Léo Ferré, merde au poncif

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 10/12
123456789101112

On a vu que Brel, Barbara, ou même à sa manière Gainsbourg, ne revendiquaient pas le titre de poète. C’est aussi le cas de Brassens, on voit ça dans la prochaine série. Souchon ou Delerm, on ne leur pose même pas la question, les pauvres petits. Majeur ou mineur, on ne sait pas, mais la chanson serait en tout cas un art modeste. Heureusement qu’elle a eu ses mégalomanes, comme Léo Ferré, seul donc de la clique des Grands-de-la-Chanson à se revendiquer poète haut et fort.

Dans son écriture riche, parfois hermétique (voir ici), il renonce souvent au poncif, c’est la moindre des choses pour un poète. On a déjà observé dans le blog qu’il prend le contre-pied du décor brélien d’Amsterdam dans Rotterdam, voir ici.  Quand il s’abaisse à chanter un thème banal, comme « avoir vingt ans », il s’efforce d’inventer un machin nouveau par ligne. Écoutez bien. Bravo monsieur Ferré, à vous tout seul vous sauvez la chanson du naufrage dans la phrase toute faite. Vingt ans.

Un beau reportage sur la célèbre photo où l’on voit Brassens, Brel et Ferré. Écoutez bien vers 8:00, on leur demande s’ils sont poètes.

Vous pouvez aussi écouter Les poètes.

Tous les thèmes

Barbara

La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 7/12
123456789101112

Dans cette série sur les poncifs, je trouve le cas de Barbara particulièrement intéressant. De tous les « grands » de la chanson, elle est sans doute celle qui abuse le plus du poncif. Elle parvient d’ailleurs à caser deux de ses chansons dans l’énigme ART (voir ici). Quand on essaye de jouer ses musiques à la guitare, on découvre que plusieurs sont bâties sur les mêmes suites d’accords convenues. Bien plus que celles de collègues à elle dont on critique volontiers les musiques. Par exemple, Brassens, ou même des compositrices rangés dans la « variété » et pas dans la chanson « de qualité », ne me demandez pas pourquoi. Je pense à Véronique Sanson.

Dans ses paroles, Barbara n’a pas de complexe : amour rime avec toujours, tout coule facilement. Dans Pierre, des phrases d’une poétique cul-cul frisant le mauvais gout, telles que « Oh mon dieu que c’est joli la pluie », côtoient une écriture tout en platitude :

Tiens il faut que je lui dise
Que le toit de la remise
A fuit
Il faut qu’il rentre du bois
Car il commence à faire froid
Ici

C’est pas du Mallarmé (heureusement en fait, j’aime pas du tout Mallarmé). Mais les vers de sept pieds sont rythmés par leurs consonnes. Ceux de deux pieds expirent au contraire des sonorités suaves. Sur une musique assez banale pour se faire oublier, placé rubato, avec la clarinette de Michel Portal au contre-chant et une voix discrètement entrecoupée de soupirs, ça produit son effet. La platitude même des mots laisse finalement entendre qu’ils sont sans importance, en cette circonstance. C’est de la belle chanson, l’une des plus belles qui soit à mon goût. Pierre.

Barbara ne prétendait nullement être poétesse. Dans ses interviews, elle expliquait qu’elle ne comprenait pas pourquoi on la rangeait dans la catégorie des chanteuses intellectuelles. C’est vrai que pour avoir écrit « il pleut… », « donne-moi la main », « un matin ou peut-être une nuit », etc, c’est étrange comme classification.

Quel est le secret de son art, qui manie le poncif sans s’affadir ? Prenons un autre exemple, dans Göttingen : « les enfants sont les mêmes à Paris ou à Göttingen ». Le poncif est éculé, on se croirait dans une chanson de scout écrite au presbytère. Mais chanté par Barbara, ceci prend un relief spécial : elle a échappé à l’extermination pendant la seconde guerre mondiale, elle a vraiment été chanter à Göttingen, où elle a vraiment rencontré des enfants allemands, qui étaient sans doute vraiment blonds. « Les enfants sont les mêmes à Paris ou à Göttingen » donc, ça n’a rien à voir avec une phrase vidée de son sens du genre « si tous les enfants du monde voulaient se donner la main », « heureux les pauvres d’esprit », etc.

On peut multiplier les exemples dans le répertoire de Barbara : l’inceste chanté et vécu, la mort de son père à Nantes. Tout est vrai, il n’y a pas eu de besoin de la presse people pour que son public le ressente. Barbara est une entité globale : sa vie, ses textes, ses musiques et ses interprétations ne font qu’un. Il y a de nombreux exemples de ces artistes-personnages dans la chanson : plus ou moins fabriqués par l’industrie du loisir, fantasmés par le public, parfois au corps défendant de l’artiste. Dans des rôles très variés : Mylène Farmer, Johnny, Renaud, Marilyn Monroe, Brassens d’une certaine manière… Si on remonte dans le temps, Eugénie Buffet, peut-être l’inventeuse du personnage en chanson, avec son rôle de la pierreuse (voir ici). Et encore avant Béranger. L’originalité de Barbara dans cette tradition, c’est qu’elle résiste à l’examen : le personnage fantasmé est curieusement proche de la vraie Barbara, sans qu’on sache si l’une s’est efforcée de ressembler à l’autre.

