Paludier

La balade aux jardins actuels, 30

Un vers inachevé

n’est-il pas une Fantaisie

sous la Plume

de l’homme Au pas pressé ?

Finies les rimes aquatiques de Lamantine

ne risquent pas Le faux pas.

Plus de Laurent Berger sur sa page pro, Youtube Music, Youtube et Facebook.

Crédits :
Contrebasse : Michel Sanlaville
Piano : Nathalie Fortin

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Coagulation

Bouchers, boucherie et chanson, 8/16

La chanson de boucherie, c’est aussi l’histoire d’une lente coagulation. Le sang des bêtes n’en finit pas pas de se dessécher. Les « tueries particulières » du XVIIIe siècle, avec leur sang qui coulait à même la rue, remplacées par les abattoirs avec leurs personnages hauts en couleur qui hantaient les centres-villes puis les périphéries, abattoirs finalement repoussés dans les campagnes, et qu’on ne peut plus voir que dans les vidéos filmées par des activistes véganes. Et la viande est de plus en plus hachée, cachée, vendue en cube, en « nuggets », etc. En fait, sans l’invention du « personnage » du boucher par Boris Vian, la chanson serait peut-être devenue végétarienne, insoucieuse de toutes les viandes. Je vous propose aujourd’hui un mini-panorama de l’évolution de la chanson bouchère.

Dans les années 1960, on pouvait encore faire des chansons explorant la nomenclature désuète des différents morceaux du bœuf. Parodie de La valse à mille temps de Jacques Brel par Jean Poiret. Une vache à mille francs.

On pouvait aussi chanter quelques délicieuses spécialités bouchères. Les Charlots, Paulette la reine des paupiettes. J’aime bien l’air consterné du public. Noter la présence de Jean-Christophe Averty dans le public.

Quelques décennies plus tard, une lente fermentation de la chanson carnée a produit La Viande de Brigitte Fontaine.

En bonus du jour, un extrait de la meilleure série télé de tous les temps, The wire. He mister nugget.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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La viande commence par Vian

Bouchers, boucherie et chanson, 7/16

On rentre aujourd’hui dans le vif du sujet (on rentre dans le lard j’allais dire). Avec Les joyeux bouchers de Boris Vian. Ce grand inventeur inaugure le personnage du boucher dans une variante truculente de la chanson d’humour noir.

Les joyeux bouchers, par Catherine Ringer and The renegade brass band.

L’original.

Puisque la chanson se termine par l’hymne de la légion étrangère (« tiens voilà du boudin »), je vous propose un peu de littérature boudinière. Extrait du Ventre de Paris, d’Émile Zola.

Ce soir-là, vers onze heures, Quenu, qui avait mis en train deux marmites de saindoux, dut s’occuper du boudin. Auguste l’aida. À un coin de la table carrée, Lisa et Augustine raccommodaient du linge ; tandis que, devant elles, de l’autre côté de la table, Florent était assis, la face tournée vers le fourneau, souriant à la petite Pauline qui, montée sur ses pieds, voulait qu’il la fit « sauter en l’air. » Derrière eux, Léon hachait de la chair à saucisse, sur le bloc de chêne, à coups lents et réguliers.

Auguste alla d’abord chercher dans la cour deux brocs pleins de sang de cochon. C’était lui qui saignait à l’abattoir. Il prenait le sang et l’intérieur des bêtes, laissant aux garçons d’échaudoir le soin d’apporter, l’après-midi, les porcs tout préparés dans leur voiture. Quenu prétendait qu’Auguste saignait comme pas un garçon charcutier de Paris.

La vérité était qu’Auguste se connaissait à merveille à la qualité du sang ; le boudin était bon toutes les fois qu’il disait : « Le boudin sera bon. »

– Eh bien, aurons-nous du bon boudin ? demanda Lisa. Il déposa ses deux brocs, et, lentement :

– Je le crois, madame Quenu, oui, je le crois… Je vois d’abord ça à la façon dont le sang coule. Quand je retire le couteau, si le sang part trop doucement, ce n’est pas un bon signe, ça prouve qu’il est pauvre…

– Mais interrompit Quenu, c’est aussi selon comme le couteau a été enfoncé.

