Genzo le parolier me signale dans un commentaire que je n’ai rien passé de Nicolas Boileau, et me propose Boileau, par Dick Annegarn et Bigflo et Oli.
Patrick Hannais me signale que L’ami Zantrop de Boby Lapointe comporte d’assez longues citations du Misanthrope de Molière (qu’on a déjà longuement évoqué dans ce blog, ici).
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ; Et je ne hais rien tant, que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations.
La chanson, art majeur ou art mineur VI. Musique classique, chanson, et réciproquement, 5/18 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16 – 17 – 18
On a vu dans les billets précédents des jugements contrastés : la chanson de variété, véhicule des « clichés les plus éculés » selon Ulrich Michels, opposée à la « musique morte, impuissante et statique » dénoncée par Bernard Lavilliers. Et dans la série consacrée à l’histoire ancienne de la controverse art majeur / art mineur, on a vu que dès le XVIIe siècle, on opposait art savant et art populaire, bien souvent pour préférer (ou prétendre préférer) le second. Voir les citations de Molière ici, Rousseau ici ou Lamartine ici. On ne va pas épiloguer là-dessus plus longtemps… Dans ce billet, je voudrais juste insister sur une dimension purement musicale de l’opposition chanson/musique classique, apparu au tournant du XIXe et du XXe siècle, dimension à l’origine de certains malentendus.
Les coupables sont deux grandes innovations. Première innovation, du côté de la musique classique : le phrasé rubato, en plein siècle romantique, le XIXe. Le rubato, c’est l’art de ne pas suivre un tempo figé : ralentir ou accélérer au gré de l’émotion, se décaler un peu pour faire ressortir le soliste, etc. Deuxième innovation, du côté de ce qui allait devenir le jazz : le métissage entre musiques occidentales et africaines, initié par le ragtime et suscitant de nombreuses inventions rythmiques au tournant du XIXe et du XXe siècle. Extrait de La partition intérieure, de Jacques Siron, extraordinaire ouvrage sur les musiques improvisées modernes :
La conception du rythme est un point de désaccord majeur entre les musiciens de jazz et les musiciens qui n’ont baigné que dans la tradition rythmique de la musique classique. Faute de connaissance et de reconnaissance réciproque, de nombreux malentendus existent entre ces deux univers rythmiques.
Dans la musique classique, on n’utilise pas la très grande stabilité de la pulsation recherchée dans les musiques syncopées. Très souvent, les pulsations suivent le phrasé, ralentissent à la fin des phrases, introduisent de subtiles césures ; depuis la tradition romantique du XIXe siècle, le phrasé rubato est utilisé pour donner plus de souplesse et plus de vie à la phrase ; la plupart des interprètes classiques l’utilisent de manière expressive au détriment de la stabilité de la pulsation de base. Dans les orchestres classiques, la présence d’un chef d’orchestre responsable du tempo général ne favorise pas la prise en charge individuelle et collective du tempo ; de plus la précision rythmique de l’oreille est de beaucoup supérieure à la vue du geste silencieux de la baguette.
La stabilité de la pulsation du jazz est souvent perçue comme rigide ou redondante par des oreilles classiques, alors que, pour les musiciens de jazz, le phrasé classique passe pour anémique et totalement dépourvu des qualités du swing : il n’est que rarement en place, les syncopes sont sautillantes, hachées et précipitées, le rythme est décollé de la terre et perd ses qualités dansantes.
Pour illustrer cette citation, je vous propose de réécouter la reprise de J’m voyais déjà par Jaroussky & friends. Si vous prêtez attention au rythme, vous entendrez que les chanteurs ne se fondent pas complètement dans la métrique dansante du morceau. Ils préfèrent faire valoir leur timbre ou leurs émotions par de subtils ralentissements ou des notes tenues qui cassent le groove (sauf Natalie Dessay qui semble avoir réfléchi à la question, cf le billet précédent, et fait bien le job, enfin je trouve …).