Allez donc voir la vidéo d’Agnès Gayraud, sur la musique pop (qui n’est pas exactement la chanson, mais la recoupe en grande partie). Le passage vers la fin, sur Nina Simone, n’est pas sans rapport avec ce que je raconte aujourd’hui.

Tous les thèmes

 

La solution

La chanson, art majeur ou art mineur I. L’énigme ART 9/9
1233bis455bis66bis788bis99bis

Voici venue l’heure tant attendue de la solution. Vous l’avez tous deviné, le point commun entre toutes les chansons, c’est le poncif le plus éculé de toute la poésie : « amour » y rime avec « toujours ». ART = Amour Rime avec Toujours donc. De la variétoche-pour-femme-d’un-certain-âge de Frank Michael au grand poète de la chanson Brassens, de la belle amoureuse Barbara à l’artiste d’avant-garde Patrick Vian, de la chanson paillarde à la suave intimité de Mathieu Boogaerts, de la poésie faussement naïve de Paul Fort à la pop kitsch années 1980 de Léopold nord et vous, et jusqu’au héros national Aznavour : tout le monde est d’accord pour se vautrer dans cette facilité.

Certains petits malins se jouent du poncif, comme Michel Berger qui dit « L’amour, le vrai, celui qui ne rime pas avec jamais », ou Souchon, qui fait rimer « toujours » avec « hou hou ». J’ai dit qu’Emmenez-moi et Mes amis, mes emmerdes de Charles Aznavour n’étaient pas loin de l’énigme sans pouvoir y figurer. C’est qu’amour y rime avec « jour », ce qui ne suffit pas, loin s’en faut.

Cette rime facile devrait suffire à clore le débat : la chanson serait un art mineur. Mais regardez ce qu’on lit dans Phèdre de Racine.

Œnone
Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.

Phèdre

                                     Ils s’aimeront toujours.

Bon, la chanson serait donc à l’instar de la tragédie classique, un-art-majeur-qui-fait-rimer-amour-avec-toujours, catégorie injustement oubliée par l’Esthétique ? Pfouuu, c’est compliqué, je m’y perds. Je vous passe un petit Brigitte Fontaine en attendant la suite. Pipeau.

À partir de samedi prochain, on s’intéresse à une chanteuse des années 1960, je ne vous dis pas qui, c’est une surprise. On se retrouve quelques jours plus tard pour la deuxième série sur la chanson, art majeur ou art mineur.

Tous les thèmes

Le temps du lilas

La chanson, art majeur ou art mineur I. L’énigme ART 8/9
1233bis455bis66bis788bis99bis

Dernier volet de l’énigme. On a commencé par Barbara, on termine par elle. Le temps du lilas.

Tous les thèmes

Aznavour dans l’énigme

La chanson, art majeur ou art mineur I. L’énigme ART 5bis/9
1233bis455bis66bis788bis99bis

Ça patine cette énigme, personne ne trouve alors que ce n’est pas si compliqué. Je vous rappelle qu’on cherche le point commun entre quelques chansons, de Barbara, Brassens, Frank Michael, Patrick Vian ou Mathieu Boogaerts. Il y a même une chanson paillarde, voir les billets précédents. Je vous propose un indice en bonus.

Si la mort du grand Aznavour vous a laissé mélancolique, soignez le mal par le mal et regardez la vidéo de l’INA avec ses chansons les plus marquantes. La première chanson, Et pourtant, possède le point commun entre toutes les chansons de l’énigme ART. Je le dis même pour les impatients : il suffit d’écouter la première minute de la vidéo ! Pour le reste, Emmenez-moi et Mes amis, mes emmerdes ne sont pas loin, mais non, elles ne peuvent pas faire partie de l’énigme.

Tous les thèmes

 

Quand reviendras-tu ?

La chanson, art majeur ou art mineur I. L’énigme ART 1/9
1233bis455bis66bis788bis99bis

Lorsque j’ai commencé ce blog, je me suis dit qu’il y avait une question que je n’aborderais jamais : celle de savoir si la chanson est un art majeur ou un art mineur, vieille tarte à la crème usée jusqu’à la croûte, éternel prétexte à verbiage. Mais voilà : en préparant différentes séries, j’ai réalisé que la question ne datait ni de Gainsbourg, ni de Béart, ni de la Rive Gauche, ni de Trenet, ni même de la chanson réaliste… Pas même de Béranger, ce chansonnier objet d’un véritable culte au XIXè siècle, considéré par ses contemporains comme le plus grand poète de tous les temps, et aujourd’hui à peu près oublié.

