La source Albert Willemetz

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 9/13
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Un auteur de chanson un peu oublié aujourd’hui nous a laissé quelques belles expressions : Albert Willemetz. C’est probablement avec Pierre Delanoë le parolier français le plus prolifique. On lui doit plus de 3000 chansons, dont au moins deux déjà passées dans le blog : Les palétuviers, ici, et Dites-moi ma mère, ici.

Il a écrit des tubes comme Félicie aussi, Valentine, ou l’hakuna-matatatesque Dans la vie faut pas s’en faire. Par Maurice Chevalier.

Il a aussi inventé plusieurs expressions plus ou moins utilisées, comme « Est-ce que je te demande si ta grand-mère fait du vélo ». Ça vient de la chanson Est-ce que je demande ? Par Dranem.

Dans la version de Serge Clin, les paroles sont plus faciles à suivre.

Albert Willemetz a aussi inventé l’expression « si vous n’aimez pas ça, n’en dégoutez pas les autres ». Dans Si vous n’aimez pas ça, ici chanté par Marcel Amont.

Enfin, l’expression « se faire chanter Ramona », qui veut dire se faire engueuler, vient de la chanson Ramona, une adaptation co-écrite par Albert Willemetz d’une chanson américaine. Chantée par Saint-Granier.

Plus d’information sur un site remarquable, Du temps des cerises aux feuilles mortes.

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Les copains d’abord

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 8/13
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On a vu dans le dernier billet qu’il y avait des sources et des robinets. Mais tous les hydrologues vous le diront, l’eau de la source elle-même vient bien de quelque part.

Voyez la Sorgue, petite rivière, qui surgit d’une falaise directement, sans avoir jamais été ni torrent ni ruisseau, pas très loin d’Avignon. Sa source est la 5è du monde par le débit. Cette rivière qui jaillit de la terre a donné son nom à un département, le Vaucluse (vallée close). Le village où la Sorgue prend sa source s’appelait simplement Vaucluse, on l’a rebaptisé Fontaine-de-Vaucluse pour éviter la confusion avec le département.

« Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon » écrivait l’enfant du pays René Char. Quelques siècles auparavant, c’est là qu’a choisi de vivre une autre source, le poète Pétrarque, à qui l’on doit une grande invention : la promenade en montagne.

Les géologues n’ont toujours pas réussi à explorer complètement le trou d’eau d’où jaillit la Sorgue. Quel analogue de la Sorgue existerait en chanson, quelle source ? Quel jaillissement soudain et inespéré ? On pense bien sûr à Georges Brassens.
Mais Brassens lui même a ses sources, on a déjà vu ici qu’il a beaucoup emprunté au poète Paul Fort, qui lui-même s’inspirait parfois d’un auteur-compositeur du XIXè siècle un peu oublié aujourd’hui, Gustave Nadaud.

Ecoutez par exemple ce texte de Nadaud mis en musique par Brassens, Carcassonne.

Puis Le nombril des femmes d’agents, paroles et musique de Brassens. La parenté est évidente et assumée (je ne parle pas de la musique, qui est la même, mais de la structure des paroles).

Brassens lui-même a donc ses sources. Parfois, il cite subtilement tel ou tel poète. Dans Le bulletin de santé, « Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut » , vient peut-être de chez Stéphane Mallarmé, qui conclut son poème L’azur (texte intégral ici par

Je suis hanté, l’Azur, l’Azur, l’Azur, l’Azur.

Brassens cite souvent Villon, dont il a mis en musique la Ballade des dames du temps jadis, voir ici. Et ses mises en musique de Victor Hugo deviennent si proverbiale qu’elle peuvent même resservir quand un journaliste annonce le mariage d’un sculpteur et d’une actrice porno (« peu s’en fallu que ne pleurassent … », emprunté à la Légende de la nonne). Voir ici. Je vous propose aussi un beau document, interview de Brassens sur la langue, sur le site de l’INA, ici.

Bon, source ou pas, quels mots ou expressions nous aurait laissés Brassens ? Pas grand chose… « Gare aux gorilles » peut-être. Et puis j’ai l’impression que « les copains d’abord » est une tentative ratée de créer une expression, un échec marketing comparable à la décadanse de Gainsbourg.