À comparer avec Aznavour. Lui aussi prend quelques libertés avec le rythme, mais en respectant la métrique, et donc sans que l’orchestre ait à ralentir…
En plus de l’opposition musique populaire / musique savante, présente dans notre culture depuis le XVIIe siècle au moins, il y a donc une opposition musicologique, plus discrète dans les débats, mais qui saute aux oreilles prévenues… Entre deux conceptions du rythme donc, disons conception « expressive » (avec le phrasé rubato, et la nécessité d’un chef d’orchestre) et conception « stable » faute de meilleures appellations. Cette deuxième opposition date en gros de la fin du XIXe siècle. Il se trouve que les contingences de l’histoire ont mis la conception expressive du rythme du côté de la musique classique, et donc savante. Tandis que la conception stable, plus dansante, a petit à petit conquis le grand public et a relégué la conception expressive au répertoire classique et à ses amateurs éclairés. Le « stable » s’est donc retrouvé du côté des musiques populaires. Mais il n’y a aucune nécessité, musicale en tout cas, à cet appariement qui admet d’ailleurs tant d’exceptions qu’on peut dire qu’il semble en fait un déplacement conventionnel de la grande querelle savant/populaire. Cette vieille guerre a de temps à autres besoin de nouveaux champs de bataille. Et au fait, puisqu’il y a deux oppositions, il devrait y avoir 2×2 = 4 sortes de musique. Voyons cela.
1. Musique savante / stable, avec bien sûr le jazz, musique qui n’a plus rien de populaire depuis longtemps. Mais on pourrait ranger dans la catégorie « stable » toute la musique baroque, qui a de nombreux points communs avec le jazz (sophistication, musique improvisée et dansée, ce qui nécessite structures répétitives et stabilité rythmique).
2. Musique savante / expressive : musique classique, confondue pour les besoins de la présente démonstration avec la période romantique de la musique classique.
3. Musique populaire / stable : à peu près tout ce qui se vend, tout ce qui groove, tout ce qui balance à Paris, depuis Scott Joplin (ou Charles Trenet en chanson française), en passant bien sûr par le rock et jusqu’au rap.
4. Musique populaire / expressive : courant plus ou moins porté disparu… On peut réécouter Barbara peut-être, ou les grandes chanteuses réalistes. Tout fout le camp. Par Damia, la tragédienne de la chanson, qui fait son entrée au 817e billet du blog…
Cette classification de la musique en quatre cases est bien sûr grossière… Son seul mérite est de clarifier certains malentendus dans l’opposition musique classique / chanson.
Pour conclure, trois versions d’un même morceau, pour un peu entendre différentes manières d’aborder le rythme. Si vous voulez ressentir l’émergence d’une pulsation stable au milieu d’un phrasé plus confus, je vous recommande Caravan, par Michel Petrucciani. Confusion, puis swing, jusqu’à la mise à nu du thème, encore porté par l’imprégnation de la pulsation… et puis voyage en dissonance, magnifique.
Intéressant à comparer avec la version d’un autre grand pianiste, Art Tatum, le maitre du piano « stride », héritier en jazz du ragtime. Je trouve l’approche rythmique intéressante aussi, sans swing, un peu saccadée.
Si vous n’avez pas eu votre dose de rythme, essayez cette dernière version de Caravan. À la batterie, Charly Antolini. J’aime bien l’air consterné du contrebassiste qui aimerait bien jouer un peu lui aussi, vers 2:20 …
La chanson, art majeur ou art mineur IV. Archéologie d’une question 5/16 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 9bis – 10 – 11 – 12 – 13 – 14 – 15 – 16
Nous restons au XVIIè siècle, le grand siècle classique, qui développa l’art français « majeur » (ou alors il n’y a pas d’art majeur). Cet art était-il réservé à une élite ? Sans doute, c’était un art de cour. Mais en fait, dès le début du XVIIè, l’idée d’un art pour le peuple existait. Jean Chapelain, autorité littéraire à l’époque, un des premiers académiciens, écrivait en 1640 à Jean-Louis Guez de Balzac : « le peuple, pour qui est faite la poésie ». Je tire la citation d’un livre d’André Gide, Attendu que…, aimablement prêté par Patrick Hannais, abonné au Jardin (d’ailleurs, allez voir le programme de ses lectures de Gide, Camus, Giono, etc, ici). Gide lui-même tire la citation du Tome XII des Causeries du lundi de Saint-Beuve, je l’ai cherchée en vain sur Gallica, j’espère qu’aucun tuyau n’est percé en cette étrange affaire.
Gide signale aussi un passage de la Lettre à l’Académie Française, de Fénelon, cette fois je l’ai retrouvé.
Ronsard avait trop entrepris tout à coup. Il avait forcé notre langue par des inversions trop hardies et obscures; c’était un langage cru et informe. Il y ajoutait trop de mots composés, qui n’étaient point encore introduits dans le commerce de la nation : il parlait français en grec, malgré les Français mêmes. Il n’avait pas tort, ce me semble, de tenter quelque nouvelle route pour enrichir notre langue, pour enhardir notre poésie, et pour dénouer notre versification naissante. Mais, en fait de langue, on ne vient à bout de rien sans l’aveu des hommes pour lesquels on parle. On ne doit jamais faire deux pas à la fois; et il faut s’arrêter dès qu’on se voit pas suivi par la multitude. La singularité est dangereuse en tout : elle ne peut être excusée dans les choses qui ne dépendent que de l’usage.