Bref, la question de savoir si la chanson est un art majeur, c’est un peu l’Affaire Grégory de l’esthétique : un procès interminable, un marronnier dont on sait dès le départ qu’on ne connaîtra jamais le fin mot. D’un certain point de vue, on pourrait définir la chanson comme l’art de poser cette question… C’est la face cachée de l’iceberg, ou disons la partie immergée de la lune. Au lieu de l’escamoter, je rejoins le chœur des radoteurs, et je fais de la vieille question le thème de toute cette année ! Je ne tiendrai qu’une promesse : tout à la fin, il n’y aura pas la réponse.

Ce sujet particulièrement indigeste sera découpé en séries courtes. Je commence par une énigme. C’est l’énigme ART, elle est très facile et j’espère qu’elle me réconciliera avec mes lecteurs excédés par l’énigme de l’été dernier !

Trouvez-moi le point commun entre les chansons suivantes, et on rediscute d’art mineur et majeur après. Comme dans plusieurs énigmes du blog, je commence par une chanson de Barbara. Dis quand reviendras-tu ?

Tous les thèmes

 

La solution

L’énigme de l’été 2018, 63/63
123456789
10111213141516171819
20212223242526272829
30313233343536373839
40414243444546474849
50515253545556575859
60616263

Nous voilà le 1er septembre, et voici venue l’heure tant attendue de la solution ! Nous cherchions ce qui ce cache derrière 62 chansons. C’est le livre autobiographique de Barbara, Il était un piano noir. J’ai tout simplement passé dans l’ordre tous les chanteurs, chanteuses et chansons qu’elle cite au long de son récit. Ceci explique l’ordre approximativement chronologique des chansons, le passage par la Belgique et la belle galerie de portraits des cabarets rive gauche. Comme son livre est inachevé,  les 20 ou 30 dernières années de la vie de Barbara sont très peu évoquées.

Bravo à Arnaud, internaute de l’Arbresle qui a résolu l’énigme. Il a très vite compris que l’énigme tournait autour de Barbara, notamment à cause du passage en Belgique. Il a par exemple remarqué que j’évoquais le dessinateur Yvan Delporte, chez qui Barbara a habité quelque temps. C’était l’un des indices les plus précis, qui n’a pas échappé à l’un des meilleurs résolveurs d’énigmes du Jardin ! Le reste en découlait.

Je vous passe Marienbad.

On se retrouve lundi pour la nouvelle saison du Jardin aux chansons qui bifurquent, avec des surprises, un thème qui reviendra toute l’année et surtout plein de belles chansons.

Tous les thèmes

Chienne d’énigme

L’énigme ALF 9/9
12345677bis89

Voici l’heure tant attendue de la solution. Vous l’avez tous deviné, le point commun de toutes les chansons passées dans l’énigme, c’est qu’elles parlent d’un sujet qui n’est révélé qu’à la fin de la chanson (A La Fin = ALF) : la solitude, l’âne gris, les deux amoureux qui s’ennuient, pourquoi LV88 dit Hou La La, le sujet la lettre reçue par Renan Luce, le motif de la sieste du dormeur du val, le père de Barbara, etc.

Dans le même style, Pierre Delorme nous propose Le monsieur et le jeune homme, de Guy Béart. Par Juliette Gréco.

Pour conclure, je vous propose un exemple encore plus extrême : une chanson où on ne dit pas du tout de quoi ça parle, même à la fin. Chienne d’idée, Maxime Le Forestier et Vanessa Paradis.

Et oui, c’est quoi cette chienne d’idée ? C’est la liberté, mais ça n’est jamais dit explicitement. Je tiens l’info d’une interview du parolier, Boris Bergman.

Tous les thèmes

Nantes

L’énigme ALF 8/9
12345677bis89

On a commencé l’énigme par Barbara, on la termine par Barbara, Nantes, chanson la plus emblématique du lien secret qui unit toutes les chansons de cette série. Solution dans le prochain billet ! Je vous propose la version de Gérard Depardieu. Ceux à qui ça ne plaît pas, ils n’ont qu’à écouter celle de Patrick Bruel.

https://www.youtube.com/watch?v=MwWywGbn4h0

Tous les thèmes

La solitude

L’énigme ALF 1/9
12345677bis89

Aujourd’hui, truc préféré de nombreux de nombreux lecteurs du blog : on commence une énigme sur le Jardin aux Chansons ! Comme souvent, il faut deviner le lien secret reliant les différentes chansons qui passeront les prochains jours. La première, c’est La solitude, de Barbara.

Vous avez peut-être remarqué que la chanson parle incidemment de Verlaine, phénomène étrangement courant en chanson, auquel on a déjà consacré une série, voir ici. Mais ça n’a rien à voir avec la solution de l’énigme.

J’ajoute que l’idée de l’énigme a été évoquée dans des échanges avec mes plus fidèles lecteurs, il trouveront donc la solution tout de suite… S’il vous plait, laissez les autres chercher, ou mieux, puisque vous savez de quoi il s’agit, proposez des chansons comme indice !

Tous les thèmes