« I want you », c’est mieux que « je te veux »

Peut-on chanter en français – 11

On lit aujourd’hui une interview de Gérard Manset par Benoît Duteurtre, le 28 septembre 2019.

Benoît Duteurtre : L’amour de la musique de langue anglaise, d’après ce que j’ai pu lire de vous Gérard Manset, c’est qu’au fond vous avez l’idée que le français n’est pas une langue idéale pour la chanson. Que c’est pas une langue musicale.

Gérard Manset : Non. Enfin, c’est pas une langue idéalement contemporaine d’aujourd’hui. C’est-à-dire que oui, si on veut être Brel ou si on veut faire des alexandrins, voilà ad libitum, alors oui, là on peut. Mais la langue française n’est pas faite pour des Dylan. On ne peut quasiment pas balancer. Moi j’ai la chance d’en avoir eu qui me sont venus. Parce que moi, j’ai une inspiration paroles et musiques en même temps. Et puis elle me vient d’ailleurs, donc je n’en suis pas responsable. Et peut-être que d’autres en dehors de moi œuvrent à manifester justement cette réunion entre les deux ensembles : langue anglo-saxonne et langue française. Ce qui est absolument injoignable. […]

BD: Et l’accent tonique ?

GM : Ah non, moi je crois plutôt que l’abstraction des termes. D’ailleurs, un jour, j’ai vu, ça devait remonter au début de Rihana. Au tout début, elle avait fait ce titre, Under my umbrella. Je trouve le texte finalement pas du tout de la daube. Et donc aucun texte anglais ou anglo-saxon n’est de la daube. C’est-à-dire que tous les titres sont magiques. En français, les titres c’est une catastrophe. Ne serait-ce que sur l’appel à un public quelconque, sur le fait d’attraper quelqu’un par la manche un titre.

BD : C’est sûr que « I want you », c’est mieux que « je te veux ».

GM : Y en a mile exemples. C’est très difficile d’avoir un texte un petit peu comme ça, la langue française ne s’y prête pas.

BD : Vous dites au fond que dans la langue française, il y a un décalage entre la langue savante et la langue populaire de la chanson. Qui ne sont pas la même pratiquement. Alors qu’en anglais, c’est pratiquement la même.

GM : Oui, l’anglais, il attrape le peuple par le col, c’est international, et puis on peut en quelques phrases. Après, au niveau du phrasé, c’est beaucoup plus facile à articuler, à balancer le truc. On est presque dans un instrument musical.

Je vous passe Mon amour de Gerard Manset.

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La langue française sent le fromage de chèvre

Peut-on chanter en français – 10

Saviez-vous qu’Yves Duteil, ce grand défenseur de la langue française, a écrit ses premières chansons en anglais ? Voilà ce qu’il disait au micro de Sylvain Augier, en octobre 1989, dans l’émission de France Inter, Qu’est-ce qui vous fait courir ?

Sylvain Augier : Vous avez composé à 16 ans une chanson en anglais […]

Yves Duteil : J’ai commencé en anglais parce que c’était la langue de la musique. Pour moi, à ce moment là. J’ai découvert après que je me trompais. Et curieusement, j’ai trouvé un échos de ça chez Félix Leclerc, qui a dit lui aussi, « j’ai aimé le français à travers l’image que j’ai eu d’un professeur d’anglais, qui aimait tellement sa langue et sa culture, que je l’ai vu vu pleurer un jour en écoutant des enfants chanter un cantique en anglais. Et je me suis dit, cet homme là, aime tellement sa langue, il lui rend service en lui communiquant sa passion. C’est à moi de faire la même chose avec la mienne.

Je vous passe le bel hommage d’Yves Duteil à La langue de chez nous.

Et puisqu’Yves Duteil cite Félix Leclerc, je vous en passe un peu. À propos de la langue française, en 1967 : allons au salon de quille pour la fin de semaine. Voir ici. Et puis une chanson. Félix Leclerc, Bozo.