La face blême d’Auguste eut un sourire.

– Non, non, répondit-il, j’enfonce toujours quatre doigts du couteau ; c’est la mesure… Mais, voyez-vous, le meilleur signe, c’est encore lorsque le sang coule et que je le reçois en le battant avec la main, dans le seau. Il faut qu’il soit d’une bonne chaleur, crémeux, sans être trop épais.

Augustine avait laissé son aiguille. Les yeux levés, elle regardait Auguste. Sa figure rougeaude, aux durs cheveux châtains, prenait un air d’attention profonde. D’ailleurs, Lisa, et la petite Pauline elle-même, écoutaient également avec un grand intérêt.

– Je bats, je bats, je bats, n’est-ce pas? continua le garçon, en faisant aller sa main dans le vide, comme s’il fouettait une crème. Eh bien, quand je retire ma main et que je la regarde, il faut qu’elle soit comme graissée par le sang, de façon à ce que le gant rouge soit bien du même rouge partout… Alors, on peut dire sans se tromper: « Le boudin sera bon ».

Il resta un instant la main en l’air, complaisamment, l’attitude molle ; cette main qui vivait dans des seaux de sang était toute rose, avec des ongles vifs, au bout de la manche blanche.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Crochets francophones

Bouchers, boucherie et chanson, 6bis/16

À propos du billet de samedi dernier, Louis me signale dans un commentaire qu’il y a bien une chanson en français évoquant les crochets de bouchers. Guignol des Têtes raide.

Diego me signale que Brassens évoque implicitement l’abatage des volailles dans Les oiseaux de passage, qu’on a passé il y a quelques jours (le 31 décembre 2020) : « Et quand vient le moment / De mourir il faut voir / Cette jeune oie en pleurs […] ». Et les « bœufs qui passent » de la Légende de la none, j’espère qu’ils ne vont pas à l’équarissage ? Dans le même ordre d’idée on peut se demander si le petit cheval blanc ne finit pas à l’étalage d’une boucherie chevaline, voire dans des lasagnes Findus 100% pur bœuf. Le petit cheval, adaptation d’un poème de Paul Fort (d’ailleurs les trois chansons de Brassens du jour sont des adaptations).

Et si on parlait un peu de salade pour oublier toute cette viande ? La salade, de Raoul Ponchon.

Échinocoque, trichocéphale-dispar,
Anguillule, amœba coli, lombricoïde
Ascarides, ankylostome nicobar,
Oxyure vermiculaire, balantide…
J’en passe et des meilleurs. Tels sont, mes chers enfants,
Entre mille autres, qui vivent à nos dépens,
Les vers intestinaux, les monstrueux reptiles,
Sans compter les crochus et virguleux bacilles,
Qui rognent, sapent, scient, sucent nos intestins,
Quand nous faisons intervenir, dans nos festins,
Ce que vous appelez, moi de même, salade.

Rien qu’à vous les nommer vous m’en voyez malade.
Pensez donc à ceci que chaque individu
De cette faune obscure, en nos tripes rendu,
Y détermine telle ou telle maladie ;
Le « balantidium » une balantidie.
Le « dispar » vous fait disparaître jusqu’à l’os ;
Et le moindre lombrix vous vaut le tétanos,
Que si vous avalez un simple ankilostome,
Vous pouvez devenir une ombre de fantôme.
Songez qu’en dévorant un méchant pissenlit,
Vous risquez d’attraper un amœba-coli ;
Et que l’échinocoque ainsi que l’anguillule
Vous désagrégeront, cellule par cellule.
Autant vaut avaler ton sabre, ô Damoclès !

Qu’être lombricoé par un ascaridès…
Je me sens tricoté par un tricocéphale !…
Ô ma tête ! ma tête ! ô ma pauvre céphale !

Adieu donc, ô salade ! ô raiponce ! ô chicon !
Capables d’enrichir en un jour l’Achéron.
Adieu, scarole jaune, et toi, verte laitue,
Que nous croyions inoffensive et qui nous tue !
Quel coup dur pour l’œuf dur ! Adieu, toi, le cresson !
Tu n’es plus la « santé du corps » de la chanson.
Bonsoir la betterave et la douceâtre mâche !
Endive de malheur, et céleri, grand lâche !
Chicorée ! ah mon Dieu ! c’est fini de friser !
Barbe de capucin !… qui voudrait te raser ?

