Aujourd’hui, séquence nostalgie de l’annuaire, avec J’suis dans le bottin par Yvette Gilbert. Il ne s’agit pas vraiment de l’annuaire téléphonique, mais du Bottin du commerce et de l’industrie, inventé par Sébastien Bottin en 1797, bien avant l’avènement du téléphone.
Bon, je ne suis vraiment pas rancunier aujourd’hui : certains lecteurs savent peut-être que je suis adepte du jeu Questions Pour Un Champion. J’ai réussi à me qualifier plusieurs fois pour l’émission. La dernière fois, miracle, au Quatre à la suite, je tombe sur le thème « Les chansons dont le titre commence par je ». Un thème chanson, ma spécialité, ah ah les adversaires allaient pleurer leur buzzer. Or, quand on me demande la chanson de Charlebois, je réponds lamentablement : « Je retournerai à Montréal ». Rhaaaaaaa, perdu, éliminé irrévocablement, effroyable injustice.
Le plus étrange dans cette histoire, c’est que je l’avais inventée avant qu’elle ne m’arrive, voir dans la série du blog consacrée au jeu, ici. J’avais aussi imaginé la situation embarrassante d’un joueur qui cartonne sur un questionnaire à propos des actrices de film porno, ici. Hé bien, là encore la réalité m’a rattrapé, j’ai été témoin de cette situation peu après, lors d’un mini-tournoi organisé par le club de Lyon-Champagne au Mont d’Or. Le thème du tournoi était la lettre X, toutes les réponses avaient un X dans la réponse, ou un rapport avec la lettre X. Un des concurrents, joueur de club bien connu, avait la manie de répondre « Clara Morgane » à chaque question dont il ignorait la réponse, variante poisseuse du « Stéphanie de Monaco » des Inconnus, destinée à déconcentrer les adversaires, tout en attirant l’attention sur soi bien sûr. Or, au Quatre à la suite, le malheureux se retrouve plus ou moins contraint de choisir le thème « Le cinéma X ». Je n’ai pas pris de notes hélas, je ne rappelle plus très bien ce qu’il s’est passé, mais bon, il était quand même assez fort sur ce sujet. Clara Morgane a fini par être la bonne réponse bien sûr.
Ça y est, voilà le dernier billet de la série consacrée à Bach. Je voulais conclure, mu par un besoin obscur de comprendre les usages de Bach dans la culture populaire. Ils sont à la fois vastes et dispersés, si bien qu’il est difficile de s’y retrouver : preuve supplémentaire du génie polymorphe de Bach, de sa créativité et de sa perfection prodigieuse. Bach est un géant … le seul compositeur à avoir son émission hebdomadaire sur France Musique, Le Bach du dimanche, tous les dimanches à 7h, rien que son répertoire, planté pour une durée indéterminée dans la fixité de la grille des programmes, comme s’il était inépuisable.
J’ai été surpris de tout ce que j’ai trouvé en creusant dans différentes directions. L’air Jesus que ma joie demeure inspire un attelage bigarré : Les compagnons de la chanson, Frida Boccara, Dave ou les Beach Boys, et il traîne par-ci par-là, dans un sketch des Inconnus, un autre de Jean Yanne, et même un épisode de Columbo que j’ai regardé par hasard la semaine dernière (impossible de trouver une vidéo). Comme le biologiste qui trouve cinquante nouvelles formes de vie dans la goutte d’eau d’un étang, et puis en croise encore une ou deux autres par hasard sur le chemin du retour, je soupçonne qu’il suffirait de creuser pour trouver encore et encore.
En chanson, on entend quelques mélodies de Bach et parfois son nom. Au-delà de la chanson, on le retrouve dans la pop, le jazz, le rock progressif et le heavy metal. On le trouve, ou peut-être croit-on le trouver partout, des Tontons flingueurs jusque dans des théorèmes de logiciens autrichiens ou dans les pages blanches des carnets secrets de la chanteuse Camille.
