Chet Baker

Chanter faux 5/6
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Lorsque j’ai parlé de cette série à une professeure de chant de mes connaissances, Sylviane Fessieux, qu’on a déjà entendue dans le blog, ici, elle m’a signalé que le chanteur le plus faux selon elle est Chet Baker (elle n’a probablement pas pensé à chercher parmi ses élèves…).

Ce célèbre trompettiste de jazz s’est essayé avec succès au chant. Sa voix évoque mystérieusement sa trompette, deux instruments de factures pourtant assez distinctes. J’en déduis que Chet devait être très attentif au timbre et aux textures. Il privilégiait peut-être (inconsciemment ?) certaines harmoniques de sa voix au détriment de la justesse, ou d’une idée de la justesse…

Toujours est-il que la fausseté du chant de Chet ne me choque pas. Sylviane Fessieux elle-même m’a indiqué que sa perception de la fausseté du grand Chet variait selon les heures de la journée. Et puis je me suis fait dire une fois par une prof de solfège que j’avais « l’oreille souple », tout ça parce que Purcell en tempérament égal me faisait le même effet qu’en juste intonation, alors le juste, le faux…Time after time.

 

Je vous propose aussi l’album Chet Baker sings en entier.

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Vyssotski en français

Chanter faux 4bis/6
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Puisqu’on parlait de Vyssotski hier : Daniel Maillot me signale que certaines de ses chansons ont été adaptées en français par Yves Desrosiers, merci. La chasse aux loups.

En fait, Vyssotski lui-même a un peu chanté en français :

 

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La guitare de Vyssotski

Chanter faux 4/6
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La fausse note peut être volontaire et systématique. Vladimir Vyssotski était un auteur-compositeur-interprète russe. Sa carrière connut son sommet dans les années 1970 à Moscou, et il est toujours très populaire en Russie, longtemps après sa mort. Le pouvoir soviétique le censurait, il donnait des concerts clandestins chez des amis, enregistrés au magnétophone, recopiés à l’infini comme un samizdat. Il paraît que quelques jours après le concert, on trouvait l’enregistrement au fond de la Sibérie. Il excellait dans une variante russe de la chanson réaliste, chantant les bas-fond et toutes les professions avec une telle authenticité que de l’aviateur à la putain, chacun croyait reconnaître en lui un ex-collègue reconverti dans la chanson.

Sa voix rauque est très reconnaissable. L’étrangeté de son chant provient entre autres de son habitude de faire durer les notes en traînant sur la consonne au lieu de la voyelle, pratique périlleuse, inhabituelle et généralement contre-indiquée. Il chantait juste, du moins suffisamment pour moi, mais sa guitare était parfois curieusement désaccordée. Il faut savoir qu’il s’agit d’une guitare russe à sept cordes (voir à 2:00 sur la première vidéo ci-dessous). Il baissait chaque corde d’un ton, les cordes étaient donc sous-tendues et sonnaient un peu « mou » et distordu quand elles n’étaient pas franchement désaccordées. Dans le public, il arrivait que quelqu’un proposât de ré-accorder la guitare, mais Vyssotski refusait. On en est venu à penser que sa guitare désaccordée était un parti pris esthétique, une variante musicale du flou ou de l’asymétrie…

Je vous passe trois versions d’un de ses plus grands succès, Variations sur des thèmes tsiganes, aussi appelé В сон мне жёлтые огни (Dans mon sommeil entrent les feux jaunes), d’après les premiers mots de cette chanson aux paroles mystérieuses, dans la manière de Léo Ferré ou Bashung : voir ici la série de blog consacrée aux paroles cryptiques en chanson.

La première version est enregistrée en studio, et tout ronronne parfaitement juste. La deuxième est à peu près propre, encore que ça dissonne de-ci de-là du côté de la guitare. Sur la troisième la guitare est franchement désaccordée… Après cette apologie de la fausse note, ce sera sûrement votre version préférée !

