Gustave Flaubert confiné

Cinq écrivains confinés 1/6

Pour tuer l’ennui du confinement, je me suis pris au jeu du pastiche. J’ai essayé d’imaginer comment cinq grands écrivains auraient traité cette époque bizarre. Pour commencer, Gustave Flaubert.

Un cœur confiné

C’était au Margouillet, hameau de Pontville, pendant le confinement. Le soleil couchant éclairait encore les terrasses ; et, cédant à la mode parisienne, Bonveau organisait un apéritif au balcon. L’annulation du second tour des élections municipales ayant laissé vacant un poste d’adjoint à la culture, il avait pensé déclencher un « buzz » en ameutant le hameau via sa messagerie Snapchat ; mais il ne s’y entendait pas, confondit son login et son password, si bien que personne ne reçut l’invitation et que seule se présenta la Thierriaz, qui avait récemment racheté la maison d’en face, une ruine prête à s’écrouler. Le fils Bonveau, qui aimait secrètement sa fille Louise, s’était arrangé pour qu’elle eût vent de la sauterie par un groupe Facebook de prière tibétaine soutenu par la gauche radicale.

La Thierriaz avait donné dans le syndicalisme, la biodynamie, le bénévolat, l’homéopathie, créé plusieurs Amap qui ruinèrent cinq paysans, avait une fois écrit un email à José Bové après une peine de cœur, flattait désormais un besoin racorni d’absolu dans le compostage des ordures et enjoignait à sa fille unique de ne point s’épiler les aisselles. Cependant que la nuit tombait, elle avalait à petites gorgées un vin naturel horriblement acide en écoutant Bonveau tonner contre l’ENA, les coiffeurs et les raccourcis clavier. Il avait fait fortune dans des incubateurs de start-up financés par la région, connaissait huit manières différentes de découper les volailles, ambitionnait à ce sujet d’écrire un traité pour rétablir le savoir-vivre et s’exaspérait de l’abolition de la méritocratie. Enfin, il croyait au libéralisme, mais Macron décourageait le pays par l’en-même-temps et le refus de donner une plus large extension aux expériences du professeur Raoult. Car s’il n’y prêtait pas foi lui-même, ayant passé l’âge des naïvetés, il y voyait un moyen de donner des gages au peuple sans aggraver le déficit, mot qu’il prononçait toujours d’un air grave en fronçant les sourcils. Par cette tirade, il pensait s’attirer une voix, voyait s’approcher la dignité de conseiller municipal et mille choses plus indéfinissables qui faisaient frémir son esprit déjà échauffé par un martini-on-the-rock servi par son épouse.

Elle avait préparé cinq cocktails différents, une multitude de zakouskis et des toasts de guacamole, ce que la Thierriaz désapprouva, la culture de l’avocat affamant les Indiens du Paraguay. Mme Bonveau ne le releva pas, pratiquant depuis une semaine « la positivattitude ». Elle accusait les albums du Père Castor que lui avaient offerts ses parents lorsqu’elle était enfant et un abonnement à Télérama de toutes les platitudes de son mariage, puis ayant enfin lu tout ce qui concernait le développement personnel, avait des prétentions à l’astronomie. Elle proposa à l’assistance de contempler les étoiles. Mais elle ne savait pas la différence entre Jupiter et la galaxie d’Andromède, croyait que la précession des équinoxes était causée par le grand pendule de Foucault, donna des explications si embrouillées sur les phases de la lune que Bonveau dut l’interrompre par ce qu’il croyait être un mot : « ma chérie, si tu continues ainsi, nous finirons tous mal lunés ».

Cependant, Louise était mollement accoudée sous la treille, ses cheveux clairs flottait dans l’air humide, et le vent entrouvrait son sari en pagne de Bouaké, une mode dont elle s’était entichée. Des rayons de lune frôlaient la douce échancrure des collines, et la bise dans la nuit était comme la respiration profonde de l’univers. Le fils Bonveau sentait s’épancher toute son âme dans son smartphone et il lui envoyait des sms. Il avait le nez en trompette, un air de pitre et quelque chose d’à la fois imbécile et profond dans l’expression. Après avoir étudié tous les usages des émoticônes, il se représentait en séducteur. Il essaya différentes sortes de smileys, passa aux chatons, aux parts de pizza puis s’enhardit jusqu’au poireau. « Crois-tu que nous nous verrons après le confinement ? ». Elle répondit en soupirant « Hé, si mon karma le veut ».

