Jacques Brel est-il misogyne ?

Féminisme / sexisme 7/16

Jacques Brel est bien connu pour son « problème » avec les femmes, problème plus facile à mesurer (il est très gros) qu’à définir. Il avait toutes sortes de théories sur « l’homme » et « la femme », exposées très clairement dans la vidéo à suivre.

Une autre interview, avec Denise Glaser.

Dans ses chansons, Brel nous livre parfois de véritables exposés de doctrine misogyne. Les filles et les chiens.

Autre exemple dans son album testament, Les Marquises, sa chanson La ville s’endormait :

Mais les femmes toujours
Ne ressemblent qu’aux femmes
Et d’entre elles les connes
Ne ressemblent qu’aux connes
Et je ne suis pas bien sûr
Comme chante un certain
Qu’elles soient l’avenir de l’homme

Dans ce contexte globalement misogyne, on peut pour la défense de Brel noter son rapport original au sexe. Il en fait beaucoup moins mention que bien d’autres chanteurs comme Brassens, Gainsbourg ou Ferré, et presque jamais selon les modalités classiques : on ne retrouve ni le paillard, ni le graveleux, ni même la simple célébration du plaisir (en particulier du plaisir de l’homme). Brel qui avait une écriture pourtant très originale (une série sur son usage de la métonymie est en préparation) utilise souvent des métaphores assez banales quand il se situe à la frontière de l’amour et de la sensualité (« On a vu souvent rejaillir le feu / De l’ancien volcan qu’on croyait trop vieux » dans Ne me quitte pas, « Les garçons dans leurs rêves / Les filles dans leurs frissons » dans Les bergers, etc).

Lorsqu’il parle de sexe plus explicitement, c’est avec un point de vue qui détonne un peu. Dans Grand-mère, il évoque des amours lesbiennes (« grand-mère se tape la bonne »). Dans Le gaz, chanson un peu énigmatique, une sorte de maison close est évoquée, mais sans détails explicites. Dans Jef, Knokke-le-Zoute tango et Au suivant (sa seule chanson sur un sujet principalement sexuel), le point de vue est celui d’un homme faible, ou ridicule, ou moqué, et qui ne tire ni gloire ni plaisir de ses ébats effectifs ou projetés. Dans Parfaitement à jeun, une relation adultère ridiculise le narrateur, qui à son tour envisage de cocufier (« gnougnougnafer la femme d’André ») son chef par vengeance.

Une chanson intéressante : Les jardins du casino. Là encore le sexe est plutôt envisagé sous l’angle du sarcasme, mais cette fois, c’est la sexualité féminine :

Où glandouillent en papotant
De vieilles vieilles qui ont la gratouille
Et de moins vieilles qui ont la chatouille
Et des messieurs qui ont le temps

Plus loin dans la chanson, on voit que la  question est avant tout envisagé d’un point de vue social ou simplement reproductif :

Les jeunes filles rentrent aux tanières
Sans ce jeune homme ou sans ce veuf
Qui devait leur offrir la litière
Où elles auraient pondu leur œuf

Dans La Chanson des vieux amants, le sexe n’est explicité que pour la femme, et du point de vue de son plaisir :

Bien sûr tu pris quelques amants
Il fallait bien passer le temps
Il faut bien que le corps exulte.

La seule mention un tant soit peu érotique que j’ai pu trouvé dans une chanson de Brel, c’est dans J’arrive :

J’arrive, j’arrive
Mais qu’est-ce que j’aurais bien aimé
Encore une fois remplir d’étoiles
Un corps qui tremble et tomber mort
Brûlé d’amour, le cœur en cendres

Là encore, Brel évoque le sexe du point de vue du plaisir de sa partenaire, manière bien peu machiste d’envisager la question. À l’heure où les débats féministes portent beaucoup sur la drague lourde, le harcèlement voire le viol, un regard sur Brel à travers ce seul prisme donnerait plutôt l’image d’un chanteur féministe …

1 – Les petites filles de Michèle Bernard
2 – Êtes-vous sexiste-Beatles ou sexiste-Rolling Stones ?
3 – Jane Birkin
4 – Marie Dubas nous fait mal
5 – Les rapeurs sont-ils jugés sexistes ?
6 – Léo Ferré est-il misogyne ?
7 – Jacques Brel est-il misogyne ?
8 – Georges Brassens est-il misogyne ?
9 – Gainsbourg est-il misogyne ?
10 – Les z’hommes
11 – Le monsieur du métro
12 – À part peut-être Renaud
13 – Anne Sylvestre
13bis – La faute à Ève
14 – Rimes féminines
15 – Ne vous mariez pas les filles
16 – Nettoyer, balayer

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14 commentaires sur “Jacques Brel est-il misogyne ?

  1. Bonjour. C’est toujours très intéressant ce que vous écrivez, et je trouve que vous n’êtes jamais dans le jugement, ce qui est rare.
    Pour en revenir à Brel, j’ai entendu un entretien de Simone Langlois, une des première à avoir interprété les chansons de Brel (et elle ne cachait pas sa fierté) avec qui elle avait des liens amicaux. Elle disait qu’on avait beaucoup trop tendance à simplifier la personnalité du chanteur. Selon elle, c’était une personnalité extrêmement complexe et plein de contradictions. Effectivement, il était misogyne, mais en même temps, il adorait les femmes, et il n’avait pas de comportement macho envers elles. Quand il était amoureux il était prêt a tout pour celle qu’il aimait. Il était attiré par les femmes à fort caractères. Ça aussi c’est étonnant je trouve venant d’un misogyne. D’ailleurs, contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas lui qui n’a pas voulu divorcé, mais sa femme qui refusera, et qui en échange, acceptera qu’il ai des maitresses ; elle le lui dit clairement dans une lettre. Bref… Par contre, Brel avait souvent tendance à être lâche avec les femmes. Il a souvent dit qu’une des chansons qui lui ressemblait le plus était « Ne me quitte pas », qu’il a aussi déclaré être une chanson sur « un con, un lâche et un raté ».
    C’est Gréco qui disait que, malgré ce côté misogyne, Brel était très, voire trop tendre, beaucoup plus tendre qu’elle, et qu’elle était beaucoup plus violente que lui, que c’est surement pour ça qu’ils se sont si bien entendu.
    Par contre, quand il était avec des copains et qu’il y avait au moins une femme présente, il faisait tout pour être exécrable pour qu’elle parte. Il n’y a que les femmes qu’ils considérait comme des « mecs » qui pouvaient rester, comme gréco et Barbara. Gréco disait que c’est le plus beau compliment que Brel pouvait faire à une femme.
    De toute façon, j’ai toujours pensé qu’il existait plusieurs formes de misogynie. D’ailleurs, tous les hommes qui sont maladivement timides avec les femmes sont, à mon avis, plus ou moins misogynes.
    Donc finalement, dans ses chansons on retrouve assez bien ses nuances. Après en interview, je me suis toujours demandé s’il n’y avait pas aussi en plus une part de provocation. Le pianiste et ami de Brel, Gérard Jouannest, disait que le chanteur recevait beaucoup de lettres de femmes, mais celles qu’il aimait lire, ce n’était pas celles des admiratrices, mais les autres, les moins aimables, celles des femmes en colère après lui où qui le trouvaient trop grossier dans certaines chansons, où qui lui écrivaient pour lui dire qu’elles ne l’aimaient pas. C’est quelque chose qui le fascinait, apparemment, qu’on puisse prendre du temps pour lui écrire qu’on ne l’aime pas. En plus, il trouvait que les lettres méchantes étaient plus intéressantes car plus variées, parfois drôle, et souvent mieux tournées.

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