Je me suis baigné dans le poème de la mer, infusé d’astres et lactescent

Paroles cryptiques 7/9
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On arrive bientôt à la fin de cette série sur le genre « paroles cryptiques » dont on fait aujourd’hui une archéologie simpliste. La situation est assez rare, mais il me semble qu’on peut dater assez précisément l’invention de ce style énigmatique en poésie :  je n’en connais aucun exemple antérieur à Arthur Rimbaud (ou détrompez-moi, mais je refuse les textes magiques, sectaires ou autre manuscrit de Voynich…). Léo Ferré, maître de la chanson cryptique rend hommage au grand inventeur Rimbaud : Le bateau ivre.

https://www.youtube.com/watch?v=S0gLnBL2axM

Dans une lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, la fameuse Lettre du Voyant, Rimbaud s’explique : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Plus loin dans la même lettre, des explications sur sa vision de la poésie. Il avait 17 ans.

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Donc le poète est vraiment voleur de feu.

Il est chargé de l’humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe. Trouver une langue ;

— Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! Il faut être académicien, — plus mort qu’un fossile, — pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l’alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! —

Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d’inconnu s’éveillant en son temps dans l’âme universelle : il donnerait plus — (que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès !
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La lettre en version intégrale : ici. Et puisqu’on parle de Rimbaud, allez donc voir ou revoir la série consacrée à son ami Paul Verlaine, ici.

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Le chiffre deux

Quel est le plus grand nombre (dans une chanson) ? (1/6)
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Grand concours sur le blog : quel est le plus grand nombre cité dans une chanson ? On explore ce thème dans les jours qui viennent, en agrémentant chaque post de petites réflexions mathématiques. Pour vous laisser le temps de bien réfléchir, je commence doucement, avec le chiffre deux, qualifié de « nombre d’or » par Claude Nougaro. Et au fait, la chanson mentionne Paul Verlaine, une de plus (voir la série sur Verlaine, ici). Chiffre Deux, Nombre d’Or.

 

Sinon, l’expression « nombre d’or » désigne en astronomie le nombre 19 (nombre d’année minimale contenant un nombre entier de lunaisons). Mais généralement, le nombre d’or est défini comme (5 + 1)/2, nombre ayant des propriétés mathématiques intéressantes. Par exemple   (5 + 1)/2 = 1+ 1/(1 + 1 / (1 + 1/(1 + … Ce type d’expression existe pour n’importe quel nombre (c’est le développement en fraction continue). Mais seul le nombre d’or n’a que des « 1 » dans son expression. Ce fait est remarquable et montre que le nombre d’or est en un certain sens le nombre réel le plus difficile à approximer par des fractions. Si on applique le schéma automatique de construction des gammes musicales inventé par le musicologue américain Norman Carey, en partant de l’intervalle défini par le nombre d’or, au lieu de l’intervalle « habituel » (celui de la construction pythagoricienne, défini par log2(3/2) et qui correspond à une quinte pure), on devrait arriver sur une sorte de gamme extrême, de pire gamme possible. Une gamme dont un intervalle conjoint sur deux est un comma (ou plutôt un « comma généralisé » selon la terminologie de Norman Carey) ! Ça ne vous paraît pas clair ? C’est normal, ça ne l’est pas. Plus d’explications ici.

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Brassens lyrique

L’énigme LdV 2/6
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En préparant l’énigme, je suis tombé sur cette étrange version de Colombine, qu’on a déjà écoutée dans la série sur Paul Verlaine (ici). Musique de Georges Brassens, interprétée Philippe Jaroussky sur un arrangement de Jérôme Ducros. Il me semble (sans certitude) que c’est bien Jaroussky qui chante tout le morceau, y compris les parties  plus graves (il bascule sur sa voix de poitrine).

 

Une petite anecdote sur le contre-ténor Philippe Jaroussky (qu’on reverra dans le blog) : son nom de famille proviendrait de son grand-père fuyant la révolution russe. On lui aurait demandé son nom, à quoi il aurait répondu « je suis russe », ce qui en russe se dit « ia rouski » ! Ouh la, je parle, je parle, je vais finir par donner la solution de l’énigme…

Sans lien avec l’énigme, une vidéo très intéressante sur Philippe Jaroussky et les mises en musique de Verlaine auxquelles il a consacré un album (et retournez donc voir la série sur Verlaine, ici) :

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Le poète s’est absinthé

L’affaire Verlaine 9bis/9
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Un petit message de Pierre Delorme sur facebook nous signale deux chansons citant Verlaine, très belles toutes les deux, merci.  Et dans un commentaire de M-the nous en signale une troisième (très bien aussi, et assez connue) ! Verlaine est un terreau bien fertile.