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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L’hyper-épicier

Bouchers, boucherie et chanson, 6/16

Aujourd’hui Bourvil nous chante La complainte du boucher.

Sinon, je me demande ce que Roland Barthes avait contre les bouchers. Extrait de d’une de ses Mythologies. Quelques paroles de M. Poujade.

Nous savons maintenant ce qu’est le réel petit-bourgeois : ce n’est même pas ce qui se voit, c’est ce qui se compte; or ce réel, le plus étroit qu’aucune société ait pu définir, a tout de même sa philosophie : c’est le « bon sens », le fameux bon sens des « petites gens », dit M. Poujade. La petite-bourgeoisie, du moins celle de M. Poujade (Alimentation, Boucherie), possède en propre le bon sens, à la manière d’un appendice physique glorieux, d’un organe particulier de perception : organe curieux, d’ailleurs, puisque, pour y voir clair, il doit avant tout s’aveugler, se refuser à dépasser les apparences, prendre pour de l’argent comptant les propositions du « réel », et décréter néant tout ce qui risque de substituer l’explication à la riposte. Son rôle est de poser des égalités simples entre ce qui se voit et ce qui est, et d’assurer un monde sans relais, sans transition et sans progression. Le bon sens est comme le chien de garde des équations petites-bourgeoises : il bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, où l’on est chez soi, à l’abri des troubles et des fuites du «rêve» (entendez d’une vision non comptable des choses). Les conduites humaines étant et ne devant être que pur talion, le bon sens est cette réaction sélective de l’esprit, qui réduit le monde idéal à des mécanismes directs de riposte.

Pour une illustration de la sentence selon laquelle « le réel petit-bourgeois : ce n’est même pas ce qui se voit, c’est ce qui se compte », je vous renvoie à la série Quand l’esprit d’épicerie rencontre la révolution sexuelle, consacrée aux relations sexuelles précoces (en chansons), dans laquelle il apparaît que la chanson des années de la révolution sexuelle (années 1970 en gros) avait la manie de toujours citer les âges scandaleusement jeunes protagonistes, de Brassens à Sardou en passant par Antoine, Lenorman, etc. Le scandale se mesure objectivement.

Sinon, le boucher de Barthes, c’est l’hyper-épicier, avec « épicier » dans le sens de petit-bourgeois mesquin. Qu’on retrouve en chanson dans Les philistins, adaptation par Georges Brassens d’un poème de Jean Richepin.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Jour de poisse

La balade aux jardins actuels, 29

J’te l’dis tout d’suite,

je m’apprête et attends Gare du nord,

Prends les coups

et ne reste que Ta tasse de thé.

Plus de Garance : Sur sa page pro, Youtube Music, Youtube et Facebook.
Crédits :
Guitare électrique, chœurs : Daniel Jea
Pad, clavier, choeurs : Gabriel Le Masne
Sauf Gare du nord :
Guitare, clarinette : Thomas Le Magurier
Batterie : Matthias Moreno
Basse : Fred Feraud

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Les crochets de bouchers

Bouchers, boucherie et chanson, 5/16

Le billet d’aujourd’hui est consacré aux crochets de boucher, en chansons bien sûr. Avec Meat hook de The Cure.

Je n’ai pas trouvé de chanson française sur les crochets de boucher. Il faut dire que « meat hook » c’est plus facile à caser dans un refrain que « crochet de boucher », comme sonorité s’entend. Je vous laisse à vos méditations sur le génie de la langue anglaise.

Sinon, vous vous rappelez de l’affaire Clearstream ? Il parait qu’un certain Nicolas Sarkozy a voulu pendre un certain Dominique Galouzeau de Villepin « à un crochet de boucher ». Je n’ai jamais compris ça… alors qu’il y a le « crochet à nobles » bien plus adapté en la circonstance. Extrait d’Ubu roi d’Alfred Jarry.