Mais le jour se levait déjà, et Bonveau, qui escomptait des pénuries et entretenait discrètement des relations avec plusieurs éleveurs du voisinage, était descendu dans sa cave. S’attendrissant sur lui-même tout en remplissant son congélateur de côtes-de-boeuf, il murmura : « j’ai trop bon cœur ».

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Pfou, quel boulot, j’espère que ça vous a plu, parce que c’est pas fini. Et j’ai presque oublié qu’il fallait une chanson … Je vous propose Madame Bovary, par Juliette Gréco.

1 – Gustave Flaubert confiné
2 – Georges Perec confiné
3 – Jean Racine confiné
4 – René Goscinny confiné
5 – Jorge Luis Borges confiné
6 – Gustave Flaubert confiné (dans sa correspondance)

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Casimir Oberfeld

Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 6/23

On évoque dans ce billet Casimir Oberfeld, compositeur juif polonais immigré en France dans l’entre-deux guerre. Il y devient un compositeur de chansons renommé. On lui doit par exemple Paris sera toujours Paris, Félicie aussi popularisée par Fernandel, ou encore C’est vrai !, peut-être la chanson la plus connue de Mistinguett.

Casimir Oberfeld a été déporté à Auschwitz fin 1943. Il y a survécu comme musicien dans l’orchestre et est mort dans les marches qui ont suivi l’évacuation du camp par les Allemands en janvier 1945.

Il semblerait que la musique de l’hymne officieux de l’État français, Maréchal nous voilà, soit un plagiat de La Margoton du bataillon, chanson composée par Casimir Oberfeld pour une opérette. On a déjà vu dans un billet précédent que le slogan de l’état français « la terre elle ne ment pas » serait dû à Emmanuel Berl, juif alsacien. Maintenant c’est Maréchal nous voilà. Ce type de rapprochements ridicules ou tragiques est simplement le signe de l’intégration complète des juifs à la société française d’avant-guerre. L’absurdité de ces coïncidences, c’est en miroir l’absurdité de l’antisémitisme. Il y a de nombreux autres exemple et pour me restreindre à la chanson, j’en cite un dernier. Le chansonnier Montéhus, de son vrai nom Gaston Mardochée Brunswick, était un juif alsacien. On lui doit des chansons engagées comme La butte rouge ou Gloire au 17e. Il paraît qu’il était ami avec Lénine, mais aussi avec Pierre Laval, qui aurait tenté de le faire témoigner lors de son procès en 1945.

La Margoton du bataillon par Armand Bernard.

Je vous propose encore Maréchal, version parodique de Maréchal nous voilà, en 1983. Les paroles sont de Georges Coulonges et la musique est de Jean Ferrat (dont on reparle bientôt), qui s’inspire de l’original, ou de l’original de l’original peut-être. Interprétée par Juliette Gréco. Noter que la mère et la sœur de Juliette Gréco ont été déportées à Ravensbrück pour résistance en 1943. La jeune Juliette n’y a échappé qu’en raison de son âge (elle avait 15 ans), et a été jetée en prison. À la libération de Paris, presque un an avant celle de Ravensbrück, Juliette Gréco a été hébergée chez Hélène Duc près de Saint-Germain-des-Prés.

1 – La chanson de Simon Srebnik
2 – La chanson de Treblinka
3 – Yisrolik
4 – Le chant des marais
5 – Le Verfügbar aux Enfers
6 – Casimir Oberfeld
7 – Êtes-vous heureux ?
8 – La fontaine endormie
9 – Il n’y a plus de roses rue des Rosiers
10 – Le petit train de Rita Mitsouko
11 – Comme-toi
12 – Nuit et brouillard
13 – Smoke gets in your eyes
14 – Pitchipoï
15 – Évariste
16 – Au fil du temps
17 – Les Ramones à Bitburg
18 – Signé Furax
19 – Des voix off
20 – Roméo et Judith
21 – Culture du camp
22 – La troisième symphonie de Górecki
23 – Beltz

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Léo Ferré est-il misogyne ?

Féminisme / sexisme 6/16

On s’attaque aux grands de la chanson, avec cette lancinante question : sont-ils misogynes ? Ne perdons pas de temps en débat stérile : la réponse est oui (sauf un qui sera révélé plus tard). Chez Léo Ferré, la misogynie est parfois implicite, au milieu de ses plus belles chansons. Par exemple, dans La vie d’artiste, la répartition des rôles dans le couple est claire : à l’homme tout ce qui est créatif (« le piano ») et à la femme tout ce qui est répétitif (« le phono ») ou bassement matériel (« la fin de mois », quelle mesquinerie franchement).