Si on y réfléchit, les quatre mots ont un potentiel énorme de subversion. Quand un bateau fait naufrage, on sauve « les femmes et les enfants d’abord ». Appeler un bateau « les copains d’abord », ça va à l’encontre de la morale admise, ça aurait dû devenir une expression bougrement immorale et non pas une célébration vague et abstraite l’amitié. Mais non… Le côté provocant de la formule a échappé au public. Il est dans un arrière plan de la chanson. C’est un refrain auquel on ne prête qu’une oreille distraite, un moment de repos qui permet de garder toute son attention pour des couplets dont, sous le charme du swing, on décortique avec gourmandise les textes retors.

Je conclus par une anecdote à propos d’une variante de l’expression « les copains d’abord ». Je me suis vu rétorquer une fois par ma chef lors d’un petit cataclysme bureaucratique comme il y en a tous les jours dans les administrations : « sauve qui peut le vin et le pastis d’abord ». J’ai répondu : « Supplique pour être enterré sur la plage de Sète », chanson de Georges Brassens déjà passée ici d’où est tirée cette expression. Il me fut rétorqué « nous avons les même valeurs ». Monsieur Brassens, votre expression a été utilisée au moins une fois … Pour « les copains d’abord », j’attends encore.

Un dernier truc pour les amateurs de solfège (je mets ça à la fin, ça enquiquine la plupart des lecteurs en général). Le côté subversif des Copains d’abord est attesté par sa mélodie qui contient l’intervalle le plus diabolique : le triton, « diabolus in musica », voir ici. En effet, Brassens chante ré – sol dièse, sur « des ports », la deuxième fois. L’intervalle est descendant en plus, et bien exposé puisqu’il tombe sur une rime et des notes assez longues. C’est rarissime en chanson, et très difficile à chanter juste. Vous me direz, ré et sol dièse, ce ne sont jamais que la 7è et la tierce de l’accord de Mi7, pas de quoi crier au loup…

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Hukuna matata

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 7/13
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Ça rame cette série… On ne trouve pas d’expression très convaincante venant de la chanson. Je propose une explication. Supposons que la langue soit un vaste système hydrologique. Les mots, les expressions, c’est une eau qui fait tourner nos moulins (à paroles ?) et qui à l’occasion désaltère nos esprits. Il y a de l’eau, et donc des sources.  Et il y a des robinets. Les sources inventent la langue, les robinets la restituent.

La chanson se placerait du côté des robinets tout simplement… elle pourvoit plus qu’elle ne sourçoit. N’a-t-on pas parlé à propos de radios ou de chaines de télé de « robinet à musique » ? Il y a aussi des bassins d’épandage et de vastes usines d’épuration comme Walt Disney. On y recycle des expressions comme « Hakuna matatizo » qui signifie en swahili « pas de problème ». Sur wikipedia, j’apprends que

L’expression s’est d’abord fait connaître dans les pays occidentaux en 1983, avec la reprise, par Boney M., de la chanson Jambo Bwana du groupe kényan Them Mushrooms, sortie l’année précédente et qui reprend la phrase « Hakuna matata » dans son refrain. Elle a ensuite connu une nouvelle popularité avec le film d’animation Le Roi lion en 1994.

On écoute tout ça.

Jambo Bwana, du groupe kényan Them Mushrooms.
https://www.youtube.com/watch?v=M47hpCHb0bo

Jambo Bwana par Boney M.
https://www.youtube.com/watch?v=97rYevYr8_o

Hakuna matata, dans le Roi lion.

Walt Disney ne fait pas que recycler. Le mot Supercalifragilisticexpidélilicieux a bien été inventé pour Mary Poppins, mais il ne sert quand même pas tous les jours. Supercalifragilisticexpidélilicieux, par Julie Andrews et Dick Van Dyke.

 

NB : Je ne suis moi-même qu’un robinet, puisque j’emprunte la métaphore de la source et du robinet à une lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet, le 16 septembre 1853.

Pourquoi perds-tu ton temps à relire Graziella quand on a tant de choses à relire ? Voilà une distraction sans excuse, par exemple ! Il n’y a rien à prendre à de pareilles œuvres. Il faut s’en tenir aux sources, or Lamartine est un robinet.

