Hop la

Putain de métier 7/11
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Hypothèse hardie et rabâchée : une des raisons du grand nombre de personnages de prostituées évoqués par les chanteurs est la proximité entre les deux métiers. C’est dit presque explicitement au début de L’accordéoniste, où à la fin de sa journée de travail, notre professionnelle passe de vendeuse à acheteuse :

Quand son boulot s’achève
Elle s’en va à son tour
Chercher un peu de rêve
Dans un bal du faubourg

Effectivement, prostituées et chanteurs partagent beaucoup : métier qui ne produit rien, qui vend du plaisir, métier de la rue devenu métier de l’internet. Ils offrent rêve, fantasmes, amour. Toutes ces chansons sur les putains ne sont-elles pas des autofictions ?

Barbara dans son autobiographie, Il était un piano noir, Mémoires interrompus, raconte une expérience vécue quand elle avait 20 ans, après plusieurs semaines d’errance à Bruxelles en quête d’un engagement comme chanteuse :

Un soir, je descends dans la rue pour me prostituer. Ce n’est pas le malheur, le grand malheur; mais c’est un grand chagrin.

Pour de l’argent, pour manger ou pour élever un enfant, par amour pour un « mec », pour payer sa « dope », rarement par vice, c’est ainsi que ça commence.

Ce métier là, j’aurais aimé le faire comme un sacerdoce, un vrai don de soi. Donner de l’amour. Je l’ai écris : je suis une petite sœur d’amour, hop la ! … Être petite sœur d’amour, chanter, prendre le voile, tout ça, c’est du pareil au même. Sauf que chanter, monter sur scène en pleine lumière, revêtue de son habit de scène, c’est faire montre d’un grand égocentrisme et d’une belle indécence.

Vous avez remarqué, encore une chanson qui nous parle de Verlaine… Retournez donc voir la série consacré à cet étrange phénomène, ici.

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Aldonza

Putain de métier 6/11
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On l’a vu dans les premiers posts de la série, la putain occupe une place de choix dans la chanson réaliste, et la Complainte de filles de joie vient clore (symboliquement) cette période. Mais les personnages de prostituées sont bien sûr présents dans toutes sortes de chansons. Dans son adaptation d’une comédie musicale américaine sur Don Quichotte, L’Homme de la Mancha, Jacques Brel nous dresse un portrait expressionniste d’Aldonza, fille de mauvaise vie que Don Quichotte prend pour sa Dulcinée. Aldonza, par Joan Diener.

La technique lyrique impressionnante de Joan Diener (il parait qu’elle pouvait chanter sur trois octaves et demi) ne sert pas toujours au mieux le texte, d’autant qu’elle ne parlait pas un mot de français. On peut trouver quelques reprises sur le web qui permettent de mieux suivre les paroles, par exemple ici par Valérie Campo.

https://www.youtube.com/watch?v=YNtPTVmN-ew

Sur le site de Closer, je lis (mais je l’avais déjà lu dans Télérama !) ce témoignage de Johnny Hallyday sur Jacques Brel :

Brel adorait aller dans les bars à fille. Il connaissait tous les bars et toutes les prostituées des villes de province. Il ne faisait jamais rien avec elles, il était juste leur pote et elles, ses amies. Il leur offrait le champagne à toutes et refaisait le monde avec elles jusqu’à 5 heures du matin

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La complainte des filles de joie

Putain de métier 5/11
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En 1961, petit tremblement de terre dans la chanson : La complainte des filles de joie, de Brassens, hymne aux accents presque syndicalistes, ce qui est assez inhabituel chez le bon Georges. La rupture opérée par cette chanson est assez subtile. Car personne n’a attendu Brassens pour découvrir les tourments de la prostituée, dont la chanson réaliste ne cachait d’ailleurs rien, on l’a vu. Mais elle les mettait en scène dans l’univers pittoresque de la zone et des apaches, qui faisait le délice du bourgeois s’encanaillant aux concerts de Bruant (avant d’aller finir sa soirée au claque peut-être ?).

Réécoutez bien les quatre premières chansons de la série : la souffrance de la putain est belle comme une image pieuse teintée d’un zeste de Bovarysme dans L’accordéoniste, pleine de fantaisie et de légèreté dans Prospère et de misérabilisme dans Pauvre Pierreuse. Dans Cayenne, elle participe de la noblesse de la révolte sociale. Bref, elle est à chaque fois à une place, elle sert toujours à quelque chose ou à quelqu’un, elle est prostituée pourrait-on dire. Chez Brassens, la vie de la putain est donnée toute crue pour ce qu’elle est, dans une écriture simple et dénuée de jugement, de complaisance ou de voyeurisme. La chanson est d’ailleurs souvent reprise par des femmes, on l’a déjà noté dans la série masculin/féminin, ici.

Sur le site Analyse Brassens, on lit :

Le 16 juin 1976 le collectif des prostituées de Paris adresse à Georges Brassens la lettre suivante :
« Cher Georges Brassens,
Nous les Putains vous disons merci pour vos si belles chansons qui nous aident à vivre. Malheureusement nous n’avons eu votre adresse que très tard. Voici une invitation. Nous vous embrassons toutes.
Vos Copines du Collectif de tout cœur avec vous toujours. »

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Yop’la boom

Putain de métier 4/11
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Le chanteur, tout comme la prostituée, doit aguicher le client. Rien de tel qu’un bon petit « hook ». Si j’en crois wikipedia : « Un hook (crochet) est un procédé musical, souvent un court riff, un passage ou une phrase, utilisé dans la musique populaire pour capter l’attention de l’auditeur. » Le hook est le plus souvent rythmique et/ou mélodique. Il peut être instrumental, mais lorsqu’il est pris en charge par le chanteur, il marchera d’autant mieux qu’il fera usage de syllabes régressives : « yop’la », ou « boum » par exemple. Si vous arrivez à caser les deux à la suite, c’est encore mieux. Prospère, par Maurice Chevalier.

Comme pour L’accordéoniste, la musique, et le hook donc, font oublier la violence des paroles. À tel point que les publicitaires n’ont pas hésité à reprendre la chanson pour vendre une marque de pain d’épice à nos chers petits enfants !

Vous pouvez vous amusez à collectionner les chansons avec « boum » (et transmettez-les moi, je ferai une série sur le sujet) : Boum de Trenet, Boum, Boum, Boum de Mika, Les Playboys de Jacques Dutronc, Comme un boomerang de Gainsbourg. En tirant un peu, il y a aussi Bim Bom de João Gilberto. Et puis une qui est déjà passée dans le blog…  Qui saura la retrouver ? C’est la petite devinette du jour. Un indice : réécoutez tout depuis le début, vous la retrouverez à coup sûr.

Sinon, merci à NP, internaute de Lyon 6è et plus fidèle commentatrice du blog, pour m’avoir signalé une erreur au début de la série : en fait Sanseverino chante bien le dernier couplet de Cayenne, je vais corriger ça. Et dans la série sur Brassens, je pointais vers une vidéo de Philippe Jaroussky chantant Gastibelza. La vidéo a été retiré de YouTube, je n’y peux rien…

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