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Adorable Jimi

Peut-on chanter en français – 9

Vaut-il mieux chanter en français ou en anglais ? La question est au moins aussi vieille que Johnny. Entendu dans Une vie une oeuvre, Jimi Hendrix, une expérience sous influences, émission de France Culture, le 17 aout 2019 :

Adorable Jimi, mais très timide, très très timide. Quand il venait à Paris, il habitait chez moi, et quand j’allais à Londres, j’habitais chez lui. Et il fait sa fameuse chanson Hey Joe. Et il me dit, « tu devrais la faire en français, et moi je la fais en anglais ». Donc je l’enregistre en français à Londres où il assiste aux séances. Et il revient jouer un an et demi après à l’Olympia. Et c’était très drôle parce son Hey Joe était numéro 1, et mon Hey Joe à moi en français était numéro 1. Au même moment. Donc il revient jouer à l’Olympia. Et moi, ce qui m’a dégouté, c’est que les mêmes critiques qui l’ont vraiment descendu [Le Hey Joe de Johnny] ont dit : « quel génie, c’est formidable, le meilleur guitariste qu’on ait jamais entendu, etc ». C’est un homme que j’ai adoré. Est-ce que tu sais qu’il dormait avec sa guitare dans son lit ?

Alors que pensez vous de cette injustice criante ? Jimi génial, et Johnny nul, avec la même chanson, c’est dingue non, rhaaa, j’en suis tout révolté. Faites-vous votre idée vous-même. Hey Joe en français par Johnny et en anglais par Jimi, c’est quoi le mieux ?

Pour rappel, Hey Joe n’a pas été écrite par Hendrix. C’est une chanson aux origines un peu obscure, un peu comme The House of the Rising Sun dont la version française est le célèbre Pénitencier.

Je risque une hypothèse sur la version française. On la doit à Gilles Thibaut, le parolier de Comme d’habitude, qui a donné plusieurs tubes à Johnny, comme Requiem pour un fou ou Ma gueule, dans la veine du Johnny déglingue. Je pense qu’il savait ce que c’était qu’écrire des paroles qui se coulent dans une musique, mais là, je trouve la fusion plus qu’imparfaite. Je pense que c’est volontaire, une tentative de s’affranchir des règles pour souligner le côté « sauvage » de Johnny, ou du Johnny du moment. Tentative un peu ratée à mon avis, et il faut dire que Johnny n’était pas aidé par l’espèce de bastringue qui l’accompagne. Tandis que Jimi est bien en phase avec ses musiciens. Et puis il sait jouer de la guitare, c’est bien connu. Je vous propose une version de Johnny plus récente, avec un accompagnement plus soigné et fidèle à Jimi.

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Maurice Chevalier

Peut-on chanter en français – 8

J’en ai plus ou moins terminé avec la récolte de citations de grands auteurs. Je poursuis la série en musardant entre français et anglais. Il parait que Maurice Chevalier parlait très bien anglais, et qu’il en rajoutait un peu avec son accent franchouillard pour complaire au public américain.

What would you do ?

Et puis un réjouissant medley bilingue… pardon, a bilingual pot pourri.

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Échouer avec cette dignité grammaticale, procédurière

Peut-on chanter en français – 7

On lit aujourd’hui un extrait de la Lettre de Cole Porter à Alan Broderick, du 5 novembre 1934 (j’ai trouvé ça dans Variétés : littérature et chanson, sous la direction de Stéphane Audeguy et Philippe Forest. N°601 de la NRF).

Mes amis français, ceux qui ont des lettres et un livre en librairie, envient parfois la langue anglaise, sa superbe trivialité, ses diphtongues et ses triphtongues – je les vois se pencher par dessus les originaux de William Shakespeare pour tenter d’en trouver l’équivalent français, puis échouer avec cette dignité grammaticale, procédurière, typiquement parisienne. Ce qu’ils m’envient par dessus tout, ce sont mes monosyllabes, comme s’ils étaient la formule pour séduire les jolies filles et percer les secrets du monde : quelque chose que le diable aurait cédé aux Anglais en échange de leurs chansons. S’il n’y avait pas toutes ces monosyllabes, je devrais changer de métier, devenir philosophe allemand au lieu d’être simple parolier ; eux seuls me donnent ce pouvoir nonchalant de tout dire dans des vers de six pieds ; une fois traduit en français, mon Anything Goes aurait quelque chose de proustien : le sens de l’observation et le choix des verbes exacts, mais étalé comme une promenade le long d’un fleuve, après manger — (le déjeuner lui-même est accompli grammaticalement).