(Notez le Lamartine bashing, sport en vogue chez les écrivains, dont on a déjà eu un exemple ici).

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La décadanse

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 6/13
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Nous sommes toujours en quête d’expressions courantes de la langue française venant de la chanson. Nous avons vu des phrases toute faites, moitié proverbe, moitié expression, bref un peu à côté. Nous avons vu le rickroll et la franck-mickaélisation, deux expressions intéressantes mais plutôt confidentielles et spécialisées. Et qui ne viennent pas tant de la chanson que de la politique et de l’internet, grands pourvoyeurs d’expressions nouvelles. Explorons d’autres grandes sources de néologismes, expressions, phrases toutes faites, etc.

Tout d’abord, les antonomases, figures consistant en la transformation d’un nom propre en nom commun, ce qui a donné silhouette ou poubelle. Ensuite la bande dessinée. Saviez-vous que le mot « pied » a été inventé par un personnage de bande dessinée ? La dame assise, dans Les poulets n’ont pas de chaise, de Copi.

pouletPasDeChaise

 

Bécassine fut une bande dessinée avant d’être une chanson ou un synonyme d’idiote évidemment. On doit « ils sont fous ces romains » et « il est tombé dedans quand il était petit » au grand René Goscinny. Le génial Franquin nous a laissé, « m’enfin » et « rogntudju ». Quant aux « pieds nickelés » c’est bien sûr une bande dessinée, quoique le titre provienne selon certains d’une pièce de théâtre. La palme du genre revient à Cabu, le plus merveilleux des dessinateurs de presse, assassiné le 7 janvier 2015, et qui a inventé un mot passé dans le langage courant : « beauf ». Le 25 juillet 1980, Cabu invité de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophe. Regardez notamment la fin de la vidéo.

Plus généralement, la littérature est bien sûr une bonne source d’expressions toutes faites, comme d’innombrables moralités de fables de La Fontaine. Si vous êtes un Don Juan, vous devez quelque chose à Molière… à moins que ne soyez un tartuffe ou que vous ne vous embarquiez dans une galère ?

J’aime beaucoup l’expression « élémentaire mon cher Watson » parce qu’il paraît qu’on ne la trouve dans aucune aventure de Sherlock Holmes. C’est le comble de l’inventeur d’inventer ce qu’il n’invente pas. Notez que dans un précédent billet, on a eu un cas similaire. Comme me l’a fait remarquer Daniel Maillot dans un commentaire, Georges Marchais  n’a jamais dit « taisez-vous Elkabbach ». La citation est en fait une invention de Thierry Le Luron ! Ce qui nous amène aux comiques…

Les comiques ne sont pas en reste donc : le schmilblick, « faire chauffer la colle », ou loufoque (qui n’est autre que le mot fou traduit en loucherbem, voir ici) sont des expressions inventées par Pierre Dac. « C’est étudié pour », « tonton, pourquoi tu tousses ? » ou « ça eu payé, mais ça paye plus » furent inventées par Fernand Raynaud. On doit à Coluche « C’est l’histoire d’un mec », ou « sans blague merde ». Les Deschiens nous ont laissé le gibolin. N’oublions pas Nabila qui a su renouveler le mot allô.

C’est triste à dire quand on aime la chanson, mais les paroliers paraissent bien faibles à côté de Cabu, Goscinny, Pierre Dac, Fernand Reynaud, Charles de Gaulle ou Nabila. Ces prétendus génies du mot ont l’oreille du peuple tout entier. Radio Nostalgie nous bourrent le crâne de leurs ritournelles. Résultat : le sociologue Michel Delpech, le provocateur Serge Gainsbourg, l’amoureuse Véronique Sanson, l’ado révolté Renaud, le droitiste Michel Sardou, l’idole des vieux/jeunes Johnny… quelles expressions toutes faites nous ont-ils laissées ? « Que je t’aime » ? Soyons sérieux : pas grand chose.

Ont-ils seulement essayé ? Je le crois. Par exemple, Serge Gainsbourg a essayé d’inventer tout ensemble une nouvelle chanson, un nouveau mot et une nouvelle danse : La décadanse, tentative contre-nature de rétrograder ce bon vieux slow au niveau de ringardise de la position du missionnaire. Jane Birkin et Serge Gainsbourg, La décadanse, en 1972.