Je note toutefois que La vie d’artiste est une chanson neutre. Je veux dire que si on lit les paroles, il n’y a aucun indice grammatical du genre des deux protagonistes, ils pourraient être homosexuels, transgenres, non binaires, ce que vous voulez. Ce qui permet à Barbara de reprendre la chanson à la première personne sans changer un seul mot des paroles.

Jolie môme est l’une des chansons les plus connues de Ferré, et le public ne remarque pas toujours à quelle point derrière la musique guillerette les paroles sont désobligeantes. Léo va jusqu’à chanter « T’es qu’une chose », explicitation assez rare en chanson de la femme-objet. Extraits :

T’es qu’une vamp qu’on éteint
Comme une lampe au matin

T’es qu’une étoile d’amour
Qu’on entoile aux beaux jours

T’es qu’un point sur les  » i « 
Du chagrin de la vie
Et qu’une chose de la vie
Qu’on arrose qu’on oublie.

Plusieurs lecteurs et lectrices m’ont dit qu’ils ne ressentaient pas la chanson comme sexiste… Ça peut toujours se discuter, d’autant que la première interprète de la chanson était Juliette Gréco.

Pour conclure, Ton style, chanson belle et ambiguë, qui balance entre amour et misogynie. Le concepteur de la vidéo a eu l’idée d’intercaler des images de luttes féministes qui donnent un relief original aux paroles.

1 – Les petites filles de Michèle Bernard
2 – Êtes-vous sexiste-Beatles ou sexiste-Rolling Stones ?
3 – Jane Birkin
4 – Marie Dubas nous fait mal
5 – Les rapeurs sont-ils jugés sexistes ?
6 – Léo Ferré est-il misogyne ?
7 – Jacques Brel est-il misogyne ?
8 – Georges Brassens est-il misogyne ?
9 – Gainsbourg est-il misogyne ?
10 – Les z’hommes
11 – Le monsieur du métro
12 – À part peut-être Renaud
13 – Anne Sylvestre
13bis – La faute à Ève
14 – Rimes féminines
15 – Ne vous mariez pas les filles
16 – Nettoyer, balayer

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Boris Vian, l’anti-poncif

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 4/12
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Les amis de Crapauds et Rossignols réagissent à ma série, voir ici. Ils ne sont pas d’accord… ça tombe bien, moi non plus.  Je continue donc malgré tout, car la verve du rossignol n’atteint pas le blanc crapaud 🙂

Nous continuons donc d’explorer le rapport que les grands paroliers entretiennent avec le poncif. Aujourd’hui, Boris Vian. Voilà bien un auteur-compositeur interprète qui s’est frotté aux arts majeurs : écriture de romans, musique savante (le jazz). Voire même, en considérant l’ingénieur Vian et en se référant aux classifications anciennes de l’art, à l’arithmétique, l’astronomie, etc. Étudier ses chansons et leur rapport au poncif, voilà qui nous plongera à coup sûr dans la chanson-art-majeur.

Pourtant, une difficulté survient à l’étude de ses paroles : elles sont mal écrites, ce qui est bizarre pour de l’art. Avant d’en donner des exemples, en voici un indice : l’existence de variantes. Le déserteur a deux fins (voir ici). Le cas est particulier, mais il n’est pas isolé. Pour certaines chansons, il y a des versions complètement différentes de couplets entiers, un vrai bric-à-brac. La java des bombes atomiques a plusieurs versions (impossible de les retrouver, si quelqu’un peut m’aider). Le cinématographe possède deux fins (une au masculin, l’autre au féminin). Si vous changez un seul mot d’une strophe de Brassens, presque à coup sûr, vous l’affaiblissez. Vian, non, c’est malléable. Ses chansons écrites dans l’urgence de sa courte vie ne sont pas figées par le polissage.

Passons aux exemples. Dans La complainte du progrès, on entend « Maintenant c’est plus pareil, ça change ça change ». Style nul, même dans un slogan publicitaire on n’oserait pas. Ensuite, « frigidaire » rime avec « scooter », absurdité phonétique. Quant à « Gudule », Vian le fait rimer avec « embrasser », c’était pourtant pas compliqué de trouver une rime plus riche. Écoutez la chanson, et délectez-vous du beau clip sur youtube, avec notamment des extraits de films de Jacques Tati.