Même l’académisme le plus élitiste se souciait donc du « peuple » ou de « la multitude » à cette époque. Paradoxalement, c’était en un sens sa vocation : l’édification d’une langue uniformisée, centralisée, c’est un projet assez démocratique ou socialiste dans ses finalités si on me pardonne cet anachronisme. Le foisonnement anarchique de la Renaissance, quoique plus charmant, était bien plus élitiste : néologismes, érudition, maitrise du latin et du grec, universalisme, tels étaient ses mamelles… L’époque des « amis choisis par Montaigne et La Boétie » comme le chantait Brassens. En ce sens, il ne faut pas s’étonner de voir un auteur de gauche, Francis Ponge, écrire un hommage (assez délirant d’ailleurs) au poète des rois, Malherbe : Pour un Malherbe, déjà cité dans le billet précédent. On peut y lire :
On nous a un peu trop battu et rebattu les oreilles de Villon, Scève, Ronsard, Sponde, d’Aubigné, Théophile, etc. : chanteurs, grogneurs, geigneurs ou roucouleurs. Il faut remettre chacun à sa place.
Merci Monsieur Ponge de remettre les chanteurs à leur place : grogneurs, geigneurs, roucouleurs, chacun retrouvera son préféré… Toujours est-il que vers le milieu du XVIIè siècle les principaux personnages de la pièce de théâtre « la chanson est-elle un art majeur ? » sont presque tous entrés en scène : l’artiste, l’académie, l’élite, le peuple, la multitude, le grand art, la poésie, la langue française. Avec Molière entrera même en scène un personnage secondaire destiné à prendre ensuite de l’importance : le Bourgeois, si bête que même un bourgeois peut s’en rendre compte, et qui se ridiculise en s’essayant au grand art.
Je note au passage plusieurs points communs entre la France du début du XVIIè siècle et l’époque de Béart/Gainsbourg, la deuxième moitié du XXè siècle : pays sorti d’un traumatisme existentiel (guerres de religions / seconde guerre mondiale), stabilité politique retrouvée, grand foisonnement dans la langue (pléiade / surréalisme) et angoisse de voir le français devenir une langue morte. On avait déjà noté dans la série sur les poncifs en chanson les rapports entre la nouveauté de l’écriture de Boris Vian et la tentative de « néo-français » de Raymond Queneau. Je ne crois pas qu’il y ait de coïncidence à ce que ces tentatives soient contemporaines du Pour un Malherbe de Francis Ponge. Où l’on peut même lire une sorte de slogan à placer au fronton des chansons de Boris Vian : « Il faut snober les snobs eux-même. Il faut périodiquement désaffubler la poésie ».
Mais au milieu du XVIIè siècle, il manque encore un personnage, le principal, pour poser la question qui nous occupe dans cette série : La Chanson. La voilà, dans Le Misanthrope, de Molière. Je propose donc comme date de naissance de la question « la chanson est-elle un art majeur ? » : 4 juin 1666, première représentation du Misanthrope, avec la scène du sonnet d’Oronte.
Je vous résume : Oronte veut l’avis d’Alceste (le Misanthrope) à propos du sonnet qu’il a écrit. Voilà le sonnet, L’espoir.
L’espoir, il est vrai, nous soulage, Et nous berce un temps notre ennui ; Mais, Philis, le triste avantage, Lorsque rien ne marche après lui !
Vous eûtes de la complaisance ; Mais vous en deviez moins avoir, Et ne vous pas mettre en dépense Pour ne me donner que l’espoir.
S’il faut qu’une attente éternelle Pousse à bout l’ardeur de mon zèle, Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m’en peuvent distraire : Belle Philis, on désespère, Alors qu’on espère toujours.
C’est très mauvais, effet comique assuré… Alceste tergiverse, mais finit par rendre son avis :
Oronte. Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet… ?