Père Ubu. Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! Ensuite, faites avancer les Nobles.
On pousse brutalement les Nobles.
Mère Ubu. De grâce, modère-toi, Père Ubu.
Père Ubu. J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.
Nobles. Horreur ! À nous, peuple et soldats !
Père Ubu. Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera. (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ?
Le Noble. Comte de Vitepsk.
Père Ubu. De combien sont tes revenus ?
Le Noble. Trois millions de rixdales.
Père Ubu. Condamné !
Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.
Mère Ubu. Quelle basse férocité !



1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Elle est d’ailleurs

Bouchers, boucherie et chanson, 4/16

On verra dans la suite de la série que le boucher dans la chanson moderne est un personnage affublé d’une forte personnalité, une sorte d’Obélix bien pratique pour meubler les répertoires avec sa balourdise vaguement sanguinaire. Mais avant ça, abordons un personnage plus rare, le boucher surréaliste, dont on se demande ce qu’il fabrique dans sa chanson. Et oui, c’est quoi « cette manière de traverser quand elle s’en va chez le boucher » ? Pourtant ça ne manque pas les rimes en [é] un peu plus romantiques que « boucher ». La chanson Elle est d’ailleurs est de Pierre Bachelet, maître de la rime (on avait déjà vu dans ce blog qu’il a osé faire rimer « Verlaine » avec « verveine », voir ici, non mais ça c’est le comble).

Dans ce billet placé sous le signe de la sentimentalité bouchère, je vous propose un extrait du Ventre de Paris d’Émile Zola. À la charcuterie, la belle et grasse Lisa s’éprend de l’ample Quenu.

Cela dura un an, sans une rougeur de Lisa, sans un embarras de Quenu. Le matin, au fort du travail, lorsque la jeune fille venait à la cuisine, leurs mains se rencontraient au milieu des hachis. Elle l’aidait parfois, elle tenait les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et de lardons. Ou bien ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses, du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée.

Tiens, et puis Nadia me signale P… de toi de Georges Brassens, avec le seul personnage de boucher de toute l’œuvre de Brassens si je ne m’abuse. On reviendra un peu plus tard sur cette quasi-absence. Par le groupe Brassens not dead.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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Rue de l’Échaudé

Bouchers, boucherie et chanson, 3/16

Aujourd’hui, on s’intéresse à l’histoire des abattoirs. Tout authentique amateur de chanson le sait bien : « à la Villette on tranche le lard », ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jacques Dutronc dans Paris s’éveille. Ce vers du parolier Jacques Lanzmann fait référence aux abattoirs de La Villette à Paris, fermés dans les années 1970. Autrefois les bêtes étaient abattues au cœur des villes. Au XVIIIe siècle plusieurs centaines de boucheries pratiquaient l’abattage dans des « tueries particulières » à Paris, petit à petit remplacées par des abattoirs. Si vous avez l’estomac bien accroché, vous pouvez regarder Le sang des bêtes, documentaire de Georges Franju (et puis enchainez sur Les yeux sans visage…). Ici. Le film est très cru, mais si vous voulez le voir quand même, j’attire votre attention d’amateur de chansons sur un détail : tous ces équarrisseurs, bouchers ou manieurs de merlin, ils travaillaient en chantant ou en sifflant.

Quelques chansons témoignant de cette présence du « sang des bêtes » dans le quotidien nous sont parvenues, comme la Chanson du décervelage, d’Alfred Jarry. La « rue de l’Échaudé » existe bel et bien à Paris. Son nom provient d’un pâtisserie, mais elle a sans doute été choisie par Jarry par référence à l’échaudoir, l’endroit précis de l’abattoir où la bête est tuée. Chantée par Rosy Varte et Georges Wilson, sur une musique de Maurice Jarre.

Puisqu’on parle d’Alfred Jarry et de viande, je vous propose cet extrait d’Ubu roi.

Père Ubu. Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?
Capitaine Bordure. Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ?
Mère Ubu. Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures.
Père Ubu. Des viandes, oui ! De l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.
Mère Ubu. Sagouin toi même ! Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?
Père Ubu. Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.
Mère Ubu. Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.
Capitaine Bordure. Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.
Père Ubu. Est-ce bien vrai ?
Mère Ubu. Oui, oui !
Père Ubu. Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi !

Et puis écoutez ou réécoutez l’excellent documentaire de Catherine de Coppet, Cacher le sang des bêtes : de la tuerie à l’abattoir. Ici. Et puis si vous allez au restaurant Carnegie Hall, Lyon 7e, vous lirez dans le menu que le gigot est servi « selon tuerie ».

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
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Comment inventer le mouton français ?

Bouchers, boucherie et chanson, 2/16

Aujourd’hui, Les quatre barbus nous chantent Il pleut bergère.

Mais quel rapport avec les chansons de boucherie ? C’est peut-être un tiré par les cheveux, mais c’est au moins une chanson d’élevage. Je n’invente rien, lisez ce que disait l’historien Pierre Serna disait d’Il pleut bergère, au micro de Jean-Noël Jeanneney, sur France Culture, le 5 octobre 2019. J’en profite pour recommander l’émission Concordance des temps, et notamment son excellente programmation de chansons.

Pierre Serna : L’animal, c’est une grosse affaire d’argent. On le voit dans l’histoire de l’industrie agroalimentaire. On le voit au travers l’histoire des abattoirs de Chicago. On le voit au travers des startups californiennes qui investissent tous sur les aliments de substitution pour le véganisme qui monte. À l’époque, c’est déjà une immense affaire économique, les animaux.

Jean-Noël Jeanneney : C’est ça qu’il y a dans cette chanson ?

P.S. : Bien sûr. Parce que le mouton est en fait un objet économique essentiel. Pourquoi ? Parce tout simplement, la France perd des dizaines de millions de livres chaque année pour acheter la laine à l’Angleterre et à l’Espagne. Le mérinos espagnol, le shetland anglais écrasent le mouton français. Et pour les agronomes, vous savez que la grande bataille des années 1780, date d’écriture de cette chanson, c’est « quel choix veut-on pour l’agriculture française ? ». Une agriculture céréalière ou une agriculture de prairies artificielles qui développerait l’élevage, domaine dans lequel la France est très en retard.

Donc derrière cette petite comptine, « Il pleut Bergère, rentrez vos blancs moutons », il y un enjeu essentiel. Un enjeu tellement essentiel que pour remercier le roi de France en 1783, Charles III, son cousin d’Espagne, lui offre un petit troupeau que la reine Marie-Antoinette va chérir, dont elle va s’occuper dans sa fameuse bergerie. Et l’école vétérinaire de Maison-Alfort, qui existe encore, qui est créée en 1766 mais qui va s’intéresser de plus en plus à l’économie politique, donc au rôle des animaux dans la prospérité française, va en fait se poser la question de comment inventer le mouton français. Et ça va être un des enjeux de la grande commission d’agriculture qui fait partie des grands comités de gouvernement à partir de 1792, lorsque la convention est créée. […]

Et comment va-t-on inventer le mouton français ? Et bien, on va le placer en haut de l’histoire diplomatique. Lors du traité de Bâle en 1795, qui met fin à la guerre entre la France et l’Espagne, […], un des codicilles secrets du traité, implique que le roi d’Espagne doit donner à la République française un troupeau de 1000 brebis et moutons reproducteurs. Vous savez que celui qui fait passer un mouton par la frontière des Pyrénées est passible de la peine de mort en Espagne. C’est un trésor national le mouton.

Waouh. Bon, encore une petite, Il pleut bergère de Nino Ferrer.

1 – Trois petits enfants s’en allaient glaner aux champs
2 – Comment inventer le mouton français ?
3 – Rue de l’Échaudé
4 – Elle est d’ailleurs
5 – Les crochets de bouchers
6 – L’hyper-épicier
6bis – Crochets francophones
7 – La viande commence par Vian
8 – Coagulation
9 – Professeur Choron, boucher et assassin
10 – Les garçons bouchers
11 – Jean-Claude Dreyfus
12 – Tout est bon dans le cochon (et réciproquement)
13 – Jean-Pierre Coffe en a un petit bout
14 – Mes bouchers
15 – Ficelle à rôti
16 – La Chanson du boucher de Michèle Bernard

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