Avez-vous remarqué que « Tout dir’ dans des vers de six pieds » est un magnifique octosyllabe, bien rythmé, et constitué à 100% de ces fameux monosyllabes dont nous autres Français déplorons la cession par le diable aux Anglais ? Je vous propose deux version d’une célèbre chanson de Cole Porter utilisant quelques mots de français : My heart belongs to daddy. Par des chanteurs et chanteuses bien de chez nous. D’abord le duo Beau Catcheur et sa réjouissante walking bass, pardon basse marchante.

Puis par Colette Magny.

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Pandi panda

La balade aux jardins actuels, 83

Pandi panda.

Å lå Külulu

et les Les yeux revølver

c’est vraiment La Kiffänce (køver Nåps).

Plus de Blønd and Blönd and Blónd sur leur site internet, Youtube et Facebook.

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Le peuple français était assez peu chanteur de nature

Peut-on chanter en français – 6

On lit aujourd’hui un extrait de la Préface de l’anthologie de la poésie française d’André Gide. Il s’adresse au poète anglais Alfred Edward Housman.

J’étais près de vous accorder que le peuple français était assez peu chanteur de nature. « De toute les nations polies, la notre est la moins poétique » disait Voltaire (et son œuvre lyrique en donnait la preuve). […] cette déficience sans doute nous valut-elle des règles prosodiques beaucoup plus strictes que ne furent celles de des peuples voisins. Ne pourrait-on dire que ces règles, parfois si gênantes pour l’essor inconsidéré, si contrariantes pour la spontanéité du poète, l’amenèrent en récompense à plus d’art, à un art plus parfait, un art souvent qu’aucun pays n’égale ?

Comme chanson du jour, je vous propose l’un des trois seuls enregistrements connus de Gaby Deslys, à peu près contemporaine d’André Gide. Elle était l’une des plus grandes vedettes du Music Hall en 1900. Sa chanson La Parisienne évoque déjà la mode de l’anglais.

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Le français ne chante presque pas

Peut-on chanter en français – 5

Je n’ai pas trouvé de texte du XIXe siècle sur la question qui nous occupe. Beaucoup m’ont probablement échappé. Ils sont aussi peut-être plus difficiles à trouver qu’à d’autres époques, parce qu’après la Révolution française et l’épopée napoléonienne, la France phare du monde avait sans doute perdu l’habitude de se lamenter sur l’inadaptation de sa langue. Rassurez-vous, c’était tout à fait provisoire. On saute donc au XXe siècle avec un extrait de l’Introduction aux images de la France, dans Regards sur le monde actuel, de Paul Valéry.

Trois caractères distinguent nettement le français des autres langues occidentales : le français, bien parlé, ne chante presque pas. C’est un discours de registre peu étendu, une parole plus plane que les autres. Ensuite: les consonnes en français sont remarquablement adoucies; pas de figures rudes ou gutturales. Nulle consonne française n’est impossible à prononcer pour un Européen. Enfin, les voyelles françaises sont nombreuses et très nuancées (…).

Je vous propose une rareté aujourd’hui, une mise en musique d’un texte de Valéry. Chanson à part, d’abord dites par Jean Vilar.

Puis chantée par Lionel Mazari.

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Le devin du village

Peut-on chanter en français – 4bis

Les citations de Rousseau ont suscité quelques commentaires, merci. Diego nous propose une pastille intéressante sur la querelle entre Rousseau et Rameau, ici. Patrick Hannais nous signale opéra Le devin du village. J’en ai trouvé une vidéo intéressante. Enjoy.

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