Mais voilà, je ressens un curieux malaise : j’adore la chanson, le rock ou le jazz, ainsi que Bach. Mais presque toutes les chansons de la série sont moyennes ou médiocres à mon goût. On essaye de plaquer des paroles de variétés sur une musique de Bach, vraie ou fausse, mais le plus souvent, on voit un peu la couture entre les deux. On essaye de faire swinguer Bach, mais on en retient plus la présence de Bach qu’on en ressent le charme du swing. Bref, la musique de ces dernières décennies a plutôt besoin de Bach que de sa musique, et son usage me semble moins une inspiration qu’une proclamation.
Une digression comme point de comparaison : les usages en variété des musiques de Bach font pâle figure à côté de la fusion parfaite entre la musique romantique et la chanson de variété opérée par Gainsbourg, qui a su mettre sur ce coup des arrangeurs talentueux comme Alain Goraguer. On en reparlera bientôt. D’ailleurs, la seule chanson vraiment réussie de la série sur une musique de Bach, je trouve que c’est Sur un prélude de Bach, et justement on trouve aux commandes Jean-Claude Vannier, arrangeur de variété, un temps compagnon de Gainsbourg, et puis qui a beaucoup réfléchi à tout ce qu’il faisait. On a vu que sa chanson n’est pas exempte de contre-sens, comme s’il fallait un peu mentir pour bien faire fusionner Bach et chanson. On reparlera de Jean-Claude Vannier plus tard…
Alors pourquoi citer Bach à tort et à travers ? Pourquoi veut-on Bach, pourquoi a-t-on besoin de Bach ? Je risque une hypothèse : Bach, c’est l’Occident, ou l’Europe. Le seul compositeur dont le mythe puisse lui être comparé est bien sûr Mozart. Mais dans nos représentations, je dirais que Mozart est plutôt perçu comme universel, une sorte de don fait à l’humanité toute entière, l’intercesseur d’une musique divine ou naturelle. Tandis que la musique de Bach est le fruit du travail acharné d’un homme seul, une combinaison originale de science et de religion, un peu comme notre civilisation. Il nous plait à tous que Bach soit du jazz, ou que le jazz soit du Bach, chacun selon sa pente.
Pour finir, le générique de Répliques, l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture : Les variations Goldgerg. Le générique proprement dit commence vers 3:00, au moment ou s’épanouit un contrepoint énergique à deux voix qui symbolise le dialogue contradictoire, thème de l’émission. Par Glenn Gould, une musique de Jean-Sébastien Bach bien sûr.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 13/19
Dans ce billet, on aborde un autre art populaire : le comique. La question juive y est abordée plus franchement qu’en chanson, ce qui montre qu’il ne s’agit pas d’un tabou universel. La symétrie avec les gitans est intéressante là encore. Si tout amateur de chanson qui se respecte est capable de citer en une minute quatre ou cinq chansons parlant d’un gitan, et si tout raconteur de blagues en connait au moins quelques-unes sur les juifs, je les mets tous au défi de raconter une blague gitane. Ou de citer en moins d’une minute ne serait-ce que trois chansons avec un personnage juif (à moins de lire ce blog bien sûr).
Autre symétrie intéressante : que ce soit en chanson ou dans le comique, le judaïsme est traité en gros de la même manière par les artistes juifs ou pas : discrétion, neutralité et non-dit en chanson, contre étalage bienveillant de poncifs et d’exagérations dans le comique. Il y a quand même des différences subtiles, je dirais un regard plus tendre ou ému quand il vient de l’intérieur, mais je vous laisse en juger.
J’adore les sketchs de Popeck, mais ce n’est qu’en préparant cette série que j’ai découvert qu’il était aussi musicien. Popeck et Mozart.
Si la Chanson a magnifiquement combattu la réputation de radinerie des auvergnats, il n’en est rien de l’Art de la parodie d’émission de télé avec celle des juifs. Des chiffres et des chiffres, par Les Inconnus.
Vous êtes juif, excellent sketch d’Élie Kakou.
Élie Kakou évoque aussi un sujet plus spécialisé : le racisme entre juifs ashkénazes et séfarades, dans Le kibboutz.
Les Nuls, dont je vous avoue que je n’apprécie pas trop l’humour, ont quand même eu quelques idées touchant au génie surréaliste.