D’accord, c’est peut-être plaisant, nul ou génial, comme il vous plaira, mais c’est sûrement mal écrit. Comment définir l’écriture de Vian ? Il ne renonce pas à la rime et, en bon auteur de chanson, il est attentif à la manière dont le rythme des consonnes épouse la musique. À part ça, il envoie à la poubelle métaphore, jolie tournure, métrique savante, mot juste, mot rare, le pair, l’impair, la musique-avant-toute-chose, les enjambements, tout ce vieux fatras qu’on appelle Poésie Française, dans lequel Brassens et quelques autres puisent et versent comme à la brocante. Ça plait ou pas, mais après des décennies de révolution dans les arts plastiques et la littérature, ce serait un contre-sens d’attendre de la chanson-art-majeur des poésies tournées comme au temps jadis.

On peut interpréter le style de Vian de bien des manières. Ses paroles ont quelque chose de l’improvisation. Elles sont malléables, comme écrites vite et comme par amusement et par n’importe qui. Vian renouerait-il avec la tradition ancestrale du timbre et de la chanson d’actualité, refondue dans une pratique issue du jazz, l’improvisation sur un standard ? Peut-être. Son écriture est sûrement pionnière : simple et sans fioriture. Contrepartie populaire et pataphysicienne des recherches formelles de Francis Ponge, elle ouvre la route à Gainsbourg, Souchon, Delerm…

Mais qu’en est-il du poncif ? Vian en fait très peu usage. Quand il chante dans Le cinématographe « Belle, belle, belle, belle comme le jour / Blonde, blonde, blonde, blonde comme l’amour », ça n’a rien à voir avec Claude François qui chante « Belles, belles, belles comme le jour / Belles, belles, belles, comme l’amour » dans Belles, belles, belles. Vian chante au second degré, il parle de ce que le public voit projeté sur un écran. Et puis « blonde comme l’amour », c’est curieux franchement, ça parle du poncif sans en être un si vous me suivez.

On avait déjà remarqué l’absence des poncifs habituels sur le « savant » dans La java des bombes atomiques (voir la série sur les scientifiques dans la chanson, ici). Cet aspect de l’écriture de Vian est remarquable : tout plat et mal écrit que ça soit, il n’y a pas de formule poétique toute faite ni de rime automatique. En cela, elle n’est pas si « facile » qu’elle peut le paraître.  Comment Vian fait-il alors pour nous faire entendre la chose déjà entendue, à laquelle on s’accroche pour digérer ses textes sans effort ? La chose déjà entendue, je pense que c’est la langue elle-même. Une langue de tout le monde qui, sans exclure l’invention, use de tournures banales. Il n’y a pour autant pas de recherche d’une couleur populaire, pas de cet argot érudit qui encombre la chanson réaliste et jusqu’à Renaud ou Pierre Perret. Pas de parlé « authentique » déniché par je ne sais quel folkloriste…

La langue Vian est plate, réaliste, et je la rapproche du néo-français de son ami Raymond Queneau. Le néo-français était un projet global pour remplacer le français écrit qui allait selon Queneau devenir une langue morte. À la manière des écrivains de la Renaissance, il projetait d’extraire de la langue réellement parlée une nouvelle grammaire et une orthographe vernaculaire. Queneau a mis en pratique son projet dans ses œuvres, mais cela a été interprété par le public et la critique comme un exercice de style, adieu Néo-Français.

À propos, Raymond Queneau a aussi écrit des chansons. Si tu t’imagines, sur une musique de Joseph Kosma, par Juliette Gréco.

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Chienne d’énigme

L’énigme ALF 9/9
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Voici l’heure tant attendue de la solution. Vous l’avez tous deviné, le point commun de toutes les chansons passées dans l’énigme, c’est qu’elles parlent d’un sujet qui n’est révélé qu’à la fin de la chanson (A La Fin = ALF) : la solitude, l’âne gris, les deux amoureux qui s’ennuient, pourquoi LV88 dit Hou La La, le sujet la lettre reçue par Renan Luce, le motif de la sieste du dormeur du val, le père de Barbara, etc.

Dans le même style, Pierre Delorme nous propose Le monsieur et le jeune homme, de Guy Béart. Par Juliette Gréco.

Pour conclure, je vous propose un exemple encore plus extrême : une chanson où on ne dit pas du tout de quoi ça parle, même à la fin. Chienne d’idée, Maxime Le Forestier et Vanessa Paradis.

Et oui, c’est quoi cette chienne d’idée ? C’est la liberté, mais ça n’est jamais dit explicitement. Je tiens l’info d’une interview du parolier, Boris Bergman.

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La môme à trois pieds

Paralipomènes 18/67
(la série qui revient en 68 billets sur les 44 premiers thèmes du blog)
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La onzième série du blog était consacrée à l’Ouchanpo, variante chansonneuse de l’Oulipo. On demandait quelle chanson déjà donnée dans le blog est écrite en vers de trois pieds. Personne n’a trouvé la réponse, c’est sûrement faute d’avoir cherché… Réponse : Jolie môme de Léo Ferré, qu’on avait passée dans la série sur le sexisme (chantée par Juliette Gréco, ici). Je vous passe la version de Ferré.