Orchestration studio. La vidéo est un montage de différents films où apparaissait Vyssotski qui était acteur avant de devenir chanteur :

En concert, avec quelques légères dissonances :

Guitare franchement désaccordée :

Si sur les vidéos vous avez cru reconnaître l’actrice Marina Vlady, vous avez sûrement raison : elle était l’épouse de Vyssotski. Et si la chanson vous rappelle quelque chose, c’est normal. Il semble qu’elle soit bâtie sur un air traditionnel, et que le refrain soit standard. Je n’ai pas le courage d’explorer tout l’internet russe à sa recherche. En tout cas, Charles Aznavour a chanté une version française, mais les paroles n’ont rien à voir (à part le « ещë много, много раз » qui se prononce « iéchio mnoga mnoga rass » et veut dire « encore de nombreuses fois » en russe).  Sur le site de la Sacem, la musique est attribuée à Aznavour, mais sur mon vinyle, il y a écrit « paroles et musique de Vladimir Vyssotski »… si quelqu’un arrive à me démêler tout ça, preuve à l’appui, merci. Les deux guitares.

Une dernière petite, pour voir voir Vyssotski en vrai. Il se chauffe la voix au début, les amateurs de technique vocale apprécieront.

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Christophe met des pains

Chanter faux 3/6
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Je vous rappelle que j’attends toujours les réponses au sondage qui m’aidera à préparer le grand thème de l’année… Ça commence le 16 septembre, il me faut une chanson associé à chacun des événements suivants :

  • La révolution française
  • La commune de Paris
  • La première guerre mondiale
  • La seconde guerre mondiale
  • La guerre d’Algérie
  • Mai 68

En attendant, on continue notre exploration des fausses notes avec ce que les musiciens appellent un « pain », c’est-à-dire une fausse note exécutée par maladresse. Il paraît qu’autrefois, on disait une « brioche », l’histoire de cette expression est savoureuse, allez voir ! Bref, quand les musiciens n’auront plus de pains, ils n’auront qu’à refaire des brioches…

Illustration des pains. Tout le monde connaît Les mots bleus de Christophe, on écoute.

https://www.youtube.com/watch?v=LdfB8pM-qLw

Malgré tout le talent de Christophe, et l’arrangement bien travaillé, ça sonne un peu « variété », on se croirait sur radio Nostalgie. Est-ce que quelques fausses notes, quelques pains donc, ne pourraient pas améliorer l’ensemble ? Ci-dessous, la même chanson, trouvée par hasard sur le net. Christophe chante au pied levé après un concert d’Allain Leprest (regardez-le bien, c’est l’homme assis à l’arrière plan avec une casquette). Le piano hésite et sonne bizarrement, Christophe multiplie les pains, le chant tâtonne, déraille, et pourtant il y a comme un fil tendu entre la voix et le piano. Chaque couac devrait distendre et rompre ce fil, mais au lieu de ça, il le tend encore plus. Bref, je trouve cette version bien meilleure que la précédente… Vous n’écouterez plus jamais Les mots bleus comme avant :

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Corbier

Les annonces du mercredi

Voilà, les annonces du mercredi reprennent. Un peu de changement : ce sera moins contraint, le concert ne sera plus nécessairement pour le week-end, des fois, il n’y aura même pas concert.

Je vous conseille d’aller écouter le concert de rentrée de À Thou d’Chant. Il y aura François Corbier, chanteur qui a connu la gloire à l’époque du club Dorothée, ce qui a paradoxalement éclipsé son talent d’auteur/compositeur/interprète. Dans Capitaine, il revient avec tendresse sur année de gloire. Ça dure 9 minutes, et on ne s’ennuie pas !

C’est vendredi 15 et samedi 16 septembre 2017, voir ici.

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Florence Jenkins

Chanter faux 2/6
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Impossible de parler de fausses notes sans évoquer Florence Foster Jenkins. Cette cantatrice américaine était incapable de chanter juste ou en rythme. Deux films lui ont été consacrés récemment : Marguerite, et Florence Foster Jenkins. Grâce à sa fortune et à sa passion, elle a fait une authentique carrière, culminant lors d’un célèbre concert au Carnegie Hall le 25 octobre 1944. Elle avait un public nombreux et fervent. Il paraît que Caruso lui-même l’admirait (voir plein d’autres infos ici). Elle disait : « Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n’ai pas chanté. » L’air de la reine de la nuit, dans la Flûte enchantée de Mozart, par Florence Jenkins.

C’est complètement faux, c’est arythmique, mais j’aimerais bien avoir ces aigus (même s’ils ne sont pas tout à fait assez aigus). Et puis comme toujours avec les choses bizarres ou inhabituelle, si on se force à écouter un peu, on finit par trouver quelques vertus au machin. Si vous êtes chanteur, essayez de chanter comme Florence Jenkins, ça n’est pas si simple. Si vous êtes musicien, essayez de repiquer exactement ce qu’elle chante, ça n’a rien d’évident, elle chante des notes nouvelles, c’est une musique tout à fait créative. En tout cas, que votre musique plaise ou non, bravo Mme Jenkins, vous n’avez pas eu peur de chanter !