Pour ceux qui ne connaissent pas, l’original : pub pour Royal Canin, aliment complet pour chien. Musique de Enno Moriconne (c’est la bande original du film Le professionnel).
Les Nuls ont aussi commis une parodie balourde de Est-ce que tu viens pour les vacances de David et Jonathan (Il faut dire qu’ils n’étaient pas aidés par l’original). Qu’est-ce que tu vends pour les vacances. https://www.dailymotion.com/video/x8orn1
L’original.
Allez, pour conclure ce long billet, un peu de Woody Allen ne nous fera pas de mal.
Les Juifs et la chanson IV – Image des juifs dans la chanson 12/19
On aborde dans ce billet la chanson antisémite. Je n’ai aucune envie de faire de la publicité à des chansons ordurières, alors je vais me limiter des chansons qui propagent des poncifs antisémites afin de les critiquer ou de les ridiculiser. Il y en a quelques exemples déjà passés dans le blog, comme la chanson de Julien Dragoul, le chanteur collabo imaginé par les Inconnus (voir ici), ou au cinéma, la séquence du pilori télévisuel imaginée par Jean Yanne (voir ici). Je vous propose aujourd’hui Les juifs de Philippe Clay.
Sacha Baron-Cohen a inventé le journaliste kazakh antisémite Borat Sagdiyev, qui s’est aussi essayé à la chanson (antisémite bien sûr). Dans sa technique originale et provocante de cinéma vérité, Baron-Cohen fait chanter le public avec lui. Throw the jew down the well.
Évidemment, l’antisémitisme est une notion fluctuante au cours de l’histoire. Vous pouvez écouter l’épisode de l’émission Concordance des temps de Jean-Noël Jeanneney consacrée à Aristide Briand, le 14 décembre 2019. Il y a un document intéressant, Je suis sûr qu’ils reviendront, une chanson d’Henri Dreyfus, un chansonnier Montmartrois d’origine juive plus connu sous le pseudonyme d’Henri Fursy au début du XXe siècle. Cette chanson d’actualité évoque l’expulsion des congrégations en 1905 suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État, et établit un curieux parallèle avec les expulsions de juifs qui ont émaillé l’histoire de France. Je pense qu’on qualifierait volontiers d’antisémite une telle chanson aujourd’hui. Introuvable sur le web, c’est vers 18 minutes sur le site de l’émission.
Allez, quand-même une authentique chanson antisémite. Je parie que beaucoup de lecteurs du blog la connaissent, mais que bien peu savent qu’elle contient un couplet antisémite dans la manière des années 1930. Il s’agit du Lycée papillon de Georgius (qui fut d’ailleurs condamné pour collaboration après la guerre, voir sa fiche wikipedia ici). Voici le texte du couplet en question.
Élève Isaac ? … Présent En arithmétique’ vous êt’s admirable, Dites-moi ce qu’est la règle de trois D’ailleurs votre pèr’ fut-il pas comptable Des films Hollywood … donc répondez-moi. Monsieur l’Inspecteur, Je sais tout ça par cœur. La règle de trois ? … C’est trois hommes d’affaires Deux grands producteurs de films et puis c’est Un troisièm’ qui est le commanditaire Il fournit l’argent et l’revoit jamais. Isaac, mon p’tit Vous aurez neuf et d’mi ! …
Le couplet est supprimé des versions modernes. Au lycée Papillon, avec Les compagnons de la chanson.
Mais on le trouve dans des versions d’avant guerre, comme celle de Monty et Jacky, vers 1:44, sur la vidéo.
On trouve des allusions antisémites dans d’autres chansons de Georgius, comme par exemple On l’appelait fleur des fortif’s, parodie de chanson réaliste. Pour les jeunes : les « fortifs », ce sont les « fortifications », un ensemble de bâtiments construits autour de Paris pour sa défense. Ils ont été détruits au XIXe siècle, laissant place à un ensemble de terrains vagues appelé la « zone », d’où les expressions zoner, zonard, etc. Ces terrains libres autour de Paris ont permis la construction du boulevard périphérique. Écoutez bien.