Alceste. Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Je me demande si Molière fait référence à ce que Malherbe aurait dit dans une circonstance semblable, tel que rapporté par Tallemant des Réaux : « Il dit à un homme qui lui montra un méchant poème où il y avait pour titre : Pour le Roi, qu’il n’y avait qu’à ajouter : Pour se torcher le cul. ». D’autres anecdotes similaires trainent par-ci par-là. Dans Pour un Malherbe, Francis Ponge rapporte qu’au début de sa gloire, Malherbe fut invité par Philippe Desportes, poète officiel de la dynastie valoise finissante :
Desportes le reçut avec toute la civilité imaginable et lui dit qu’il lui voulait donner un exemplaire de ses Psaumes qu’il venait de faire imprimer. En disant cela, il se met en devoir de monter à son cabinet pour l’aller quérir. Malherbe l’arrête : « je les ai déjà vus. Ne vous donnez pas la peine. Ce potage vaut mieux que des psaumes ».
Revenons au Misanthrope. Alceste s’explique de son jugement sur le sonnet d’Oronte :
Le méchant goût du siècle, en cela, me fait peur. Nos pères, tous grossiers, l’avoient beaucoup meilleur, Et je prise bien moins tout ce que l’on admire, Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire : Si le roi m’avoit donné Paris, sa grand’ville, Et qu’il me fallût quitter L’amour de ma mie, Je dirois au roi Henri : « Reprenez votre Paris : J’aime mieux ma mie, au gué ! J’aime mieux ma mie. » La rime n’est pas riche, et le style en est vieux : Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux Que ces colifichets, dont le bon sens murmure, Et que la passion parle là toute pure ?
Voilà le débat lancé : chanson ou poésie ? Et plutôt mal parti : difficile de trancher entre deux textes aussi mauvais l’un que l’autre. Dans Attendu que…, André Gide note :
Il y a toujours et pour tout, en France (et tant mieux !), deux pôles, deux tendances, deux partis; et, pour ce qui nous occupe : celui de la poésie réfléchie (c’est dire à la fois : de réflexion et de reflet) et celui de la poésie directe : celui du sonnet d’Oronte et celui de la Chanson du roi Henri. Je vous avoue que je ne trouve pas si ridicule le Sonnet d’Oronte et suis bien prêt de préférer :
L’espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps notre ennui à :
Si le Roi m’avait donné
Paris sa grande ville qui n’est, entre nous soit dit, pas grand-chose.
Comme chanson du jour, que diriez-vous de Mireille Mathieu, encore jamais passée dans ce misérable blog ? 762 billets pour en arriver à cette extrémité… Molière.
Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 6/13 1 – 1bis – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 9bis – 10 – 10bis – 11 – 12 – 13
Nous sommes toujours en quête d’expressions courantes de la langue française venant de la chanson. Nous avons vu des phrases toute faites, moitié proverbe, moitié expression, bref un peu à côté. Nous avons vu le rickroll et la franck-mickaélisation, deux expressions intéressantes mais plutôt confidentielles et spécialisées. Et qui ne viennent pas tant de la chanson que de la politique et de l’internet, grands pourvoyeurs d’expressions nouvelles. Explorons d’autres grandes sources de néologismes, expressions, phrases toutes faites, etc.
Tout d’abord, les antonomases, figures consistant en la transformation d’un nom propre en nom commun, ce qui a donné silhouette ou poubelle. Ensuite la bande dessinée. Saviez-vous que le mot « pied » a été inventé par un personnage de bande dessinée ? La dame assise, dans Les poulets n’ont pas de chaise, de Copi.
Bécassine fut une bande dessinée avant d’être une chanson ou un synonyme d’idiote évidemment. On doit « ils sont fous ces romains » et « il est tombé dedans quand il était petit » au grand René Goscinny. Le génial Franquin nous a laissé, « m’enfin » et « rogntudju ». Quant aux « pieds nickelés » c’est bien sûr une bande dessinée, quoique le titre provienne selon certains d’une pièce de théâtre. La palme du genre revient à Cabu, le plus merveilleux des dessinateurs de presse, assassiné le 7 janvier 2015, et qui a inventé un mot passé dans le langage courant : « beauf ». Le 25 juillet 1980, Cabu invité de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophe. Regardez notamment la fin de la vidéo.
Plus généralement, la littérature est bien sûr une bonne source d’expressions toutes faites, comme d’innombrables moralités de fables de La Fontaine. Si vous êtes un Don Juan, vous devez quelque chose à Molière… à moins que ne soyez un tartuffe ou que vous ne vous embarquiez dans une galère ?