 

Vidéo de l’Ina qui atteste le côté « plan com » de l’opération : ici ! Cette danse, je l’aurais plutôt appelée slowrette… Le plan n’était pas mauvais toutefois, j’en conviens. Mais l’échec fut complet : la chanson, quoique sulfureuse et bien écrite, n’a pas marché. Et surtout, la danse n’a rencontré aucun succès, je ne connais personne qui danse la décadanse (si vous en connaissez, balancez, hashtag balance ton décadanseur). Pourquoi cet échec ? Le public était peut-être rassasié de scandale après le succès de Je t’aime moi non plus ? Le contraste entre érotisme torride et jeu de mot bidon a dû plomber le concept « décadanse ». Et puis franchement, je ne suis pas danseur, mais ça m’a l’air un peu nul comme danse, je veux dire d’un point de vue strictement dansant, non ? Aller, on remet ça.

https://www.youtube.com/watch?v=NJxj8hNamb0

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C’est la même chanson

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 5/13
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On enfonce une dernière porte ouverte aujourd’hui avec les expressions qui contiennent une variante du mot « chanson » comme « on connait la chanson », « c’est toujours la même chanson » ou « céder au chant des sirènes ». Ces expressions sont tout à fait respectables, mais on ne peut pas dire qu’elles viennent d’une chanson. Quoiqu’elles soient parfois utilisées en chanson.

C’est la même chanson, par Claude François.

 

Puisqu’on parle de Claude François, Nadia (de Meylan) me propose le mot « claudette » et ses dérivés, comme bernardette. J’apprends que ce mot est inspiré de « ikette », nom des danseuses de Ike et Tina Turner.  Bien joué, mais ça ne vient pas vraiment d’une chanson. Pour continuer sur Cloclo, vous pouvez aussi vous procurer le récent ouvrage de Philippe Chevalier, La chanson exactement, l’art difficile de Claude François. Je ne l’ai pas encore lu, mais ça a l’air intéressant. Interview de l’auteur en réécoute sur le site de France Culture, ici.

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Allô ! maman bobo

Expressions et mots venant de la chanson : les sources et les robinets 4/13
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On aborde aujourd’hui un vaste continent : ces expressions qui font tout de suite penser à une chanson, qui ont peut-être été inventées dans une chanson, mais dont le moindre défaut est de ne pas être des expressions. Roland, internaute de Toulouse (merci) nous propose dans cette catégorie « il sentait bon le sable chaud », qui fait penser à Mon légionnaire. Mais avez-vous déjà entendu quelqu’un dire ça ? D’ailleurs, ça sent quoi le sable chaud ? Et le sable froid, il sent le pâté ?

On peut multiplier à l’infini ce genre d’exemples : « viens poupoule », « jouer du piano debout », « c’est la ouate qu’elle préfère », etc, voire même le patriotique « allons z’enfants ». Ces expressions ne veulent pas dire grand chose, en contraste de quoi leur pouvoir d’évocation paraît grandi : ça ne veut rien dire, ça n’évoque pas beaucoup plus, mais en regard de ce rien, ce pas beaucoup n’est déjà pas si mal. L’impossibilité d’utiliser l’expression dans la vie courante garantit à la chanson une forme d’exclusivité. L’expression et la chanson sont en l’espèce deux mèmes qui vivent en symbiose. Pour rappel, un « mème » est « un élément d’une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en particulier par l’imitation ».

Ce type d’inventions fait pleinement partie de l’art du parolier. Alain Souchon est peut-être l’un des maître du genre (« foule sentimentale », « allo maman bobo », « j’veux du cuir », « passer l’amour à la machine », « j’suis bidon » proposé par Genzo le parolier dans un commentaire, etc etc). Mais dans la présente série, c’est un peu hors sujet. Je vous passe quand même Allô ! maman bobo. Les paroles ressemblent à une litanie de demi-expressions proverbiales…

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Chanson de vache

En ce 1er avril, j’interromps la série en cours pour une annonce que je rumine depuis quelques jours : la ligne éditoriale de mon blog fait un virage complet, halte à l’avachissement : je mise tout sur la chanson vacharde à présent. Uniquement de la chanson pour vaches. Live Burp Concert in Front of a Herd of Cows par Yanagi.

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