D’abord À Saint-Germain-des-Prés de Léo Ferré. La chanson cite plusieurs poètes, mais Verlaine a bien sûr la place d’honneur.

 

Et puis Pauvre Lelian, (anagramme de Paul Verlaine !), d’Allain Leprest, sur une musique de Romain Didier. La vidéo montre plusieurs portraits de Verlaine, à voir.

 

Enfin, Ma môme de Jean Ferrat.

 

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Pauvre Verlaine

L’affaire Verlaine 9/9
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Voici le dernier post sur Verlaine. Si l’amateur citera volontiers Aragon ou Prévert comme plus chansonnier des poètes, il semble que les paroliers citent Verlaine là où ils s’expriment le mieux : dans leurs chansons. On a beaucoup invoqué sa poésie pour expliquer ce phénomène.  Bien sûr sa vie de poète maudit joue aussi un rôle dans toute cette histoire. Pauvre Verlaine de Salvatore Adamo.  Au revoir Verlaine, « tu ne vis plus que dans l’écho de la brise… »

 

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Étrange et pénétrant

L’affaire Verlaine 8/9
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On arrive très bientôt au bout de cette série sur Verlaine. Une dernière belle mise en musique d’une des ses poésies les plus célèbres, Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant, par Julos Beaucarne.

 

Jusque là je ne vous ai mis que des poésies un peu didactiques de Verlaine. En voici une plus légère.

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée …

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure …

Rêvons, c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise …

C’est l’heure exquise.

 

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Verlaine au bistrot

L’affaire Verlaine 7/9
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Il est bien connu qu’au XXè siècle, la poésie française a plus ou moins abandonné la rime et le vers bien réglé à 8 ou 12 pieds pour d’autres aventures. Notre vieux vers régulier, poli et distillé par les siècles, n’a donc survécu que dans la chanson : chanson française « de qualité »,  chanson à texte, chanson à faire du fric, variété débile, chanson paillarde, de réclame, d’amour, de troufion, de gauche, de droite ,…  ils sont presque tous d’accord : la poésie s’en est sevrée, mais rime et mètre restent bien les mamelles de la chanson ! Ce bon Paul Verlaine semble avoir vu le coup venir… « rimer est pressant » écrivait-il dans son poème, J’admire l’ambition du vers libre.

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J’admire l’ambition du Vers Libre, –
Et moi-même que fais-je en ce moment
Que d’essayer d’émouvoir l’équilibre
D’un nombre ayant deux rhythmes seulement?

Il est vrai que je reste dans ce nombre
Et dans la rime, un abus que je sais
Combien il pèse et combien il encombre,
Mais indispensable à notre art français.

Autrement muet dans la poésie,
Puisque le langage est sourd à l’accent.
Qu’y voulez vous faire? Et la fantaisie
Ici perd ses droits: rimer est pressant.

Que l’ambition du Vers Libre hante
De jeunes cerveaux épris de hasards!
C’est l’ardeur d’une illusion touchante.
On ne peut que sourire à leurs écarts.

Gais poulains qui vont gambadant sur l’herbe
Avec une sincère gravité !
Leur cas est fou, mais leur âge est superbe.
Gentil vraiment, le Vers Libre tente !
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Au fait, il nous faut une chanson qui parle de Verlaine. C’est Renaud qui s’y colle dans Mon bistrot préféré.

 

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Colombine

L’affaire Verlaine 6/9
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On continue notre balancier : dans le dernier post, la chanson nommait Verlaine, aujourd’hui, on chante ses vers. Georges Brassens n’a mis en musique qu’un seul poème de Verlaine, Colombine. Après tout ce que j’ai raconté sur Verlaine, on s’en étonnera peut-être. Je n’ai pas d’explication à cette énigme.