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Cayenne

Putain de métier 1/11
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Le jardin a déjà exploré l’image de divers groupes sociaux dans la chanson. Tout d’abord les Roms (ici), groupe le plus discriminé en France et en Europe. Leur image dans la chanson est pourtant excellente : les chansons vantant tel Gitan ou tel Manouche sont légion, à tel point que Le Gitan est devenu une sorte de personnage conventionnel qui permet d’évoquer beaucoup en peu de mots : liberté farouche, amitié, générosité, honneur, etc. Nous avons aussi évoqué les scientifiques, catégorie sociale parmi les plus favorisées, et dont l’image dans la chanson est presque systématiquement négative, voir ici. La chanson serait donc l’art d’inverser la réalité ? Miroir, contre-pied, contre-poids, le paradoxe est vieux comme la chanson réaliste.

Qu’en est-il de l’image de la prostituée dans la chanson ? C’est le thème de la série qui démarre aujourd’hui, et les chansons ne manquent pas. Encore une fois, on va voir que le lien avec la réalité est parfois distendu. Mais à la différence des Roms et des scientifiques dont l’image dans la chanson est nette et univoque, la situation est complexe : la chanson met en scène un véritable débat sur les prostituées. Sont-elles « filles de joie » vouées aux délices de l’amour, ou esclaves honteusement exploitées ? Le bordel est-il un lieu d’exotisme, d’abattage ou de raffinement ? Doit-on le regretter, voire même le célébrer comme lieu de haute culture (on a déjà passé une chanson là-dessus : Nos chères maisons, par Juliette Gréco, ici) ?

Pour commencer notre étude, on part des racines de la chanson réaliste, avec Cayenne, une chanson de Bruant qui raconte la vie d’un maquereau. La putain y est bien présente avec une image assez nette : elle est la compagne de l’Apache, en butte comme lui au mépris du « richard » en particulier et de la Société en général. Je vous en passe une reprise rock-punk par le groupe Parabellum.

Une version que j’aime bien, très punk aussi, par Sanseverino, qui se prend pour Jimi Hendrix le temps d’un mini-pont…

Parabellum omet le dernier couplet :

Sur la tombe on lira
Cette glorieuse phrase
Écrite par des truands
D’une très haute classe
Honneur à la putain
Qui m’a donné sa main
Si je n’étais pas mort
Je te baiserais encore !

Sinon, vous avez remarqué que Nina est la « reine des morue de la plaine Saint-Denis » ? Les parisiens s’attendraient plutôt à la rue Saint-Denis, haut lieu de prostitution. Mais vérification faite, c’est bien la plaine Saint-Denis, un quartier de la banlieue nord de Paris où on a construit le Stade de France et où on tourne des émissions de télé comme Loft Story, rien à voir avec la prostitution donc.  Le « petit cimetière près de la rue Saint-Martin », on le cherche encore.

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Baudelaire, on en parle

L’affaire Verlaine 1bis/9
1 – 1bis – 2 – 2bis – 3 – 4 – 5 – 67 – 89 – 9bis

J’ai écrit dans le dernier post que je ne connaissais pas de chansons qui cite Baudelaire. Floréal me signale dans un commentaire Comme Rimbaud de Brigitte Fontaine (merci) :

Et je jure que c’est vrai, j’en ai entendu une autre quelques heures après avoir écrit le post, dans un podcast de Étonnez-moi Benoît, l’émission de Benoît Duteurtre sur France Musique.  Il doit y en avoir plein en fait.  Nos chères maisons, paroles de Bernard Dimey, interprétée par Juliette Gréco. Le jour où j’écris ces lignes, la vidéo sur youtube a seulement 216 vues, ce qui est assez injuste, la chanson est très belle. Encore un petit effort Juliette avant de rattraper Gangnam Style. On retrouve Verlaine dans le prochain post.

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Fallait-il que je la déclamasse pour que vous la sussiez ?

Imparfait du subjonctif 3/5
– 1bis – 2 – 3 – 4 – 5

L’imparfait du subjonctif est un peu pédant, mais il est si plein d’auto-dérision qu’on le lui pardonne (le passé simple a aussi un gros potentiel). Voici la Complainte Amoureuse d’Alphonse Allais.

La complainte a été mise en musique, mais pour une fois je trouve qu’on y perd plutôt. Faites vous votre opinion avec Juliette Gréco.

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