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Le phono qui chante faux

Ça y est, c’est la rentrée, les séries thématiques reprennent !

Si vous voulez aider mon petit blog, c’est le moment : partagez sur facebook, faites suivre à vos amis, et même à vous ennemis, je prends tout le monde.

Il y a quelques changements cette année. Je vais espacer un peu les billets des séries thématiques : il y en aura trois (et non plus quatre) par semaine : les mardis, jeudis et samedis. En conséquence, les séries s’étaleront un peu plus dans le temps, mais j’essaierai de les faire plus courtes… On verra si j’y arrive. Les lundis, mercredis, jeudis et dimanches, il n’y a rien de prévu : j’en profiterai pour publier vos propositions, vos réponses aux énigmes, etc. Certains mercredis, je posterai peut-être une annonce de concert.

Grande nouveauté : il y aura un thème qui court toute l’année, et qu’on déclinera en différents sous-thèmes. C’est une surprise, ça commence le 16 septembre, restez en ligne ! Pour m’aider à préparer ça, je lance un rapide sondage. Ce serait génial si mes chers lecteurs pouvaient associer une chanson à chacun des événements suivants :

  • La révolution française
  • La commune de Paris
  • La première guerre mondiale
  • La seconde guerre mondiale
  • La guerre d’Algérie
  • Mai 68

Attention, il n’y pas de bonne réponse attendue ou de prix pour le gagnant, ce qui m’intéresse c’est plutôt votre opinion, votre ressenti, votre subjectivité disons. L’idéal, c’est si la chanson vous paraît spontanément ou naturellement associée à l’événement, peu importe pourquoi (chanson d’époque, relatant ou anticipant les faits, etc). On fait le point là-dessus le 16 septembre. En attendant, le premier thème de l’année c’est :

Chanter faux 1/6
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Et oui, on s’intéresse à la fausse note en chanson. Il ne s’agira pas de se moquer de telle ou telle vidéo pitoyable sur youtube, ou de raconter le jour où l’autotune de telle ou telle grande star est tombé en panne. Vous n’entendrez pas non plus parler de votre tonton que personne ne veut écouter au karaoké, ou de votre tata qui chante irrémédiablement faux, même Joyeux anniversaire. Il s’agit plutôt d’explorer la fausse note assumée ou merveilleusement accidentelle, le faux plus beau que le juste, bref, la valeur artistique de la fausse note.

Car la fausse note est partout, nichée jusque dans la pureté de la justesse. Si vous connaissez les fondements du solfège, la théorie des tempéraments, la quinte du loup, les commas pythagoricien, syntonique, ou zarlinien etc, vous savez bien que la justesse en musique est une construction complexe, en partie arbitraire, à la fois mathématique, acoustique, culturelle, sociale et bien sûr artistique. Elle n’en existe pas moins, mais elle n’a ni nécessité absolue ni définition formelle. Savez-vous par exemple qu’il est impossible de construire une gamme dont tous les intervalles sont consonants ? Ça n’est pas un scoop, les Grecs ont découvert ça il y a quelques dizaines de siècles (j’ai même écrit un truc là-dessus, voir ici). Savez-vous qu’il est impossible de faire sonner absolument juste un piano ? Allez voir la page inharmonicité du piano sur wikipedia, je lis ça quand je n’ai pas le moral, ça me remet toujours de bonne humeur. Encore mieux : lisez un manuel d’accordage de clavecin, expérience intéressante, surtout quand on n’a pas de clavecin (j’ai essayé, je vous jure que c’est vrai : Musique et Tempérament de Pierre-Yves Asselin).

Et si vous avez l’âge, vous avez peut-être connu les magnétophones à piles ? Quand les piles faiblissaient, le moteur peinait à entraîner la bande à l’exacte vitesse, et de curieuses distorsions se produisaient, vite insupportables. Mais au tout début, ces notes très légèrement fausses produisait parfois des effets fugaces, intéressants et irreproductibles. Et si vous êtes encore plus vieux, vous avez peut-être la nostalgie d’un vieux phono qui chante faux ? « En écoutant son son fêlé, je me sens plus riche » : Mon bon vieux phono, par Bourvil.

 

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