 

On notera la légèreté du propos et à quel point la musique, l’accompagnement et l’interprétation le servent à merveille. Dans toutes les mises en musique de Verlaine de la série, je trouve qu’il n’y que Brassens et Trenet qui captent cette légèreté… J’ai prévu une série où l’on comparera Brassens l’auteur à Brassens le compositeur d’ailleurs, mais patience. En attendant, je vous propose une petite expérience : répétez mille fois « Parlez moi de la pluie, et non pas du beau temps » (premier vers de L’Orage de Brassens). Puis répétez mille fois « Léandre le sot, Pierrot qui d’un saut de puce » (de Verlaine donc). Vous verrez lequel des deux s’use le premier, lequel est le plus « soluble dans l’air ».

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Il croyait vraiment qu’elle le prenait pour Verlaine

L’affaire Verlaine 5/9
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Dans le deuxième post de la série, on annonçait que ce grand buveur de Verlaine rimait avec verveine. Aujourd’hui, on le prouve (c’est vers 2:10 si vous ne voulez pas tout écouter, parce qu’entre nous, c’est un peu saoulant toute cette verveine). Pierre Bachelet, En ce temps là j’avais 20 ans.

 

On continue l’enquête sur Verlaine, toujours avec Borges. Dans L’inachevable, Yves Bonnefoy rapporte que les derniers mots qu’il a entendus de la bouche de Borges était « Virgile et Verlaine », prononcés sur son lit d’hôpital, quelques mois avant sa mort. Et Bonnefoy de se lancer dans des explications :

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Verlaine, au contraire [de Virgile], c’est de la vérité vécue en toute irresponsabilité. Il ne propose aucune tâche élevée, il ne cherche pas à connaître, il se contente de laisser vivre en lui les pulsions, les appétits, les nostalgies, les enthousiasmes de l’être faible qu’il est, et de ce fait on peut, assurément, s’agacer de lui et le tenir pour un poète mineur. Mais penser ainsi, ce serait pas avoir remarqué la façon dont les mots vivent chez lui, des mots capables de se rouler, toute honte bue dans des rêveries au mieux enfantines, mais aussi comme l’alouette jadis, de remonter droit dans la lumière, la transparence : vocables tout prêts alors à tout comprendre et aimer de la poésie la plus pure.  

Yves Bonnefoy
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Cette opposition entre Virgile et Verlaine, ne dirait-on pas l’opposition entre la grande poésie et les innocentes et naïves paroles des chansons ? Et comment s’étonner alors que bien des paroliers trouvent en Verlaine plutôt qu’en aucun autre poète une sorte de grand frère ? Allez, on en reparle dans le prochain post.

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Chanson d’automne

L’affaire Verlaine 4/9
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En ce 1er octobre, un post de saison, La Chanson d’Automne de Verlaine, mise en musique par Charles Trenet, sous le titre Verlaine, qui n’hésite pas à un peu tordre le texte (« blesse mon cœur » devient « berce mon cœur » par exemple). Et ceux pour qui les paroles de Gainsbourg dans le post précédent étaient mystérieuses (« Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais … ») trouveront là quelques éclaircissements.

Avant d’écouter, on continue notre enquête sur la présence de Verlaine dans la chanson, sous le haut patronage de Jorge Luis Borges, parrain de ce blog (à son corps défendant : j’ai emprunté le nom du blog à l’une de ses nouvelles, Le jardin aux sentiers qui bifurquent).  Borges appréciait beaucoup Verlaine. Exemple, dans un entretien avec Jacques Chancel, Radioscopie, décembre 1979 :
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Si je pense à la France, je pense aussitôt à la Chanson de Roland, à Voltaire, à Taine… En poésie, à Hugo, mais surtout à Verlaine. Voilà un poète que je ne placerais évidemment pas au-dessus de Virgile, mais vous serez d’accord avec moi qu’en vertu de son incomparable innocence,  il domine de loin toute la poésie française. J’ai par exemple la certitude qu’il écrivait d’un seul jet. Impression unique et tout à fait opposée à celle que me laisse Baudelaire, dont les textes « sentent le brouillon », nombreux et préalables. De Verlaine, on peut imaginer que tout lui est venu ou lui a été donné à son insu, qu’il écrivait en pensant à autre chose. Il y a comme une inconscience, une force de la nature, dans sa poésie. En tout cas, pas de « métier ».

J. L. Borges
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