J’aime beaucoup l’expression « élémentaire mon cher Watson » parce qu’il paraît qu’on ne la trouve dans aucune aventure de Sherlock Holmes. C’est le comble de l’inventeur d’inventer ce qu’il n’invente pas. Notez que dans un précédent billet, on a eu un cas similaire. Comme me l’a fait remarquer Daniel Maillot dans un commentaire, Georges Marchais n’a jamais dit « taisez-vous Elkabbach ». La citation est en fait une invention de Thierry Le Luron ! Ce qui nous amène aux comiques…
Les comiques ne sont pas en reste donc : le schmilblick, « faire chauffer la colle », ou loufoque (qui n’est autre que le mot fou traduit en loucherbem, voir ici) sont des expressions inventées par Pierre Dac. « C’est étudié pour », « tonton, pourquoi tu tousses ? » ou « ça eu payé, mais ça paye plus » furent inventées par Fernand Raynaud. On doit à Coluche « C’est l’histoire d’un mec », ou « sans blague merde ». Les Deschiens nous ont laissé le gibolin. N’oublions pas Nabila qui a su renouveler le mot allô.
C’est triste à dire quand on aime la chanson, mais les paroliers paraissent bien faibles à côté de Cabu, Goscinny, Pierre Dac, Fernand Reynaud, Charles de Gaulle ou Nabila. Ces prétendus génies du mot ont l’oreille du peuple tout entier. Radio Nostalgie nous bourrent le crâne de leurs ritournelles. Résultat : le sociologue Michel Delpech, le provocateur Serge Gainsbourg, l’amoureuse Véronique Sanson, l’ado révolté Renaud, le droitiste Michel Sardou, l’idole des vieux/jeunes Johnny… quelles expressions toutes faites nous ont-ils laissées ? « Que je t’aime » ? Soyons sérieux : pas grand chose.
Ont-ils seulement essayé ? Je le crois. Par exemple, Serge Gainsbourg a essayé d’inventer tout ensemble une nouvelle chanson, un nouveau mot et une nouvelle danse : La décadanse, tentative contre-nature de rétrograder ce bon vieux slow au niveau de ringardise de la position du missionnaire. Jane Birkin et Serge Gainsbourg, La décadanse, en 1972.
Vidéo de l’Ina qui atteste le côté « plan com » de l’opération : ici ! Cette danse, je l’aurais plutôt appelée slowrette… Le plan n’était pas mauvais toutefois, j’en conviens. Mais l’échec fut complet : la chanson, quoique sulfureuse et bien écrite, n’a pas marché. Et surtout, la danse n’a rencontré aucun succès, je ne connais personne qui danse la décadanse (si vous en connaissez, balancez, hashtag balance ton décadanseur). Pourquoi cet échec ? Le public était peut-être rassasié de scandale après le succès de Je t’aime moi non plus ? Le contraste entre érotisme torride et jeu de mot bidon a dû plomber le concept « décadanse ». Et puis franchement, je ne suis pas danseur, mais ça m’a l’air un peu nul comme danse, je veux dire d’un point de vue strictement dansant, non ? Aller, on remet ça.
On quitte la chanson aujourd’hui, car Mai 68 a donné lieu à quelques sketches plus ou moins caustiques : Jean Yanne et Daniel Prevost, Le manifestant professionnel. Notez que Daniel Prevost était présent dans la première vidéo du billet précédent, à croire qu’il a fait toute sa carrière dans l’anti-soixante-huitardisme primaire.
Les mêmes, avec L’appariteur musclé, c’est de l’humour vintage.
Le slogan « Il est interdit d’interdire » a été inventé par Jean Yanne. J’en profite pour livrer ma modeste contribution à la théorie du complot (il parait que c’est obligatoire de dénoncer un complot pour faire de l’audience sur internet).
Mai 68 n’a jamais existé. C’est un coup monté par Jean Yanne, mandaté par Pompidou et De Gaulle pour organiser une fausse révolution afin de programmer et gagner les législatives de juin 1968 ! Tous les films d’archives sont des faux, tournés par Jean-Luc Godard dans un studio installé sur la Lune (car en fait, la théorie du complot selon laquelle les Américains ne sont jamais allés sur la Lune est une intoxication des services secrets français, destinés à cacher le fait qu’ils y sont allés sur ordre de De Gaulle pour y filmer le faux Mai 68, vous me suivez ?). La preuve : Godard s’entrainait les années précédentes, regardez par exemple cet extrait de son film Week-End, un film de 1967. Jean-Pierre Léaud lit du Saint-Just, pendant que Jean Yanne et Mireille Darc déambulent tranquillement. Vous noterez aussi les cris de Mireille Darc au début : « Mon sac, mon sac », c’est un plagiat de Dom Juan de Molière, où Sganarelle crie « Mes gages, mes gages », encore une preuve que tout ça a été recopié à l’arrache. Vous n’avez jamais entendu parler de ce complot ? C’est bien la preuve de tous les efforts qui sont faits pour le dissimuler…