Souchon et Ferré

Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 3bis/19

Cette série suscite de nombreux commentaires, merci à tous. Simon me propose Et si en plus y’a personne d’Alain Souchon. Je note que la chanson s’inscrit bien dans le répertoire « anticlérical œcuménique », avec bien sûr le supplément de finesse du grand Souchon.

 

Patrick Hannais me propose Marizibil, poème de Guillaume Apollinaire, qui a été mis en musique par plusieurs compositeurs (sur le site de la SACEM, je trouve parmi quelques autres Léo Ferré, Bernard Lavilliers, François Béranger et George van Parys).

Elle se mettait sur la paille
Pour un maquereau roux et rose
C’était un juif il sentait l’ail
Et l’avait venant de Formose
Tirée d’un bordel de Changaï

Ce texte vieux de plus d’un siècle ne suit pas du tout les sortes de règles non-écrites qui (probablement depuis la Shoah) régissent l’évocation des juifs en chanson, et que j’ai découvert en préparant cette série. Il me sembler dater d’un temps révolu, où les juifs vivant aux marges de la société évoquaient un monde interlope, la prostitution ou la délinquance. Procurez-vous le roman Les contrebandiers d’Oser Warszawski traduit du yiddish par Aby Wieviorka et Henri Raczymow pour un témoignage sur ce monde perdu. Marizibil par le groupe Entre 2 Caisses.

Je connais gens de toutes sortes

Ils n’égalent pas leurs destins
Indécis comme feuilles mortes
Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes

1 – Le chandelier
2 – Le mot « juif » dans des listes
3 – La chanson anticléricale œcuménique
3bis – Souchon et Ferré
4 – Le juif non-dit
5 – Les juifs chez Gainsbourg
6 – Un juif célèbre
7 – L’Aziza
8 – La chanson pro-israélienne
9 – Le conflit israélo-palestinien
10 – Image des juifs dans le rap
11 – L’anti-antisémitisme de Pierre Perret
12 – La chanson antisémite
13 – On peut rire de tout, mais pas en mangeant du couscous
14 – Les mères juives
15 – Betty Boop
16 – Noirs et juifs aux USA
17 – Nica
18 – Noirs et juifs en chanson chez Jean-Paul Sartre
19 – Azoy
19bis – Retour sur quelques commentaires

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Pitchipoï

Les Juifs et la chanson III – Shoah et chanson 14/23

Dans ce billet, on étudie le destin étrange d’une chanson et d’un mot, venus des tréfonds du folklore yiddish : «Pitchipoï ». Il désigne un lieu générique ou de convention, un peu comme « Pétaouchnok » ou « Trifouilli-les-oies ». Dans Pourquoi «Pitchipoï », Biographie d’une chanson populaire, article de Leizer Ran, archiviste au YIVO, paru en 1983 dans Di goldéné Keyt, traduction du yiddish par Aby Wieviorka parue dans la revue Pardès en 1992, j’apprends que ce mot vient d’une chanson, In a stetelè Pitiè-Poï.

In a stetelè Pitiè-Poï,
Staït a haïzèlè badekt mit shtroï
Trift a règndl, gaït a shnaï
Voïnen dor shokhe, dlekh twaï:
Sotiki, sotiki,
Sotzè, sotzè,
Abè sotzè rouft men zaï

Traduction:
Dans un village Pitiè-Poï,
Il y a une maisonnette couverte de paille
Tombe une petite pluie, de la neige,
Y habitent deux voisins,
Sotiki, Sotiki,
Sotzè, Sotzè,
On les appelle Abè Tzotzè.

J’ai retrouvé la chanson sur le site du Ruth Rubin Legacy, suivre ce lien pour l’écouter dans trois versions recueillies en 1948 auprès d’immigrés juifs polonais en Amérique du Nord (il y a aussi une partition et diverses indications). La chanson ne veut pas dire grand chose en l’état. Leizer Ran estime qu’il agit d’une version déformée d’une chanson plus riche et plus ancienne. D’après plusieurs versions antérieures qu’il a pu consulter, il infère que la chanson d’origine est humoristique et se moque gentiment de l’accent et de tournures galiciennes de petits paysans qui s’occupent d’une vache. Il émet l’hypothèse que Pitchipoï est une déformation du nom d’un authentique village ukrainien, Nie-Tshepaï. La forme finale le rapprocherait de « Tshepè nisht », qui veut dire « fiche moi la paix » en yiddish, ou de « pitié » (boire en russe), qui a donné « poïtsh » en yiddish, qui veut aussi bien dire abreuver le bétail qu’ivrogne (ça sonne un peu comme « pochtron » en français, qui vérification faite date au moins du moyen-âge et s’apparente au mot « poche »).

Le mot « pitchipoï » a connu une destinée étrange par la suite. D’après plusieurs récits, il désignait pour les internés du camp de Drancy en région parisienne le lieu mystérieux vers où partaient les trains de déportés. En 1994, Daniel Darc chante Pitchipoï hôtel. Sa grand-mère a été arrêtée à la rafle du Vel’ d’Hiv’ et n’est pas revenue de déportation.

Merci à Annette Wieviorka de m’avoir communiqué l’article de Leizer Ran traduit par son père Aby.
Vous venez de lire le 1000e billet du Jardin aux chansons qui bifurquent. Ce blog existe depuis 4 ans et 9 jours. Ce dont je déduis qu’environ 250 billets paraissent chaque année.

1 – La chanson de Simon Srebnik
2 – La chanson de Treblinka
3 – Yisrolik
4 – Le chant des marais
5 – Le Verfügbar aux Enfers
6 – Casimir Oberfeld
7 – Êtes-vous heureux ?
8 – La fontaine endormie
9 – Il n’y a plus de roses rue des Rosiers
10 – Le petit train de Rita Mitsouko
11 – Comme-toi
12 – Nuit et brouillard
13 – Smoke gets in your eyes
14 – Pitchipoï
15 – Évariste
16 – Au fil du temps
17 – Les Ramones à Bitburg
18 – Signé Furax
19 – Des voix off
20 – Roméo et Judith
21 – Culture du camp
22 – La troisième symphonie de Górecki
23 – Beltz

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