nombres négatifs
41 – Moins deux
42 – 7 est égal à -1 modulo 8
43 – Boby Lapointe, Euclide de la chanson
44 – That’s Mathematics
44bis – Amor Matemático

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Les arbres de Corot

La chanson, art majeur ou art mineur VIII. Chanson et peinture 9/17

On survole aujourd’hui le répertoire assez abondant des chansons consacrées à un peintre en particulier. Les arbres de Corot, de Pierre Delorme.

Le Johnny qui chante la peinture, c’est le Johnny artiste, celui qui a quelque chose de Tennessee. Comme tout le monde quoi. Un tableau de Hopper, Johnny Hallyday

Michel Berger, dans une tentative pour trouver un bon sujet pour le bac philo : « Si le bonheur existe, c’est une épreuve d’artiste ». D’accord, mais d’artiste majeur ou mineur ? France Gall, Cézanne peint.

1 – Pourquoy n’aura mon langage, son or et ses douces fleurs ?
2 – Être Dieu
3 – Brel à Gauguin
4 – Goya et la chanson
4bis – Goya bis
5 – La peinture en bâtiment est-elle un art majeur ?
6 – Figure mythique du peintre
7 – Van Gogh, peintre par excellence de la chanson
8 – Autres personnages de peintres
9 – Les arbres de Corot
10 – Regard impressioniste
11 – La Joconde
12 – Nicolas Schöffer
13 – Ekphrasis
14 – Serge Rezvani
15 – Nino Ferrer
16 – Mick Micheyl
17 – Serge Gainsbourg

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Fautes de goût et décalages divers

La chanson sexuellement explicite 14/18
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La chanson sexuellement explicite est évidemment un espace privilégié pour diverses fautes de goût intentionnelles et autres décalages balourds. Par exemple, prenez l’homme le moins sexy du monde et faites lui chanter des bidules plus ou moins suggestifs entre de longues paires de jambes chaussées de cuissardes. Qu’est-ce qu’on rigole. Marcel Zanini, Tu veux ou tu veux pas ?

Je t’aime moi non plus, chanté par le chœur d’hommes de l’opéra Garnier, ça prend un relief bouffon. Cette reprise était la chanson-hôn préférée de Philippe Meyer il me semble.

Les sucettes encore, par l’ensemble vocal Garnier, dirigée par Gainsbourg en personne et présentée par Jacques Martin, probablement lors d’une de ses tentatives pour battre le record du mauvais gout dans la catégorie rire gras. Je ne vous sers pas une n-ième resucée  de l’histoire des Sucettes, y en a marre. Ceux qui ne connaissent pas peuvent aller voir ici.

À la décharge de Gainsbourg, il n’était pas le seul à écrire des paroles équivoques pour France Gall. La petite, en duo avec Maurice Biraud. Et croyez-le ou pas, les paroles sont de Robert Gall, père de la jeune France.

Puisqu’on parlait des Sucettes, je vous passe Banana split, un rien moins rabâchée et plutôt meilleure comme chanson. Lio, qui fait une entrée bien tardive au 745è billet du blog.

Une reprise toute récente, avec les Fatals Picards, et Lio la magnifique, bien sûr.

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Michel Berger

La chanson, art majeur ou art mineur I. L’énigme ART 6/9
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Bravo à Pierre C., internaute de Paris pour sa résolution de l’énigme !! Les chansons d’aujourd’hui, sans tout à fait cadrer dans l’énigme, ont un rapport presque direct avec elle. On est avec Michel Berger et France Gall.

Michel Berger, Y a pas de honte.

Un pot pourri.

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Alain Goraguer n’a rien composé pour Nougaro

Ils n’ont rien composé pour Nougaro 5/8
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Nougaro a chanté sur des musiques de plusieurs compositeurs ou arrangeurs français qui ne sont associés à aucun courant musical précis. Les électrons libres Michel Colombier ou Jean-Claude Vannier par exemple, et surtout Michel Legrand. Mais rien d’Alain Goraguer, qui a beaucoup travaillé pour Gainsbourg ou Ferrat. On en reparle dans une future série sur les arrangeurs de Gainsbourg.

Goraguer a par exemple écrit les arrangements de Poupée de cire, poupée de son. Par France Gall.

Goraguer était aussi un excellent compositeur avec par exemple la bande originale de La planète sauvage, dessin animé de René Laloux.

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L’été indien

Paralipomènes 21/67
(la série qui revient en 68 billets sur les 44 premiers thèmes du blog)
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Je vous ai passé une chanson de Pierre Delorme sur Gauguin pour remercier Christelle, qui a peint la belle image qui illustre mon blog. Si vous aimez, allez voir tout ce qu’elle fait sur son compte instagram, ici.

J’en profite pour repasser une chanson de peinture (on consacrera bientôt une série à ce sujet). La chanson d’aujourd’hui est dédiée à tout ceux qui croient que Cézanne est un personnage inventé par France Gall, ou que Pablo Picasso doit sa célébrité au fait d’être l’anagramme de Pascal Obispo. Et surtout à ceux qui croient que Marie Laurencin était la petite copine de Joe Dassin. Ça prouve juste qu’ils sont d’authentiques amoureux de la chanson, total respect ! Et spéciale dédicace pour Christelle donc. L’été indien.

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