Voici ce qu’en disait François Bellair, fils de Marie Dubas, grande amie de Georgius, au micro de Benoît Duteurtre le 6 novembre 2021 après la diffusion de la chanson :
Benoît Duteurtre : Je notais aussi dans la chanson, il y a une petite vanne sur les juifs de Georgius. Et puis il a écrit aussi la fameuse Noce à Rébecca qui aujourd’hui passe pour une chanson un peu antisémite. Alors votre mère [la chanteuse Marie Dubas] qui était juive, qu’est-ce qu’elle en pensait ?
François Bellair : Ma mère avait le sens de l’humour, et je crois que si il y a une chose qui caractérise les juifs en général, c’est d’avoir effectivement vraiment le sens de l’humour. Et je crois que les premiers à en rire, c’était justement les juifs. Les juifs s’amusaient, dans les noces juives, on chantait La noces à Rébecca.
Des lectrices se sont plaint que ma série donnait envie de fumer. Je vous donne un truc pour faire passer l’envie, spécialement efficace en confinement. Vous écoutez pendant deux heures en boucle Put down your cigarette rag (don’t smoke) d’Allen Ginsberg. Résultat garanti. Un conseil : montez le son, que les voisins en profite, c’est pour leur bien.
Vous noterez que cette chanson n’est accompagnée que par un seul accord de guitare, c’est assez rare. Ça nous change de ces chansons qui n’ont « que » trois accords. Bonus du jour, Les inconnus.
Et sinon, il semblerait qu’en fait, fumer ne présente aucun danger ! On s’y perd…
Voilà la fin de la série sur les chansons courtes, j’ai essayé de ne pas faire trop long. Réponse à la question du premier billet : la chanson la plus courte passée dans le blog avant cette série est Meow meow im a cow, par une vache qui n’a pas laissé son nom. C’était dans une série sur les vaches, ici. Ça dure 4 secondes.
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Je vous ai aussi déjà passé La foumoila des Inconnus, 27 secondes. C’était dans la série sur le sexe, ici.
Pour conclure, Chanson courte, de Raymond Devos, qui fait son entrée au 924e billet du blog. Ça dure 21 secondes.
Cette série a été construite sur une idée originale de NP, internaute de Lyon 6e, qui détient également le record du plus grand nombre de commentaires dans le blog, merci à elle. On se retrouve dans deux jours avec le thème de l’année.
La valse, le tango, la décadanse, la lambada, et jusqu’au twerk : chaque décennie repousse les limites de l’indécence et propose une danse encore plus torride. Mais quelle est la danse la plus torride ? Moi, je vote pour La foumoila. Par les Inconnus.
Vous venez d’écouter une des chansons les plus courtes du Jardin aux Chansons qui Bifurquent : 26 secondes. (Ça me fait penser, Woody Allen disait : « Les femmes disent que je suis un mauvais coup. Ce sont vraiment de mauvaises langues, comment peuvent-elles dire ça en 2 minutes ? »).
Sinon, La foumoila est visiblement une parodie de la Soca Dance, danse tropicale traditionnelle inventée par TF1 et parue dans l’album Do you feel it, tout un programme. Charles D. Lewis, Soca dance.
La chanson, art majeur ou art mineur II. Du poncif en chanson, 12/12 1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11 – 12
Une bonne grosse blague pour finir sur les poncifs en chansons. Chagrin d’amour, des Inconnus, se moque des tics les plus vulgaires de la chanson d’amour pour homme.
Il s’agit une parodie d’À toutes les filles, de Félix Gray et Didier Barbelivien. C’est vrai que c’est la grande classe, un grand merci à Félix et Didier de la part de tous les partisans de la chanson-art-majeur. Sans vous, ce ne serait pas un défi si excitant de défendre la chanson…
Je vous le dis, en trois ans de blog, cette série est sûrement celle qui m’a demandé le plus de travail. Dans le prochain thème, on parle d’un compositeur… On revient aux arts majeurs et mineurs plus tard, avec une série sur les expressions toutes faites dans les chansons de Brassens. Ensuite, il y aura la série de Noël, restez posté (= keep posted).